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    Des graffitis sont inscrits sur un wagon de métro en hommage à Nahel Merzouk, tué par balle lors d’un contrôle routier le 27 juin.
    Des graffitis sont inscrits sur un wagon de métro en hommage à Nahel Merzouk, tué par balle lors d’un contrôle routier le 27 juin/Afp

    Janie Dussault

    « Cagnotte de la honte » pour certains, « appui aux forces de l’ordre » pour d’autres : une campagne de sociofinancement en soutien au policier ayant abattu un Franco-Algérien de 17 ans, lancée par un polémiste de l’extrême droite française, suscite à la fois un fort engouement et de vives oppositions.

    Cette initiative d’un ancien conseiller de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour a amplifié les divisions au sein de la société française, secouée depuis une semaine par des émeutes d’une rare intensité.

    Mardi soir, l’opération de soutien aux forces de l’ordre avait amassé près de 1,6 million d’euros (environ 2,3 millions de dollars canadiens). C’est quatre fois plus que la campagne d’appui à la famille du jeune Nahel Merzouk, tué par balle lors d’un contrôle routier le 27 juin. Au moment où ces lignes étaient écrites, la cagnotte organisée pour la mère de la victime s’élevait à 400 000 euros.

    La campagne de sociofinancement a été lancée sur la plateforme GoFundMe par Jean Messiha, figure bien connue de l’extrême droite française. Il a affirmé au cours des derniers jours qu’il préférait « faire une cagnotte pour un policier plutôt que pour un délinquant ».

    Le policier s’est retrouvé en prison « en ayant fait son métier. Moi, je soutiens la France, ceux qui servent la France », a-t-il déclaré à la chaîne CNEWS.

    Séduction et guerre culturelle

    Cette stratégie de Jean Messiha vise à « dédiaboliser » l’extrême droite et à adoucir son image en montrant du civisme, du soutien et de la solidarité, estime David Morin, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention du radicalisme et de l’extrémisme violents à l’Université de Sherbrooke.

    Cette image d’apaisement contraste avec les émeutes qui ont surgi dans plusieurs grandes villes françaises dans la dernière semaine, souligne le professeur. « Avec cette cagnotte, l’extrême droite se positionne avec un discours sécuritaire et pro-forces de l’ordre, en plus de consolider le vote des policiers qui, dans des élections passées, penchaient fortement vers le Rassemblement national », explique-t-il.

    Ce discours décomplexé de l’extrême droite française s’inspire, selon lui, des mouvances de droite états-uniennes qui s’appuient sur une guerre culturelle et sur l’idée d’un choc des civilisations.

    Appui à la répression

    Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques et chercheur rattaché à l’Institut des relations internationales et stratégiques de Paris, observe lui aussi que la campagne de Jean Messiha va bien au-delà du simple élan de générosité envers un agent de la paix. « Le policier, qui est présentement placé sous examen, sa famille et son avocat n’ont rien demandé », fait valoir le politologue.

    Il estime que les 83 000 donateurs à la campagne de soutien au policier appuient une forme « de répression vis-à-vis les populations des quartiers populaires ». Les contributeurs à l’initiative de M. Messiha feraient ainsi valoir que « la police a toujours raison et que les gens qui habitent les quartiers populaires — et plus spécifiquement les personnes issues de l’immigration, même si elles sont de nationalité française — ont toujours tort », indique M. Camus.

    Dans ses interventions publiques, Jean Messiha a mis en opposition les Français partisans de la loi et ceux qui sèment le chaos. « Leur monde s’écroule. Le nôtre renaît. Merci et bravo ! » : ces mots publiés sur le compte Twitter de M. Messiha sont une référence au programme politique de Reconquête, le mouvement d’Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle de 2022, selon le professeur David Morin.

    Dans une vidéo publiée à 18 h, heure de la France, Jean Messiha annonce la fermeture de la cagnotte le soir même à minuit. Assise devant un échiquier, la figure de droite remercie les contributeurs qui ont, selon lui, « montré [leur] soutien [aux] forces de l’ordre qui, au quotidien, se battent pour que la France reste la France ». Il informe également son auditoire qu’il crée un fonds de soutien aux forces de l’ordre qui font face à des difficultés.

    Le Devoir