Étiquettes

, , , ,

Par Maxime Tandonnet

La crise politique ne fait que commencer

Le 31 mai 2023, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a écarté l’article 1er d’une proposition de loi portée par le groupe Liot, abrogeant le report à 64 ans de l’âge du départ à la retraite par 38 voix contre 34. Plusieurs députés LR ont apporté leurs voix à la majorité présidentielle pour obtenir ce résultat. L’article en question ne pourra pas être réintroduit en séance plénière. Enfin ! La majorité présidentielle et ses alliés peuvent triompher. Ils auraient bien tort.  

Depuis environ trois mois, l’amoncellement des manœuvres destinées à obtenir ce résultat est impressionnant. En accumulant et banalisant le recours à des procédures d’exception prévues par la Constitution (article 47, 49-3, 40), le pouvoir exécutif a obtenu l’adoption le 14 avril des « 64 ans » quasiment sans débat parlementaire et sans vote de l’Assemblée nationale. Puis, se fondant sur des considérations juridiques guère plus probantes que celles invoquées pour justifier les conditions ubuesques de cette adoption (et contestées par plusieurs juristes), le Conseil constitutionnel a donné satisfaction au gouvernement en balayant, l’une après l’autre, deux propositions de référendum d’initiative populaire.

Enfin, est intervenue la proposition de loi de Liot, incarnée par M. Charles de Courson, visant à abroger le report à 64 ans.

La macronie et ses alliés de droite se sont de nouveau contorsionnés ces derniers jours, pour éviter un débat et un vote de l’Assemblée nationale en la déclarant inconstitutionnelle au titre de l’article 40.

En vain : la vérité est que cette proposition était parfaitement constitutionnelle au regard de la pratique habituelle. Ces manœuvres se sont accompagnées d’un déchaînement de mépris et de moquerie envers Charles de Courson qualifié par exemple de « Che Guevara de la Marne » par un député LR ou de « canasson qui finit dans les ronces » par un autre de Renaissance. Finalement, la proposition de Liot a été écartée par un tour de passe-passe de dernière minute : le remplacement de députés LR frondeurs par deux autres dociles envers la majorité présidentielles qui a permis à celle-ci d’obtenir gain de cause.

Cet acharnement du pouvoir et de ses alliés de droite à empêcher par tout moyen un débat et un vote démocratique, parlementaire ou référendaire, dépasse la seule question des retraites et du report de l’âge de départ.

Tout le monde le sait : les 64 ans sont inutiles compte tenu de la règle des 43 annuités et d’un âge moyen d’entrée sur le marché du travail à 22,5 ans et injustes puisque pénalisant la France populaire entrée sur le marché du travail avant l’âge de 21 ans.

L’enjeu était tout autre : l’issue d’un formidable bras de fer entre la poigne jupitérienne du chef de l’Etat et une vaste majorité du peuple, au moins les quatre-cinquièmes selon toutes les enquêtes d’opinion, hostiles à cette réforme jugée malfaisante et injuste.

La séquence qui s’achève est d’une extrême gravité dans une France déchirée, dévastée par la fracture démocratique, l’abstentionnisme, la crise de défiance envers la politique. La classe dirigeante (l’exécutif, la majorité présidentielle et ses alliés) mesure-t-elle la violence de la gifle qu’elle vient d’assener à la France profonde ? Elle vient d’offrir un stupéfiant spectacle de mépris des fondements de la démocratie en interdisant le débat, puis le vote parlementaire comme le vote populaire, sur une réforme qui touche le pays au cœur, tout en se drapant dans le respect de la démocratie. Elle a montré sa phobie du débat d’idées et du vote démocratique. Par cet incroyable aveu de faiblesse, elle ne peut qu’encourager la poursuite et le durcissement de la protestation sous toutes les formes possibles. Les casseroles n’ont pas fini de tinter. La crise politique, dans un climat de confusion extrême, ne fait que commencer.

Revue Politique et Parlementaire