La ministre des Affaires étrangères de la France, Catherine Colonna.
Karen Minasyan archives Agence France-Presse La ministre des Affaires étrangères de la France, Catherine Colonna.

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La France a accusé mardi la Russie d’être derrière une vaste opération d’ingérence numérique à travers notamment la publication de faux articles de grands quotidiens français hostiles à l’Ukraine, des agissements relevant de la « guerre hybride » de Moscou.

« Les autorités françaises ont mis en évidence l’existence d’une campagne numérique de manipulation de l’information contre la France impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l’État russe ont participé en amplifiant de fausses informations », a dit la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna.

Paris est en « lien étroit » avec ses alliés « pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie », a-t-elle ajouté.

La campagne a visé des sites de médias, du ministère des Affaires étrangères et d’autres institutions gouvernementales en créant des sites miroirs, a précisé la porte-parole du ministère Anne-Claire Legendre.

La détection le 29 mai d’un site miroir du ministère affirmant, à tort, que la France instaurerait une taxe pour financer l’aide à l’Ukraine a accéléré la décision des autorités de rendre l’affaire publique, selon une source gouvernementale.

Jusqu’ici, Paris a suivi une doctrine prudente en matière d’attribution d’attaques numériques. D’ailleurs, cette déclaration française « ne constitue pas une attribution » aux autorités russes, uniquement accusées pour l’instant d’avoir participé à l’amplification du phénomène, a précisé la source gouvernementale. Mais « nous voulons envoyer un message clair que nous sommes en mesure de détecter », a-t-elle ajouté.

Les investigations mettent en lumière « l’implication d’individus russes ou russophones et de plusieurs sociétés russes dans la réalisation et la conduite de la campagne », selon une note de synthèse de Viginum, l’organisme de lutte contre les ingérences numériques étrangères créé en 2021, qui a conduit l’enquête.

La ministre a souligné « l’implication d’ambassades et de centres culturels russes qui ont activement participé à l’amplification de cette campagne ».

Opération « Doppelgänger »

L’opération est plus précisément « la seconde phase d’une campagne déjà connue, mais avec des modes d’action plus sophistiqués », a expliqué à l’AFP une source sécuritaire impliquée dans le dossier.

Il s’agit de l’opération Doppelgänger, terme folklorique désignant le double maléfique d’une personne, déjà documentée en 2022 notamment par le géant américain Meta.

Fin septembre, la maison mère de Facebook a annoncé avoir démantelé sur sa plateforme une opération « d’influence secrète » provenant de Russie pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates, pour laquelle ses promoteurs, deux sociétés de conseil, avaient dépensé 105 000 dollars américains.

« Meta espérait que son rapport mettrait fin aux opérations, ce ne fut pas le cas », explique la source sécuritaire.

Au moins quatre quotidiens français, Le Parisien, Le Figaro, Le Monde et 20 minutes, ont été victimes de l’opération mais d’autres grands médias ont aussi été visés, notamment allemands (Der Spiegel, Bild, Die Welt…) ou italiens.

Utilisant la pratique du « typosquattage », les pirates informatiques produisaient de faux articles sur une page en tout point identique à celles du site officiel de ces médias, mais avec un nom de domaine différent. Ces faux articles sont ensuite diffusés via les réseaux sociaux en essayant de pousser leur viralité, qui semble faible pour l’instant.

« Processus d’industrialisation »

« Le Monde ne peut que condamner ces agissements intolérables et se féliciter que les auteurs de ces tentatives de manipulation soient désormais identifiés », a commenté son directeur, Jérôme Fenoglio.

« Nous prenons cette affaire très au sérieux et nous agirons de manière résolue pour faire face à cette usurpation de l’identité de notre marque » a réagi pour l’AFP Ronan Dubois, directeur de la publication de 20 minutes.

« On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes. On n’a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d’un processus d’industrialisation », explique à l’AFP la source sécuritaire.

La structure initiale de l’opération est baptisée RRN, du nom du site prorusse RRN.world (Reliable Recent News) créé quelques mois après le début de la guerre en Ukraine et qui a partagé de nombreuses fausses nouvelles.

Outre le typosquattage, l’opération se traduit par d’autres actions d’influence comme la production de dessins animés anti-Zelensky ou de narratifs prorusses.

« Il n’y a pas de doute que l’objectif était de mener une campagne de désinformation d’ampleur contre l’opinion française », selon la source gouvernementale.

Cette opération « s’inscrit dans une pensée stratégique russe de long cours », explique à l’AFP le chercheur de l’Ifri Dimitri Minic, auteur de Pensée et culture stratégiques russes (Éditions de la Maison des sciences de l’homme).

« Tout cela n’est pas un délire de quelques gens perdus, mais a été mis en doctrine […] la guerre informationnelle est le concept qu’ils ont le plus étudié depuis 30 ans », précise-t-il à l’AFP. « Je ne pense pas que cela va avoir beaucoup de succès, mais cela va consolider la base de leurs aficionados en France et en Allemagne, qu’ils surestiment probablement, mais qui existe vraiment. »

La Russie envisage de quitter l’accord céréalier

MOSCOU — La Russie envisage de quitter l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes en raison notamment du non-respect, selon Moscou, de clauses sur l’exportation des engrais russes, a affirmé mardi le président Vladimir Poutine. « Nous réfléchissons maintenant à nous retirer de cet accord céréalier […] De nombreuses conditions qui devaient être appliquées n’ont pas été respectées », a déclaré M. Poutine lors d’une réunion télévisée avec des correspondants de guerre russes. Le président russe a aussi accusé Kiev d’utiliser les couloirs maritimes prévus par cet accord pour attaquer la flotte russe avec des drones. Un navire russe en mer Noire « a été attaqué par un drone hier ou avant-hier », a-t-il assuré, semblant faire référence à une attaque contre un navire russe avec des vedettes téléguidées que Moscou a affirmé dimanche avoir déjouée. La Russie menace régulièrement de se retirer de cet accord sur les céréales ukrainiennes conclu en juillet 2022 avec le parrainage des Nations unies et de la Turquie. Lundi, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est dit « inquiet » pour l’avenir de l’accord, assurant « travailler dur » pour sa prolongation au-delà du 18 juillet.

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