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Roxane Léouzon

Les derniers développements sanglants du conflit israélo-palestinien divisent les citoyens du monde entier, qui s’enflamment dans les rues et sur les réseaux sociaux. Or, une position nuancée est non seulement possible, mais nécessaire pour éviter de perpétuer le cycle de la violence, estiment des politologues et philosophes québécois.

Des manifestants glorifient les attaques envers les civils israéliens ou palestiniens. Des propos antisémites ou islamophobes sont proférés sur la plateforme X. Des politiciens rejettent toute critique envers un camp ou l’autre. Les discours et l’analyse de ce conflitsont en proie à une « extrémisation », selon David Morin, titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Or, il faut résister à la tentation de simplifier ce long conflit, qui est entré dans une nouvelle phase avec l’attaque du Hamas samedi dernier, selon le professeur de l’Université de Sherbrooke.

« La morale implique qu’on puisse avoir une position nuancée, qui considère à la fois l’horreur et le caractère inacceptable des attaques terroristes commises en sol israélien et le fait que la réponse militaire israélienne, qui consiste à pilonner Gaza — et donc à faire des victimes civiles — n’est pas plus acceptable », estime M. Morin, ajoutant que le droit international humanitaire s’applique et que les crimes de guerre doivent être proscrits de part et d’autre.

Il est possible de soutenir la cause palestinienne sans justifier les attaques horribles du Hamas, croit-il, tout comme on peut démontrer sa solidarité envers le peuple israélien sans cautionner toutes les actions du gouvernement de Benjamin Nétanyahou.

« La morale ne peut pas être à géométrie variable. La vie d’un civil israélien ne vaut pas plus ou moins que celle d’un civil palestinien, et inversement », argue le politologue. « De la même manière, il me semble contradictoire de réclamer un État palestinien tout en souhaitant l’éradication de l’État israélien. »

Les sources du problème

Professeur retraité de l’UQAM spécialiste du Proche-Orient, Rachad Antonius met aussi en garde contre « l’indignation sélective ». Par ailleurs, si on veut espérer trouver un terrain d’entente, il faut remettre les choses dans leur contexte historique et légal, estime-t-il.

C’est aussi l’avis de Michel Seymour, professeur honoraire au Département de philosophie de l’Université de Montréal. « Il faut saisir l’occasion des horreurs vécues pour soulever les questions de fond et apporter des solutions », a-t-il indiqué par courriel. Il estime qu’il faut, « pour des raisons éthiques, aller aux sources du problème posé par le désastre actuel ».

« Il est légitime de rappeler les causes du conflit, ainsi que de rappeler que le peuple palestinien souffre et qu’il est enfermé dans une prison à ciel ouvert », affirme par ailleurs M. Morin.

Si les positions radicales ont tendance à prendre beaucoup de place, les positions modérées existent, assure M. Morin, notamment au sein même des communautés juives et musulmanes, mais aussi de la société israélienne.

Niall Ricardo est un membre montréalais de Voix juives indépendantes, constituée « de Juifs et d’alliés, dont plusieurs sont d’origine israélienne ». Son organisation souhaite défaire cette vision binaire en exprimant sa solidarité avec les Palestiniens contre « la dépossession, l’oppression, l’occupation militaire ».

« Ce n’est pas toujours évident, surtout dans les derniers jours, car c’est émotif pour tout le monde. Pour moi, en tant que Juif, toutes les victimes juives sont une tragédie incommensurable. Mais si on ne prend pas cette position, c’est quoi la solution ? Comment va-t-on vers la paix ? C’est ça la question la plus importante. »

Prendre position ?

Favoriser la nuance ne veut pas nécessairement dire qu’il ne faut pas prendre position, exprime pour sa part Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’Université de Montréal.

Pour faire avancer sainement le débat public, il est toutefois nécessaire d’étayer son opinion par des arguments et des faits. Dans le climat social actuel, il constate que les propos réfléchis sont souvent abandonnés, chacun se contentant d’étiqueter, d’insulter ou de déformer les opinions adverses pour les écarter. « Tu peux être en désaccord profond avec quelque chose, mais est-ce que ça vient d’une évaluation sincère du propos d’autrui ? » se demande M. Nadeau.

Les discours manichéens qui déshumanisent l’adversaire peuvent participer à l’escalade de la violence au Proche-Orient, estime M. Morin. Il y a aussi le risque d’importer ce conflit au Canada par l’augmentation des crimes et incidents haineux liés à l’origine ou à la religion.

M. Morin estime que les responsables politiques ont le devoir d’éviter les discours qui jettent de l’huile sur le feu et de se concentrer sur la proposition de solutions soutenant les populations israélienne et palestinienne.

Les médias, eux, devraient éviter le sensationnalisme. La diffusion en boucle d’images terribles qui touchent le côté émotif, plutôt que cognitif, est anxiogène et galvanise les positions, juge M. Morin. « C’est un obstacle à une posture nuancée. »

Le Devoir