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La violence survient alors que des accords de « paix » ont été conclus avec des États arabes, et rien de tout cela ne mettra fin au conflit entre Israël et les Palestiniens.

Paul R. Pillar

La première réponse appropriée à l’attaque menée ce matin par le Hamas contre Israël est, selon les termes de la déclaration du président Biden sur le sujet, de « condamner sans équivoque » l’assaut. L’initiateur de ce nouveau cycle de guerre israélo-arabe ne fait aucun doute. Les premières victimes sont des civils innocents.

Le nombre de victimes de part et d’autre dès les premières heures de ce round en fait l’un des épisodes les plus meurtriers du conflit israélo-arabe de ces dernières années. Il est certain que le nombre de victimes va encore augmenter. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a promis de riposter d’une manière telle que « notre ennemi paiera un prix qu’il n’a jamais connu ». Même si la réponse d’Israël reproduit ce que son ennemi connaît bien depuis les précédentes séries d’attaques israéliennes contre la bande de Gaza, les pertes palestiniennes, dont de nombreux civils innocents, seront plusieurs fois supérieures aux pertes israéliennes.

Et rien de tout cela ne rapprochera quoi que ce soit qui ressemble à la paix entre Israéliens et Arabes.

Le Hamas s’expose au ressentiment des habitants de Gaza qui reprocheront au groupe – qui fonctionne comme le gouvernement de facto de la bande de Gaza – d’être à l’origine des destructions provoquées par les représailles israéliennes. Lors des précédentes confrontations avec Israël, le Hamas a dû trouver un équilibre entre ce risque et le soutien qu’il espérait obtenir en se présentant comme le plus fervent défenseur du nationalisme palestinien et l’opposant à l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Pour comprendre pourquoi les calculs du Hamas ont fait pencher la balance cette fois-ci en faveur d’une attaque, il faut de multiples explications.

Un porte-parole du Hamas a justifié l’attaque de manière générale en déclarant : « Nous voulons que la communauté internationale mette fin aux atrocités commises à Gaza, contre le peuple palestinien, contre nos lieux saints tels qu’Al-Aqsa. Tous ces éléments sont à l’origine de cette bataille ». L’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, que les juifs appellent le Mont du Temple, est de plus en plus un point sensible, avec la rupture d’accords antérieurs limitant la prière juive sur le site, et un raid israélien au début de l’année contre des fidèles palestiniens à la mosquée. Les violences israéliennes à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie ont également augmenté, tant de la part de l’armée israélienne que des colons de Cisjordanie.

Nombre de ces aspects de l’exacerbation de la confrontation israélo-palestinienne ont coïncidé avec l’entrée en fonction, en décembre dernier, de l’actuel gouvernement israélien d’extrême droite. Il est possible que l’opération du Hamas ait été planifiée depuis le début de l’année, après que l’orientation du gouvernement israélien soit devenue claire.

Les négociations américano-israélo-saoudiennes visant à une normalisation complète des relations diplomatiques israélo-saoudiennes – négociations qui, à certains égards, semblent sur le point de porter leurs fruits – ont pu constituer un élément déclencheur plus spécifique. Du point de vue palestinien général, tout accord diplomatique tripartite de ce type constituerait un pas en arrière pour l’autodétermination palestinienne, car l’objectif d’Israël est de profiter de ces fruits sans faire la paix avec les Palestiniens. Du point de vue du Hamas, l’Autorité palestinienne rivale adopte une attitude remarquablement complaisante à l’égard de la perspective d’un renforcement des liens israélo-saoudiens, semblant se contenter de rester dans son rôle d’auxiliaire de l’occupation israélienne. Il revient donc au Hamas de s’opposer activement à ce retour en arrière. L’interruption de la diplomatie visant à normaliser les relations israélo-saoudiennes pourrait avoir été l’une des motivations de l’attaque du Hamas.

Ni le gouvernement israélien ni le gouvernement américain ne se laisseront décourager dans leurs efforts de normalisation, et l’attaque pourrait même renforcer le désir de l’administration Biden de conclure un tel accord. La variable clé est la position du régime saoudien. Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MbS) souhaite très certainement encore conclure un accord qui réponde à la plupart de ses exigences en matière de garanties de sécurité, de ventes d’armes et d’assistance nucléaire. Mais toute aggravation de l’effusion de sang entre Israéliens et Arabes rend plus difficile pour tout dirigeant arabe, même MbS, de conclure de nouveaux accords avec Israël. Indépendamment de ses propres sentiments sur la question, MbS doit tenir compte de l’opinion publique saoudienne et de l’intérêt particulier que son père, le roi Salman, porte à la question palestinienne.

L’attaque menée aujourd’hui par le Hamas comprenait non seulement un barrage de roquettes, mais aussi une incursion terrestre qui s’est soldée par la capture d’Israéliens que le Hamas a ramenés dans la bande de Gaza. Israël confirme que des citoyens israéliens, dont des soldats et des civils, ont été pris en otage, sans que l’on sache exactement combien, mais probablement par dizaines. Les services de sécurité israéliens ne ménageront sans doute aucun effort pour tenter de sauver leurs ressortissants, mais le Hamas s’est montré habile par le passé à cacher ses prisonniers.

Cela implique qu’une fois la poussière de la bataille retombée, des négociations s’ensuivront sur, éventuellement entre autres, le retour des otages. L’acquisition d’une monnaie d’échange dans une telle négociation a probablement été une motivation supplémentaire du Hamas pour l’attaque. La libération des Palestiniens incarcérés par Israël est une contrepartie évidente. On estime à 4 500 le nombre de prisonniers dans les prisons israéliennes. Les échanges passés entre le Hamas et Israël ont vu un grand nombre de Palestiniens libérés en échange d’un nombre beaucoup plus restreint d’Israéliens. Un haut responsable du Hamas s’est vanté que l’attaque d’aujourd’hui avait permis au groupe de disposer de suffisamment d’otages pour libérer tous les prisonniers palestiniens actuellement détenus dans les prisons israéliennes.

Les otages humains pourraient également permettre au Hamas d’obtenir d’autres concessions, notamment diverses formes d’allègement du blocus israélien de la bande de Gaza. Toute victoire du Hamas dans ce sens, en plus de la libération des prisonniers palestiniens, pourrait contribuer à compenser le ressentiment des habitants de Gaza à l’égard de la réponse destructrice d’Israël à son attaque.

Les conséquences politiques en Israël sont plus prévisibles que dans la bande de Gaza. Même s’il y aura les récriminations habituelles sur un « échec du renseignement » et sur le fait que le gouvernement aurait dû être mieux préparé à l’attaque, l’escalade sanglante du conflit entre Israéliens et Arabes intensifiera, au moins à court terme, la politique d’extrême droite du gouvernement israélien d’extrême droite et contribuera à étouffer toute idée de concessions significatives à l’égard des Palestiniens. La nouvelle guerre sera une distraction unificatrice par rapport à la réforme judiciaire controversée du gouvernement et à l’affaire de corruption contre Netanyahou. À cet égard, le Hamas a peut-être rendu un service politique à Netanyahou avec cette attaque.

Dans une perspective plus large et à plus long terme, les événements d’aujourd’hui et la guerre qui s’ensuivra démontreront une fois de plus qu’en dépit des efforts déployés pour atténuer l’importance du conflit israélo-palestinien et pour mettre la question de côté par le biais d’accords de « paix » avec les États arabes, le conflit et ses conséquences déstabilisantes ne disparaîtront pas. La frustration des aspirations nationalistes ne fait pas disparaître les aspirations elles-mêmes, pas plus qu’elle ne fait disparaître le ressentiment suscité par le traitement oppressif d’un peuple. Cette fois-ci, la réponse violente a été orchestrée par le Hamas ; la prochaine fois, la réponse violente pourrait prendre une autre forme. Même avant les événements d’aujourd’hui, de nombreux observateurs avertis estimaient qu’il y avait de fortes chances qu’une nouvelle intifada, ou soulèvement populaire, se produise en Cisjordanie.

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