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L’armée russe est de plus en plus vulnérable, même en Crimée, loin du front. En attaquant le port de guerre de Sébastopol, l’Ukraine a pu prouver la force de frappe de ses nouvelles armes.

Andreas Rüesch

Une image de l’agence publique russe Tass montre le quartier général de la flotte à Sébastopol, partiellement brûlé et fortement endommagé.Tass / Imago

Neuf jours seulement après une attaque spectaculaire de grande envergure contre le port de Sébastopol, contrôlé par la Russie en Crimée, l’armée ukrainienne a porté vendredi un nouveau coup au cœur de la puissance militaire russe sur la mer Noire. Contrairement au 13 septembre, ce ne sont pas des navires de guerre russes qui ont été touchés dans un chantier naval, mais le quartier général de la flotte de la mer Noire lui-même. Situé sur une colline surplombant le port, il est visible de loin avec ses façades à colonnes de style classique.

Il ressort d’images et de vidéos que le quartier général a subi de graves dommages. Le bâtiment central a pris feu, des nuages de fumée sombre recouvraient la ville dans l’après-midi. L’aile ouest du bâtiment a apparemment également été touchée et s’est effondrée par endroits. Le grondement de la défense antiaérienne russe donnait l’impression que Sébastopol se trouvait au milieu d’une zone de guerre – ce qui correspond de plus en plus à la réalité.

Entre-temps, de la fumée s'élève encore du quartier général de la flotte de la mer Noire qui a été frappé à Sébastopol. pic.twitter.com/t9emTRbeft
- NOELREPORTS 🇪🇺 🇺🇦 (@NOELreports) septembre 22, 2023

Plusieurs victimes

Selon les informations officielles russes, l’attaque n’a fait que des blessés, une personne étant portée disparue. Les services de renseignement militaire ukrainiens ont en revanche affirmé qu’il y avait eu neuf morts et que le commandant pour le front de Zaporijia, le colonel-général Alexandre Romantchouk, avait été grièvement blessé. Il n’existe aucune preuve de cela. De même, la version de l’état-major ukrainien selon laquelle le commandement de la flotte était réuni pour des consultations au moment de l’attaque n’est peut-être qu’un ornement de propagande. Un nombre considérable de victimes, parmi lesquelles des officiers supérieurs, ne serait toutefois pas surprenant au vu des dégâts.

Des débris ont été projetés à plusieurs centaines de mètres, a rapporté un correspondant de l’agence publique Tass. Les autorités ont demandé à la population de ne pas se rendre dans le centre-ville et ont décidé d’évacuer temporairement les maisons situées dans la zone de danger. Lorsque des explosions ont à nouveau été entendues samedi matin et que des panaches de fumée se sont élevés au-dessus de la baie de Sébastopol, le gouverneur a déclenché deux fois de suite l’alerte aux missiles et a ordonné aux habitants de se rendre dans un endroit protégé.

Dès la première année de guerre, les Ukrainiens avaient lancé des attaques contre les installations de la marine de guerre à Sébastopol, notamment avec des drones marins, mais les événements de ce mois-ci sont sans précédent. La semaine dernière, les Ukrainiens sont parvenus à endommager un grand navire de débarquement de classe Ropucha et un sous-marin à propulsion diesel, stationnés dans une cale sèche, à tel point qu’ils sont probablement irréparables.

Base cartographique : © Openstreetmap, © Maptiler

1- Quartier général, 22 sept.

2 – Chantier naval, 13 sept.

3- Destination inconnue, 23 sept.

Comme à l’époque, des missiles de croisière de type Storm Shadow franco-britannique ont apparemment été utilisés vendredi. La plateforme d’analyse russe Rybar, proche de l’armée, a décrit une opération complexe en plusieurs étapes. Selon ce rapport, les Ukrainiens ont d’abord attaqué avec un missile anti-navire de type Neptun, puis avec des drones de combat et enfin avec des Storm Shadows. L’opération a été accompagnée d’une cyberattaque qui a partiellement paralysé l’Internet en Crimée.

Seul un missile de croisière ukrainien a atteint sa cible, selon la version initiale de la Russie. Des sources d’images ont toutefois démenti cette affirmation – une vidéo a notamment montré un missile de croisière s’abattant sur le bâtiment déjà en feu. Rybar a finalement admis qu’il y avait eu trois impacts successifs sur le quartier général.

Footage of a Ukrainian Storm Shadow/Scalp ALCM hitting the Russian Black Sea Fleet headquarters. pic.twitter.com/WiZCrAiXuh
- OSINTtechnical (@Osinttechnical) septembre 22, 2023

Défense aérienne affaiblie

Le coup direct porté à l’état-major de la flotte de la mer Noire est un succès remarquable de Kiev. Il prouve que Moscou n’est même plus en mesure de protéger suffisamment la zone la plus importante sur le plan militaire en Crimée. Il s’agit très probablement de la conséquence d’attaques antérieures menées par les Ukrainiens. Ils ont peu à peu éliminé des éléments de la défense antiaérienne russe sur la péninsule occupée.

La destruction d’éléments de deux batteries S-400 fin août et mi-septembre sur la péninsule de Tarchankut, au nord de Sébastopol, et près de la ville d’Evpatoria a fait particulièrement sensation. Le bouclier de défense russe s’en est trouvé aminci. Le S-400 est le meilleur système de défense antiaérienne longue portée de Russie, conçu pour frapper de manière fiable les missiles, drones et missiles de croisière ennemis.

Reste à savoir à quel point la flotte de la mer Noire est désormais vulnérable. En revanche, le calcul des Ukrainiens est clair : il ne s’agit pas d’un simple succès de prestige contre l’une des plus grandes flottes de guerre du monde. Kiev veut réduire de plus en plus la marge de manœuvre militaire de la Russie dans le nord de la mer Noire – et, dans l’idéal, faire de Sébastopol une base intenable pour la flotte. Après que les Ukrainiens ont déjà endommagé ou détruit 16 grands et petits navires de guerre russes dans la région de la mer Noire, ce n’est plus une utopie totale.

Un blocus réussi

Cela a une double signification pour la guerre. D’une part, la Russie lance régulièrement des attaques aériennes sur des cibles stratégiques en Ukraine depuis les navires de guerre armés de missiles de croisière à Sébastopol. D’autre part, depuis la dénonciation de l’accord sur les céréales, la flotte de la mer Noire menace la libre circulation des navires et notamment les exportations de céréales, essentielles à la survie de l’Ukraine. Kiev souhaite briser le blocus russe.

Dès à présent, la partie ukrainienne se sent suffisamment forte pour braver les menaces russes de couler des navires civils. Elle a ouvert cette semaine un couloir d’exportation à titre d’essai. Après qu’un petit navire de transport ait déjà pris la mer mardi depuis le port de Tchornomorsk près d’Odessa, un grand cargo, l' »Aroyat », a osé faire le voyage vendredi pour la première fois avec 18 000 tonnes de blé à bord. Il doit traverser le Bosphore pour rejoindre l’Egypte. Samedi après-midi, l' »Aroyat » est arrivé sans encombre dans les eaux territoriales turques.

NZZ