Étiquettes
Thierry LEBEAUX

Loin d’être un simple épiphénomène ou une réaction épidermique du public, les sifflets contre Emmanuel Macron le 8 septembre au Stade de France sont, par leur ampleur, le symptôme de la crise politique profonde que le pays connaît depuis sa réélection et à laquelle il rechigne à répondre.
On n’a pas le souvenir d’un chef d’État déclarant l’ouverture d’une coupe de monde de rugby. Même Nelson Mandela, revêtu du maillot de l’équipe nationale, qui célébrait par la coupe du monde de 1995 le retour de son pays dans le concert des Nations après l’apartheid, s’en était dispensé alors que le caractère historique de la situation aurait pu s’y prêter. Parfaitement conscient de la dimension politique de l’événement, « sa » coupe du monde de rugby devait, en apparence au moins, rester une affaire de ballons ovales. Le 7 septembre 2007, pour l’ouverture contre l’Argentine au Stade de France de la Coupe du monde, Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, n’avait pas fait de discours non plus.
Mais Emmanuel Macron, décidément, ne fait rien comme les autres. L’occasion était trop belle pour son ego surdimensionné qu’aucun surmoi n’arrive à dompter. Et ce n’est pas tous les jours qu’une telle opportunité s’offre à lui, qui déjà trépigne d’impatience à l’idée de déclarer l’ouverture des Jeux olympiques de Paris en 2024. N’écoutant que son orgueil, il s’élança sur la pelouse, devant le pupitre. Une formidable huée spontanée de sifflets retentit alors contre lui d’une foule à l’unisson. Et en mondiovision, s’il vous plaît !
Il affecta de jouer l’indifférence, mais le rôle de composition requérait plus de talent que l’ex-amateur de théâtre n’en eut jamais. À la face qu’il montra, sa mâchoire crispée, ses mouvements de tête balayant tout l’horizon de droite à gauche et retour, trahissant une certaine surprise, visiblement désemparé, on imagine les sombres idées qui lui auront traversé l’esprit quand il est parti se rasseoir dans sa tribune officielle. Peut-être s’est-il même fait enguirlander par Brigitte, elle qui a un peu plus le sens du ridicule, de retour aux appartements privés de l’Élysée ! Le réalisateur de TF1, prudent, a jugé ensuite judicieux, pour sa propre sécurité de l’emploi, de ne jamais montrer la moindre image du président pendant tout le match, afin d’éviter la réitération d’une bronca qui n’aurait rien eu à envier à celle qui sanctionna la passe en avant flagrante à l’origine du second essai des All Blacks. On n’aura donc pas vu notre président une nouvelle fois s’exhiber en débauche, debout et extatique, en bras de chemise, les poings vengeurs levés au ciel comme on le vit dans le stade Al-Bayt d’Al-Khor au Qatar devant les bleus du ballon rond.
La télévision d’État et les autres médias mécènes de Macron sont restés discrets sur les sifflets qualifiés de « modérés », quand ils étaient en fait assourdissants. Et les causes n’ont pas été analysées. Réprobation du peuple contre l’appropriation malsaine d’un évènement sportif qui ne le concerne pas ? Contre sa recherche permanente de visibilité, lui que l’on voit déjà trop ? Ou tout simplement parce que jamais un président français ne s’était exposé à une telle mascarade, suscitant comme un sentiment de gêne à ses compatriotes ?
L’évènement n’est pas anodin. Il reflète la passe complexe que vit la France depuis la réélection de Macron en avril 2022, et l’impasse politique dans laquelle il se trouve depuis la perte de sa majorité en juin 2022. Une situation aggravée bien sûr par la « funeste connerie » (on reconnaît son style châtié, inédit pour un président) de ne pouvoir se représenter à un troisième mandat, lui qui détruisit tout le paysage politique aussi durablement que l’indépendance énergétique nucléaire nationale et qui rage maintenant de ne pouvoir récolter plus longtemps les dividendes de la jachère politique qu’il laissera. Car un président inéligible est, chaque jour qui passe, un peu moins le président.
Ces sifflets sont ceux de Français qui commencent à bien cerner la politique éthérée de la Macronie, de ce président-ectoplasme changeant de direction, d’humeur, de certitudes et référence en permanence. Une politique faite d’esbroufe, d’effets annonce, de promesses, de grandes initiatives, de débat, de consultations et de défausse systématique sur les autres qui toujours, invariablement, font pschitt tant tout cela ne sert qu’à habiller ses décisions prises seul. Jusqu’à son Conseil National de la Refondation, qu’il doit déjà « refonder » après à peine un an. Ces sifflets fustigent la gouvernance autoritaire, personnelle, immature d’un homme dépourvu de cette expérience élective qui lui fait cruellement défaut quand il s’agit de comprendre le peuple. Et qui ainsi, à chaque fois, se « plante », si l’on ose parler son langage. On anticipe le jour où, comme Chirac devant les jeunes dans son débat sur l’Europe le 14 avril 2005 avant le référendum, il écarquillera les yeux lorsque sa déconnexion avec le peuple lui apparaîtra enfin. Mais pour l’heure, il réfléchit toujours aux causes des émeutes, lui qui connaît les banlieues uniquement lorsqu’elles sont préalablement karchérisées par sa maréchaussée avant d’y pénétrer.
Il avait pourtant donné illusion, le soir de sa réélection, en reconnaissant qu’une part de son succès n’était pas le produit d’une forte envie de Macron, mais surtout du rejet de sa concurrente. Chassez le naturel et il revient au galop : ces bonnes paroles vite oubliées, il conserva Élisabeth Borne à Matignon en dépit de la perte de sa majorité absolue. Il ne pourrait y avoir de meilleure preuve qu’il n’a pas compris le message envoyé par le peuple. À moins — ce qu’on ne saurait exclure totalement — qu’il crut bon pouvoir s’en ficher royalement. Il voulut la renvoyer après la séquence des 100 jours à peu près catastrophique, qu’il jugea réussie en dépit des apparences, quand Borne échoua sur tous les domaines qui lui avaient été assignés, à commencer par élargissement raté de sa majorité et à finir par la restauration de la paix sociale et de l’ordre public (s’il avait un doute, les sifflets sont là pour le lui rappeler !). Mais ses marges de manœuvre sont si étroites, et son « vivier » si restreint, qu’il se vit contraint de la conserver. Pour combien de temps ?
Mais admettons, à la décharge du Premier ministre, qu’il eût été utile à la réussite de sa mission de savoir à quoi Macron envisageait de consacrer son second quinquennat. C’est là le grand mystère : personne ne sait, peut-être pas même lui. Une chose est certaine : Élisabeth Borne — ou son successeur prochain — ne pourra pas tenir sa promesse de ne pas augmenter les impôts — le fait qu’elle joue sur les mots pour ne pas se priver d’augmenter les taxes ne leurrera pas longtemps les Français. Parce que pour y croire, il faudrait commencer par annoncer des baisses de dépenses publiques quand elle continue de les augmenter. Rappelons les propos de Gabriel Attal, encore ministre du Budget : « Ce serait mentir que de dire qu’il n’y aura pas un effort global demandé à tous les Français pour réduire la dette .» Et surtout, chacun a maintenant bien compris que l’ouverture façon Macron se limite à des débauchages individuels et à la recherche de supplétifs qui n’auront pas voix au chapitre. Pas très excitant pour convaincre d’embarquer sur le Titanic quand on en sait le destin !
Alors qu’il précise que le remaniement de juillet vise d’abord « à renforcer le régalien », il ne change aucun des ministres régaliens, sauf Pap Ndiaye dont l’erreur de casting devenait impossible à masquer. On retrouve donc Bruno Le Maire, qui questionne, pour se défausser sur son ancien parti : « Les LR seront-ils au rendez-vous du désendettement de la France ? » Lui dont on n’a pas souvenir qu’il ait sollicité leur avis quand il s’est agi de creuser la dette. De même pour Gérald Darmanin, aigri de ne pas avoir été nommé Premier ministre et qui le fait savoir, face à Éric Dupond-Moretti, le parfait duo du « en même temps » quand le tropisme envers les délinquants du second (son ancien fonds de commerce) fait en sorte de systématiquement annihiler la fermeté répressive affichée du premier. Et que dire de la nomination d’Aurélien Rousseau à la Santé, ancien directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, quand on connaît le rôle déstructurant que les ARS ont joué dans l’aggravation de la crise sanitaire ? Ni, pour parler des sous-fifres, de la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, clairement mandatée pour casser les médias qui ne chantent pas l’évangile de Macron sans fausse note au moment où s’engagent les États généraux de l’information. Cette initiative est concomitante à la « loi Avia » européenne lancée par le commissaire français Thierry Breton : il a des lendemains qui risquent de déchanter pour la démocratie et la pluralité de l’information en France…
Passée cette phase délicate du remaniement en plein été, sur fond de villes dévastées par les émeutes ponctuées de prises de paroles récurrentes d’un président qui n’a toujours rien dit d’important, il annonce mi-juillet, fidèle à sa tactique du faux suspense, une « grande initiative politique » pour la rentrée. Voilà un teaser, comme a dû lui dire McKinsey, qui ne manque pas d’intérêt pour lui permettre de passer l’été tranquille ! Parce que compte tenu de la situation politique exceptionnelle dans laquelle se trouve le pays, cette « grande initiative » ne saurait être, elle aussi, qu’exceptionnelle. On lève alors les yeux vers le portrait de de Gaulle, en priant que le fondateur de la Ve République inspire quelque chose de grandiose à son lointain successeur. Qu’il lui confère un peu de cette profondeur, de ce courage politique qu’il s’évertue à fuir consciencieusement depuis le premier jour. Car à situation exceptionnelle, il n’y aurait pour de Gaulle que deux initiatives possibles. D’abord la dissolution, sans aucun égard pour le risque politique. Ou le référendum, que de Gaulle travestissait en plébiscite, qu’il proposerait précisément pour son risque politique !
Mais de Gaulle est trop grand et l’inspiration dut passer trop haut au-dessus de la tête de Macron pour l’atteindre. « J’ai invité tous les chefs de partis parlementaires à un dîner. » Deux surprises toutefois : il n’a pas eu lieu à l’Élysée et le Rassemblement national y fut convié. Là s’arrête l’exceptionnel. La réalité est que Macron, bien conscient de la faillite borniènne de l’élargissement de sa majorité des 100 jours, tente de réussir là où elle a échoué parce qu’il n’y a pas d’autre porte de sortie de crise politique, hormis celles du retour au peuple qu’il se refuse d’emprunter.
Il ne le dit pas, mais son champ des possibles se limite au seul parti des Républicains (LR). Avec les élections européennes maintenant en vue, quand les électeurs du parti (ou ce qu’il en reste) auront la possibilité de faire connaître leur mécontentement face à la politique de sauvetage systématique de Borne au cours des 17 dernières motions de censure, il est peu probable sauf à vouloir se suicider que LR cède aux sirènes de Macron. La perspective existe que le parti LR pourrait enfin voter une motion de censure, pour leur survie à défaut de celle du pays. Par exemple, à l’occasion d’un probable 49.3 sur la future loi sur l’immigration, l’Arlésienne du second mandat. Et par là rappeler à Macron qui commande quand on n’a pas de majorité absolue.
Macron sent le danger. Il recule, propose un « préférendum », un véritable OINI (objet institutionnel non identifié) comme il en a le secret et dont le principal vice est, toujours, de se soustraire à sa responsabilité devant les Français — l’anti-de Gaulle, en somme, qui fuit le peuple au lieu de provoquer sa rencontre. Et peu importe qu’en l’état, la Constitution ne lui permette pas de l’organiser, il n’est pas à une violation de l’esprit de la Constitution près, comme cela a déjà été développé ici.
Ainsi se dessine le nouveau chantage macronien, qui rêve toujours par orgueil d’inscrire son nom à une réforme constitutionnelle (l’obsession de la trace…) : soutenez ma révision si vous voulez votre référendum sur l’immigration ! Il faudra bien lire entre les lignes et les petits caractères qu’il n’y glisse pas subrepticement l’abrogation de cette « funeste connerie », l’interdiction d’un troisième mandat consécutif…
Crédits illustration : © SAIDI CHRISTOPHE
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.