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Le départ de Riad Salamé de la banque centrale du pays, à l’heure d’une crise qui a plongé 80 % de la population dans la pauvreté, est symptomatique d’un Etat dont les dirigeants ont abdiqué leurs reponsabilités : il n’a plus de président depuis neuf mois et son gouvernement se contente d’expédier les affaires courantes.
Le départ de Riad Salamé de la Banque du Liban, le 31 juillet, s’est fait aux sons d’une fanfare. Il est pourtant symptomatique d’un Etat au sein duquel les dirigeants politiques ont, depuis longtemps, abdiqué leurs responsabilités. Le banquier central quitte l’institution après trente ans à sa tête, avec à son actif la pire crise économique et financière qu’ait connue le pays du Cèdre, une dizaine d’enquêtes ouvertes contre lui en Europe et au Liban pour détournement de fonds publics et blanchiment d’argent, et deux mandats d’arrêt internationaux émis par la France et l’Allemagne.
Les déposants libanais ont été spoliés de leurs économies, les banques sont en faillite, 80 % de la population est tombée dans la pauvreté sous l’effet de la dépréciation de la monnaie nationale et de l’hyperinflation, mais le gouverneur de la banque centrale estime qu’il n’a pas à rougir de son bilan ni à porter « la responsabilité de l’effondrement » du Liban. Coresponsables de cette crise, les dirigeants politiques n’ont, quant à eux, pas même jugé bon de lui trouver un successeur. La dégringolade de l’économie se poursuit pourtant en l’absence de réformes auxquelles ils font obstacle.
Un vide institutionnel béant
A la tête de la banque centrale, comme déjà de la sûreté générale, et peut-être aussi dans quelques mois de l’armée, des intérimaires ont pris les rênes. Quant à la plus haute fonction de l’Etat, la présidence de la République, elle est vacante depuis neuf mois. Le général Michel Aoun a terminé son mandat fin octobre 2022, sans assumer, lui non plus, sa responsabilité dans le naufrage libanais, ni même dans l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui a tué au moins 220 personnes. Trois ans plus tard, aucun responsable politique n’a encore été jugé.
Ce vide institutionnel béant ne semble pas inquiéter. Le Parlement ne s’est plus réuni depuis son échec à nommer le chef de l’Etat en juin. Le gouvernement sortant se contente d’expédier les affaires courantes. L’illusion d’une embellie est entretenue, le temps de la trêve estivale, par les devises rapportées dans ses valises par la diaspora libanaise. Les sujets qui fâchent sont renvoyés à la rentrée. En septembre, Jean-Yves Le Drian reviendra au Liban comme envoyé spécial du président Emmanuel Macron pour tenter de trouver un compromis entre responsables libanais sur la nomination du président de la République.
La France se targue, à juste titre, d’être l’un des derniers pays à ne pas baisser les bras face à l’impasse libanaise. Au sein même du « quintette » (Arabie saoudite, Egypte, Etats-Unis, France et Qatar), formé pour tenter de débloquer le dossier présidentiel, Paris peine à maintenir l’intérêt de ses pairs. Les donateurs étrangers et les ONG s’interrogent de plus en plus sur le sens de leur mission. Les perfusions d’aide internationale encouragent les dirigeants politiques à soustraire l’Etat à ses responsabilités envers les Libanais.
Déjà chargé en 2020, alors comme ministre des affaires étrangères, du plan d’Emmanuel Macron pour sortir le pays du Cèdre de la crise économique et financière, Jean-Yves Le Drian a quitté, deux ans plus tard, le Quai d’Orsay sans obtenir de concessions des dirigeants libanais. En l’absence d’avancées, il sera grand temps d’acter l’échec de la stratégie française au Liban. Elle ne profite qu’aux chefs communautaires pour gagner du temps et pour maintenir les Libanais otages de leur funeste incompétence.