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Benjamin Netanyahu, Conflit israélo-Hamas 2023, Donnez-moi du recul, Gaza, Israël, Joe Biden, Politique israélienne
Rob Geist Pinfold, Chargé de cours sur la paix et la sécurité, Université de Durham
Après les attaques meurtrières du Hamas le 7 octobre, une invasion terrestre de la bande de Gaza par les Forces de défense israéliennes (FDI) semblait inévitable. Le gouvernement de Benjamin Netanyahu n’avait apparemment pas le choix, étant donné que l’attaque a choqué Israël au plus haut point.
Les forces de défense israéliennes n’ont pas réussi à prévenir ou à planifier l’attaque, tandis que l’idée hubristique du gouvernement selon laquelle Israël pourrait soutenir tacitement le pouvoir du Hamas à Gaza, divisant ainsi les Palestiniens tout en contenant indéfiniment leurs aspirations à un État, s’est avérée fondamentalement erronée.
Mais près de deux semaines et demie après le début de la guerre, l’invasion terrestre d’Israël ne s’est toujours pas concrétisée. Au lieu de cela, les deux parties se sont installées dans un schéma bien trop familier d’échanges de tirs de roquettes et de frappes aériennes. Pourquoi, alors, les actions d’Israël ne correspondent-elles pas à sa rhétorique ?
Deux facteurs interdépendants, relevant à la fois de la politique intérieure et extérieure d’Israël, expliquent cette inertie opérationnelle.
La première concerne les relations entre les États-Unis et Israël. Les responsables de l’administration Biden ont d’abord refusé d’appeler à la retenue israélienne et ont même soutenu une invasion terrestre. Cette attitude diffère de celle adoptée lors des précédentes phases d’escalade, au cours desquelles la pression américaine avait joué un rôle déterminant pour persuader Israël d’accepter un cessez-le-feu.
Mais la dynamique habituelle est vite revenue. Joe Biden a averti Israël de respecter les « lois de la guerre » et de protéger les civils de Gaza. La Maison Blanche a également vaincu l’intransigeance israélienne pour permettre à l’aide d’entrer dans le territoire. Aujourd’hui, alors que le Hamas a libéré quatre otages, les États-Unis font à nouveau pression pour que d’autres civils israéliens rentrent chez eux sans qu’il y ait d’escalade.
Les experts israéliens s’insurgent contre les États-Unis, supposés faibles et crédules, qui se sont laissés séduire par les tactiques dilatoires du Hamas. Mais la réalité est plus proche de nous. Ce n’est pas le Hamas, mais des dissensions internes aux plus hauts niveaux de l’élite politique et militaire de Jérusalem qui ont poussé les États-Unis à tempérer les plans de guerre d’Israël.
L’invasion terrestre et le jour d’après
Depuis le début du conflit, les responsables américains font pression sur Israël pour qu’il réponde à deux questions. Premièrement, à quoi ressemblerait une invasion terrestre. Et deuxièmement, comment Israël traduirait tout succès militaire en un plan politique global pour Gaza après avoir chassé le Hamas du pouvoir.
C’est l’incapacité d’Israël à répondre à ces questions qui a poussé les États-Unis à faire pression en faveur d’une désescalade. L’élite politique et militaire israélienne reste divisée sur la forme que prendrait une invasion terrestre et sur les objectifs politiques à long terme.
Avant le 7 octobre, les dirigeants israéliens étaient tous convaincus qu’il était préférable de maintenir le Hamas au pouvoir plutôt que de réoccuper la bande de Gaza, étant donné que toute intervention entraînerait un nombre inacceptable de victimes et une censure internationale importante.
Les attaques féroces du Hamas ont détruit ce consensus, mais un nouveau consensus ne l’a pas remplacé. Les Forces de défense israéliennes (FDI) préconisent une invasion terrestre globale qui s’emparerait de l’ensemble du territoire par voie terrestre, maritime et aérienne. D’autres experts en sécurité préconisent qu’Israël renforce son blocus et occupe les zones les moins peuplées du sud et du centre de Gaza. Ce faisant, Israël pourrait apparemment éviter un conflit urbain prolongé dans les parties les plus densément peuplées du territoire, tout en obligeant le Hamas à capituler en rendant Gaza invivable.
Les partenaires de la coalition d’extrême droite de M. Netanyahou préconisent également ce modèle de siège, mais veulent l’utiliser comme tremplin pour faire avancer leur programme politique, c’est-à-dire compléter une occupation militaire par une colonisation civile et une éventuelle annexion de ces parties peu peuplées de la bande de Gaza.
La position de Netanyahou
M. Netanyahou lui-même est en proie au mieux à l’indécision et au pire à la paranoïa qui a récemment marqué son leadership. Le premier ministre israélien le plus anciennement en fonction reste réticent à abandonner le statu quo d’avant-guerre et préférerait des raids chirurgicaux à court terme menés par des forces spéciales.
Pour compliquer les choses, M. Netanyahou et l’élite de Tsahal sont distraits par les fuites dans les médias qui les accusent mutuellement d’être responsables des attentats du 7 octobre et de la paralysie politique et militaire actuelle d’Israël.
Il n’est donc pas surprenant que personne en Israël ne puisse se mettre d’accord sur la question encore plus épineuse de ce qui se passera ensuite si les FDI parviennent à mettre fin à la domination du Hamas. Les représentants publics israéliens se sont même vantés que personne ne se soucie actuellement d’examiner cette question.
L’entrée du parti Bleu et Blanc, relativement modéré, dans le gouvernement israélien de « coalition d’urgence » a partiellement apaisé les États-Unis. Le chef du parti, l’actuel ministre de la défense Benny Gantz, a convoqué un comité chargé de déterminer l’avenir de Gaza après le Hamas.
Mais c’est peut-être trop peu et trop tard. Les commissions gouvernementales israéliennes ne sont pas connues pour leur rapidité de décision, alors que Netanyahou s’est toujours efforcé de monopoliser le pouvoir et de minimiser les contributions politiques du Bleu et du Blanc, de l’élite de Tsahal et même de son propre ministre de la défense.
C’est cette indécision, ces querelles intestines et, surtout, l’absence de plan à long terme qui inquiètent le plus l’administration Biden. Et ce, à juste titre. Mes propres recherches ont montré que les occupants tombent souvent dans le « piège de l’occupation ». Ils ne s’engagent pas dans une planification post-intervention et s’enfoncent donc dans un bourbier ingagnable, sans objectif politique réalisable.
Le résultat est généralement un retrait ignominieux, couplé à un avenir politique après le départ qui ressemble remarquablement au statu quo d’avant l’occupation – l’Afghanistan d’aujourd’hui en est un exemple opportun.
Les États-Unis ont tiré ces leçons, ce qui n’est apparemment pas le cas d’Israël. C’est d’autant plus surprenant que lorsqu’Israël a créé une « zone de sécurité » dans le sud du Liban en 1985, le ministre de la défense de l’époque, Shimon Peres, a affirmé que cette année-là serait la dernière de l’armée israélienne dans le pays. Ce ne fut pas le cas.
Israël n’a mis fin à son occupation qu’au milieu de l’année 2000, n’ayant atteint aucun de ses objectifs et permettant aux alliés du Hamas – le Hezbollah – de s’attribuer le mérite d’une « retraite » israélienne.
Israël n’a donc pas besoin de regarder aussi loin que l’Irak et l’Afghanistan pour se rendre compte de la folie stratégique qu’il y a à ne pas prévoir le scénario d’un jour après le Hamas.