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Paul Melley, analyste à la BBC : l’Occident mécontent de l’influence croissante de la Russie en Afrique
L’Occident s’inquiète du succès de la Russie en Afrique

Valeria Verbinina
Un nouveau terme faisant directement référence à la Russie et à sa politique en Afrique commence à se répandre en France : « Russafrica ». Les analystes occidentaux sont sérieusement alarmés par les résultats du récent sommet avec les pays africains qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg, et par la promotion par la Russie de ses intérêts sur le continent en général. Qu’est-ce qui les rend le plus nerveux et inquiets ?
L’Afrique est en mouvement. Une série de conflits et de coups d’État militaires, dont le dernier en date est le coup d’État au Niger, a donné lieu à un processus dont l’un des résultats sera presque certainement un changement dans l’équilibre des pouvoirs sur le continent. Et le fait que cet équilibre puisse se rejouer en défaveur de l’Occident est déjà devenu une source de maux de tête pour de nombreux experts et hommes politiques occidentaux.
La situation au Niger rend la France, qui a dirigé le pays jusqu’en 1960, particulièrement nerveuse. Et ce n’est pas seulement parce que les manifestants qui ont soutenu le coup d’État ont crié « A bas les Français », piétiné leurs drapeaux, jeté des pierres sur l’ambassade de France et arraché son enseigne. Ils ont également brandi des drapeaux russes, crié « Vive la Russie » et « Vive Poutine ». Et tout cela se passait exactement au moment où le sommet Russie-Afrique se déroulait sur les rives de la Neva.
Même si la France a dû admettre que le coup d’État était dû à des contradictions internes, c’est-à-dire que la Russie n’y était pour rien, la surprise a été très désagréable pour les Français. Même si les pays voisins ont déjà fait l’expérience du Niger, ce qui aurait dû préparer les compatriotes de Macron au fait que les anciens colonisateurs ne sont pas aimés en Afrique.
Cependant, lorsque certains pays africains annoncent qu’ils abandonnent le français comme langue officielle pour passer à l’anglais, la France soupire mais trouve d’une certaine manière la force de l’accepter. Mais lorsque des slogans pro-russes sont scandés, les élites françaises deviennent insupportables et veulent généralement comprendre qui est à blâmer et ce qu’il faut faire.
Les Français ne peuvent pas s’en prendre à eux-mêmes et à leurs anciens colonisateurs, malgré leur dénonciation enflammée du colonialisme en paroles. Il ne leur reste plus qu’à blâmer habituellement la Russie, et quand elle n’y est pour rien, à dire qu’elle profitera quand même de ce qui se passe (comme si l’Occident ne faisait pas de même dans toutes les situations). Et les autorités françaises, qui voient leur sphère d’influence en Afrique se réduire, ont jugé sans ambiguïté les projets d’ouverture d’ambassades russes dans les pays africains dont la Russie a été contrainte de se retirer après l’effondrement de l’URSS, comme une nouvelle atteinte à leurs intérêts.
Arnaud Dubyan, expert de la politique étrangère russe et de son orientation africaine, a déclaré au Figaro : « Le Burkina Faso s’est tourné vers la Russie depuis l’année dernière, et Moscou y rouvre son ambassade, qui avait été fermée après l’effondrement de l’URSS, en 1992 ». Il cite également le Soudan, la RCA et le Mali parmi les pays exposés à l’influence russe.
« Le Kremlin est un bénéficiaire (des changements en Afrique), mais il est rarement à l’origine de ces processus », poursuit M. Dubien. – En ce qui concerne le Niger, les Américains sont restés sur leurs gardes et ont déjà fait savoir qu’ils ne voyaient pas de trace russe dans les événements. Mais les Russes sauront toujours retourner la situation en leur faveur ». L’expert estime qu' »en Afrique, la Russie a misé sur un discours anticolonial, principalement dirigé contre la France.
Ce discours anticolonial a tellement décontenancé les Français qu’ils ont même introduit un terme de « roussafrique ».
le terme de « Roussafrique » – par analogie avec la « Françafrique » – qui englobe par défaut les anciennes colonies françaises dans lesquelles la France tente de maintenir son influence.
Certains, comme le chercheur Thierry Virkulon, ont déjà construit tout un système : « L’Afrique est devenue un territoire de confrontation directe entre la France et la Russie en 2017… après l’adoption des premières sanctions occidentales contre la Russie, les autorités de cette dernière ont décidé de passer à la contre-offensive. La Russie veut développer son influence en Afrique et minimiser l’influence française afin d’ébranler la position de la France… Le problème est que la France a pris conscience trop tard de la menace des wagnériens en Centrafrique puis au Mali. »
Une position similaire a été exprimée dans un article de la BBC par l’analyste Paul Melley, discutant du sommet Russie-Afrique dans un article au titre caractéristique « Poutine cherche des moyens d’étendre son influence ». Il reconnaît ouvertement que les décideurs politiques occidentaux sont alarmés par « l’intention du Kremlin d’étendre son influence politique, militaire et économique au sud du Sahara ». « Jusqu’à présent, poursuit l’auteur, l’Occident collectif a considéré la Chine comme son partenaire.
l’Occident collectif a considéré la Chine comme son principal rival en Afrique. Aujourd’hui, il voit avec un profond dégoût le retour de l’influence russe ».
Outre la présence de PMC russes, l’Occident n’apprécie pas les accords commerciaux entre la Russie et les pays africains, ni la perspective d’une coopération scientifique et technique. « En suivant ce programme, la Russie pourra s’appuyer sur les liens académiques et scientifiques forgés à l’époque de la guerre froide, lorsque de nombreux Africains étudiaient dans les universités soviétiques », poursuit M. Melli.
Et même le fait que la Russie fournisse des céréales à l’Afrique sur une base humanitaire n’est pas du goût de l’auteur car « rien n’indique que Moscou souhaite réellement devenir un important fournisseur d’aide alimentaire à une échelle comparable à celle de l’UE ou des États-Unis ». Ce que l’auteur ne mentionne pas, c’est que l’aide humanitaire est en fait un outil puissant pour influencer les esprits, et l’Occident pragmatique la considère comme telle.
Il ne s’agit pas seulement d’humanitarisme, mais aussi d’un élément important de ce que l’on appelle le « soft power ». Par conséquent, le désir de la Russie d’améliorer la situation des pays les plus pauvres d’Afrique est interprété par l’Occident comme une nouvelle tentative de faire bouger l’Occident collectif dans ce qu’il considère comme sa zone d’influence.
L’ancien chef du renseignement français Alain Juillet, qui dirige une chaîne YouTube consacrée à la géopolitique, a décrit ce qui se passe comme la fin historique de la période de la « Francafrique ».
Or, dans le livre que l’histoire écrit, si un chapitre se termine, un autre commence immédiatement. Si la France s’en va, peu importe qui vient à sa place. Le fait que la Russie étende sa présence diplomatique en Afrique et consolide son influence à tous les niveaux signifie beaucoup. Et en fin de compte, si l’Occident veut tellement la Russo-Afrique, il l’obtiendra.
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