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Marco Fortier

Le choc a été brutal en Israël. Personne n’a vu venir les attaques terroristes des derniers jours contre des centaines de civils israéliens. Tout allait plutôt bien jusqu’à ces attentats d’une ampleur sans précédent : en mars dernier, l’État hébreu figurait même au quatrième rang des nations les plus heureuses de la planète, dans un palmarès du bonheur dressé chaque année par les Nations unies.

Cette liste des pays les plus heureux du monde est établie d’après la perception des citoyens eux-mêmes et une série d’indicateurs comme le niveau de vie et les services sociaux. Sans surprise, la Finlande, le Danemark et l’Islande sont montés sur le podium du bonheur.

Les experts ont expliqué à l’époque que l’État hébreu aurait dégringolé de quelques rangs si les sondages avaient été menés après l’éclatement de la crise politique sur la réforme du système de justice qui déchire le pays depuis des mois. Ce palmarès du bonheur met toutefois en lumière l’effet négligeable du conflit israélo-palestinien sur le bien-être des Israéliens — jusqu’aux terribles attentats des derniers jours, à tout le moins.

La raison est simple, selon le quotidien Haaretz : depuis des années, après l’échec de toutes les tentatives de paix avec les Palestiniens, les gouvernements ont cherché à « gérer le conflit » plutôt qu’à le régler. « Le but était de rendre les Palestiniens invisibles », écrit le journal.

La stratégie a fonctionné. Les Israéliens vivaient leur vie sans se préoccuper de la misère qui régnait de l’autre côté du « mur de séparation » entre les deux peuples. Le gouvernement pouvait accélérer la construction de logements dans les territoires palestiniens occupés tant qu’il garantissait la « sécurité » des Israéliens.

Cette posture a toutefois montré ses limites de façon cruelle : il faudra bien un jour relancer le processus de paix, estiment des voix qui restent minoritaires, mais qui se font entendre depuis les attentats.

Nétanyahou montré du doigt

« Je ne crois pas à une relance du processus de paix en ce moment. Le pays est traumatisé par ces attaques, qu’on peut comparer, toutes proportions gardées, à celles du 11 septembre 2001 aux États-Unis », dit Anita Shapira, professeure émérite au Département d’histoire de l’Université de Tel-Aviv, jointe chez elle par Le Devoir.

« L’armée doit d’abord combattre le Hamas à Gaza. On ne peut pas négocier avec eux, ce sont des terroristes opposés à l’existence même d’Israël. Après, si on a un nouveau gouvernement, ce que je souhaite de tout coeur, on pourrait arriver à une entente avec les Palestiniens », ajoute-t-elle.

L’éminente historienne de 83 ans considère que Benjamin Nétanyahou dirige « peut-être le pire gouvernement de l’histoire d’Israël ». Le premier ministre a normalisé le Hamas au cours des dernières années, notamment dans le but cynique de diviser les Palestiniens, selon Anita Shapira. La ligne dure des « extrémistes » de la droite israélienne a aussi échoué à protéger les civils contre la violence des terroristes, constate-t-elle.

Nous sommes assis sur un volcan depuis 75 ans, et nous sommes encore là. Les habitants des kibboutzim qui ont survécu aux attaques du Hamas disent qu’ils sont prêts à retourner chez eux s’ils se sentent protégés par l’État.

— Anita Shapira

« Nous sommes assis sur un volcan depuis 75 ans, et nous sommes encore là, dit-elle. Les habitants des kibboutzim qui ont survécu aux attaques du Hamas disent qu’ils sont prêts à retourner chez eux s’ils se sentent protégés par l’État. Il faut pour cela un nouveau contrat entre l’État et les citoyens. »

« Briser le silence »

Le groupe Breaking the Silence, formé de vétérans de l’armée israélienne opposés à l’occupation des territoires palestiniens, a aussi fait une sortie remarquée dès le lendemain des attentats du Hamas.

« L’idée selon laquelle on peut “gérer le conflit” sans jamais y trouver une solution vient une fois de plus de s’écrouler. Cette idée a tenu jusqu’à maintenant parce que très peu de voix avaient le courage de la contester. Ces événements déchirants peuvent changer la donne », a déclaré sur la plateforme X Avner Gvaryahu, directeur de Breaking the Silence.

Les forces de sécurité ont échoué à empêcher les attaques du Hamas en bonne partie parce qu’elles étaient occupées ailleurs à réprimer des civils palestiniens, selon Breaking the Silence.

De la même façon, le cycle des ripostes armées contre le Hamas dans la bande de Gaza, qui entraîne toujours de lourdes pertes civiles, ne fait qu’alimenter la violence. « On rend la vie impossible aux Gazaouis et on s’étonne quand il y a des débordements », a ajouté le mouvement de vétérans, toujours sur la plateforme X.

Combat existentiel

Le processus de paix a été mis de côté par à peu près tous les partis politiques israéliens dans la foulée de la seconde intifada, au début des années 2000. L’ancien député travailliste Hilik Bar est un des rares élus à avoir milité sans relâche pour la paix.

« J’ai décidé de consacrer ma vie à trouver une solution à ce conflit. L’avenir d’Israël est en jeu », avait confié l’ancien élu lorsque rencontré par Le Devoir sur la terrasse d’un café de Jérusalem à l’été 2019.

Il s’était souvenu avec émotion du jour de novembre 1995 où le premier ministre Yitzhak Rabin, qui avait donné une poignée de main historique à son homologue palestinien Yasser Arafat, a été assassiné par un extrémiste juif. « J’étais un jeune officier dans l’armée et j’ai décidé de me lancer en politique. Je n’acceptais pas que la mission de ce Prix Nobel de la paix prenne fin avec deux balles dans le dos », avait raconté l’homme aujourd’hui âgé de 48 ans.

Il a été impossible de parler à Hilik Bar après les attentats des derniers jours. L’ancien député avait toutefois livré au Devoir un long et vibrant plaidoyer en faveur d’une solution à deux États — l’un pour Israël, l’autre pour la Palestine. « Un accord de paix est la meilleure façon d’obtenir la sécurité pour Israël. On doit convaincre les Israéliens, parce qu’ils pensent le contraire », avait-il dit. Les accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie ont pourtant démontré leur valeur pour l’État hébreu, estimait-il.

« On a des missiles très précis et sophistiqués, mais on a aussi besoin d’une diplomatie très précise et sophistiquée. Si Nétanyahou était si fort, il n’y a pas autant de missiles qui tomberaient sur Israël », avait affirmé Hilik Bar.

Le Devoir