La Maison Blanche publie des informations selon lesquelles la partie russe a déploré 100 000 morts et blessés depuis le début de l’année. L’estimation laisse d’importantes questions en suspens, mais elle est tout à fait crédible.

Ivo Mijnssen, Vienne

Lorsqu’un lance-roquettes multiple Tos-1 tire une salve, il rase une surface équivalente à 11 terrains de football : la chaleur et la pression font s’effondrer les maisons et ne laissent guère de chance de survie aux troupes ennemies dans leurs positions défensives. Actuellement, la Russie déploie massivement sa machine infernale à Bachmut. Et pourtant, les Ukrainiens continuent de tenir la ville du Donbass, bien qu’elle ait été considérée comme perdue à plusieurs reprises.

Les armes miraculeuses comme le Tos-1 remplissent toujours une fonction psychologique – sur le champ de bataille et dans les vidéos qui se répandent sur les réseaux sociaux. Et elles nécessitent une logistique complexe avec laquelle les Russes ont manifestement de gros problèmes. Sans le manque de munitions, ils auraient sans doute déjà pris Bachmut. Au lieu de cela, Evgueni Prigoschin, le fondateur des paramilitaires de Wagner, très présents à Bachmut, a une fois de plus menacé fin avril de retirer ses troupes si elles ne recevaient pas de ravitaillement supplémentaire.

La tactique cynique de Wagner

Il est peu probable qu’il y songe sérieusement. Prigoschin utilise plutôt l’opinion publique de manière ciblée pour ses luttes de pouvoir avec le ministère russe de la Défense. Il ne peut toutefois s’y affirmer que s’il fait preuve de succès.

Il les obtient en menant une guerre cynique : Wagner envoie des prisonniers et des combattants mal formés comme chair à canon pour que les Ukrainiens leur tirent dessus. Dès que les défenseurs trahissent ainsi leur position, des soldats plus professionnels avancent, soutenus par l’artillerie lourde.

On sait depuis longtemps qu’un attaquant enregistre toujours des pertes plus élevées et que celles-ci prennent une ampleur particulièrement extrême chez Wagner. Lundi, la Maison Blanche a toutefois avancé le chiffre hallucinant de 10 000 paramilitaires Wagner tombés en Ukraine rien que depuis décembre. Cette petite troupe, comparée à l’armée régulière russe, aurait donc à déplorer la moitié des morts. Selon John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité américain, il faut y ajouter 80 000 blessés.

Pertes russes
Estimation toujours la plus conservatrice au sein des différentes études (en milliers)
Nombre de morts (orange)
Blessés (Rose)

¹ morts confirmés par leur nom, blessés estimés ; ² estimations dans des documents divulgués jusqu’en janvier 2023 ; ³ estimation de décembre 2022 à avril 2023 ; ⁴ jusqu’au 21. 9. 2022

NZZ / cia.

Les États-Unis ne sont pas une partie neutre dans la guerre en Ukraine. Leurs estimations doivent donc être considérées de manière critique, d’autant plus que les indications sur la base de données restent vagues. Elles sont toutefois nettement plus crédibles que les données officielles de Kiev et de Moscou : les deux ont indiqué des pertes extrêmement faibles avec 10 000 et près de 6000 morts l’année dernière.

Dans un document des services secrets datant de janvier et rendu public dans le cadre des Pentagon Leaks, les Américains estimaient en revanche qu’il y avait au moins 35 000 morts du côté russe et 15 500 du côté ukrainien. En interne, Moscou chiffre également les pertes à 110 000 tués et blessés, soit un chiffre bien plus élevé que les déclarations officielles.

Incertitude concernant les Ukrainiens

Il est indéniable que les combats sont devenus nettement plus sanglants depuis lors. La raison en est surtout Bachmut. C’est ce que confirment également les enquêteurs du service russe de la BBC et leur portail partenaire Mediasona. Ils évaluent les informations accessibles au public sur les personnes tombées au combat, sur Internet et sur place dans les cimetières. Jusqu’à la mi-avril, ils ont ainsi pu confirmer les noms de 20 451 soldats russes morts – dont 9000 rien que depuis décembre.

Pertes ukrainiennes
Estimation toujours la plus conservatrice au sein des différentes études (en milliers)
Nombre de morts (bleu marine)
Blessés (bleu clair)

¹ Estimations dans des documents divulgués jusqu’en janvier 2023 ; ² jusqu’au 1. 12. 2022

NZZ / cia.

Les deux médias indiquent toutefois que le chiffre réel est au moins deux fois plus élevé, car ils ne peuvent pas procéder à une évaluation systématique. De plus, les morts des « républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk n’y figurent pas. Ils se situent ainsi dans un ordre de grandeur similaire à celui des Etats-Unis.

En revanche, les pertes ukrainiennes à Bachmut sont peu claires. Au cours des premiers mois de l’année, Kiev pouvait encore affirmer avec une certaine crédibilité que l’agresseur payait un tribut de sang six fois plus élevé, l’OTAN annonçant un rapport de 5 à 1. Avec la tactique radicale de la terre brûlée de la Russie et le fait que les voies d’approvisionnement ukrainiennes sont constamment sous le feu, les taux de pertes devraient s’être fortement rapprochés. Kiev a sans doute également sacrifié des milliers de soldats pour cette ville sans importance stratégique.

NZZ