Étiquettes

, ,

Philippe Bilger

Le président de la République n’aime pas Anticor et il l’a dit dans « Complément d’enquête » en mars dernier, en prenant la défense de son bras droit Alexis Kohler : « Je peux détruire n’importe qui avec une question d’exemplarité. Demain, je peux vous faire une procédure. Anticor, ils ne font que ça. Et les procédures, ils les font durer, ils les font durer, ils les font durer. Et même si les gens à la fin ne sont pas condamnés, vous les foutez en l’air. » (Mediapart)

Il faut lui reconnaître le mérite de la constance : les atteintes à la probité, avec des mises en examen (Thierry Solère, un recordman toujours choyé à l’Elysée !) ou même des condamnations, ne l’ont jamais fait dévier d’une ligne de totale indifférence. Comme si la moralité personnelle ou publique n’avait pas la moindre importance pour lui. Nicolas Sarkozy, malgré ses condamnations, demeure parfois son représentant officiel à l’étranger. Sans doute pour mieux dénoncer ici ou là les Etats de droit défaillants, voire inexistants ?

Le président de la République n’aime pas Anticor et il en a le droit mais un chef d’Etat digne de ce nom devrait se distinguer par sa capacité à maintenir, voire à amplifier les mécanismes sanctionnant les malhonnêtetés, corruptions, trafics, conflits d’intérêt commis principalement dans la vie politique. Un président doit donc défendre Anticor qui a révélé trop souvent la frilosité du Parquet de Paris attendant tellement les ordres de poursuivre qu’il ne les aura jamais : en effet, un pouvoir, sauf à être masochiste, ne se combat pas lui-même. D’où le rôle capital de ces associations ou ONG en l’occurrence qui existent pour prendre la relève !
Je ne soutiendrai pas, ce qui serait absurde, la thèse d’une influence directe du pouvoir élyséen sur la décision du tribunal administratif de Paris du 22 juin retirant son agrément à Anticor (franceinfo) avec effet rétroactif au 2 avril 2021 (ce qui représente un sadisme certes autorisé mais qui n’était vraiment pas nécessaire sauf à justifier les pires soupçons). Il n’en demeure pas moins que le « caractère désintéressé et indépendant » qui ferait défaut pour que l’agrément soit confirmé représente davantage un argument polémique qu’une considération objective. Est d’ailleurs moins contesté l’ancien don de 64 000 euros (Libération) que son supposé manque de transparence ! Les deux dissidents anciens membres d’Anticor qui ont fondé leur recours sur cet élément ont pourtant été approuvés au point qu’on a le droit de s’interroger sur la fabuleuse opportunité qui a été donnée au pouvoir, par l’entremise d’un tribunal administratif aussi théoriquement indépendant qu’il soit, de rogner gravement les ailes d’Anticor.

On n’est même pas obligé de suspecter une malveillance de la part de Matignon, le 2 avril 2021, dans la rédaction relative au renouvellement de l’agrément (France Inter) : une forme de désinvolture et d’incompétence est largement suffisante pour expliquer le couac d’autant plus qu’il a fallu pas moins de huit mois pour que cette issue favorable survienne. Il est clair que l’enthousiasme ne prévalait pas alors et que j’imagine bien que la notification par écrit du refus de l’agrément à Anticor le 23 au matin n’a pas dû désespérer le pouvoir…

Qu’on veuille bien faire le compte de toutes les affaires dont Anticor a été à l’initiative et on constatera que l’Etat de droit de notre pays aurait été sensiblement réduit sans les diligences de cette association anticorruption qui se vante de son apolitisme même si les exemples sont rares de son universalité. Anticor a relevé appel de cette décision du tribunal administratif. Les conséquences immédiates, sur le plan civique, ont été une mise en cause du pouvoir et un afflux de soutiens à Anticor.

Au-delà de ce double effet, puis-je suggérer que le macronisme soit cette fois intelligent face à ce qu’il a coutume de mépriser : l’exigence de la morale publique n’est pas une honte et il est sain politiquement et démocratiquement de tenir compte des condamnations de ses transgressions multiples, quelle que soit la Justice saisie.

Justice au Sibgulier