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Si les bouleversements des dernières décennies provoquent des conséquences similaires dans toute l’Europe, Jérôme Fourquet pointe, entre autres, quelques spécificités des frustrations françaises

Paul Ackermann

Face à l’explosion des repères politiques, il n’y a pas d’absolue exception française. Les bouleversements dus à la globalisation, la polarisation des débats et les frustrations liées à la société de consommation dans des économies parfois stagnantes ont eu des effets similaires dans pratiquement tous les grands pays européens: montée de l’extrême droite et fragmentation de l’offre politique, la fameuse «archipélisation» décrite par Jérôme Fourquet. Mais pour cet analyste politique français très en vue dont nous publions l’interview aujourd’hui, sur la question de la désindustrialisation, la France a été plus lourdement touchée. Et sur les diktats de la consommation, elle a peut-être poussé le modèle plus loin que les autres avec ses zones commerciales de périphérie (au doux surnom de «France moche»). Ce n’est pas un hasard si Carrefour et Auchan sont des géants mondiaux de la grande distribution, ils se sont fait la main sur leur marché national.

Résultat: le sentiment de déclassement qui nourrit le vote lepéniste se diffuse désormais si largement sur le territoire que ses sommets électoraux de 2002 sont devenus les planchers d’aujourd’hui. Autre spécificité: la bascule éducative qui fait que le pays est passé de 30 à 80% de bacheliers en trente ans. Ceux qui n’ont pas le bac, ultra-majoritaires à l’époque, sont devenus une minorité montrée du doigt. Et l’économie désindustrialisée française n’a pas créé autant de postes à haute valeur ajoutée qu’il en aurait fallu pour absorber tous ces diplômés du supérieur. Ce qui provoque des insatisfactions, que l’on retrouve dans la sociologie des candidats mélenchonistes avec beaucoup de professions du social, de la culture ou de la santé peu rémunérées mais très diplômées. Bref, les frustrations fleurissent de tous côtés.

Ajoutez à cela des modes de scrutin qui mettent presque tout le pouvoir entre les mains d’une minorité ou une absence de culture des coalitions et des consensus qui plonge le pays dans l’instabilité politique et vous obtenez des colères plus fortes et plus violentes qu’ailleurs. Des colères que l’on ne peut donc pas mettre exclusivement sur le dos d’une culture historiquement révolutionnaire ou d’un goût franchouillard pour la contestation. Et qui sont peut-être le signe d’un pays plus profondément divisé que les autres.

Le Temps