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Photo : AFP / OREN ZIV

Au moins 11 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions au Moyen-Orient depuis l’offensive du Hamas contre Israël, il y a trois semaines, rapporte l’organisme Reporters sans frontières.

Si on additionne ceux et celles qui ont été tués alors qu’ils n’étaient pas en fonctions – tués dans leur domicile lors de bombardements, par exemple –, le bilan monte à 23, selon des données compilées par le Comité de protection des journalistes (CPJ). Dix-neuf de ces journalistes sont des Palestiniens, précise l’organisme basé à New York.

C’est beaucoup de morts en très peu de temps, si l’on compare cela aux pertes subies en Ukraine, où 11 journalistes ont été tués et 29 autres blessés depuis l’invasion russe, le 24 février 2022.

Scellée par un lourd blocus des troupes israéliennes et bombardée quasiment en permanence depuis trois semaines, la bande de Gaza est aujourd’hui l’un des endroits les plus dangereux au monde pour exercer la profession.

Dans d’autres conflits, on était toujours en mesure d’avoir des envoyés spéciaux. Là, nos équipes à Gaza sont coupées du monde, témoigne le directeur de l’information de l’AFP, témoigne Phil Chetwynd.

L’AFP compte une équipe d’une dizaine de journalistes dans la bande de Gaza. Ils ont depuis dû quitter la ville de Gaza pour le sud du territoire, où ils vivent dispersés dans des conditions précaires, dont certains sous des tentes, rapporte le directeur de l’agence.

Au moins une cinquantaine de journalistes qui vivent dans la ville de Gaza ont été forcés de quitter leur maison, selon les estimations de Reporters sans frontières (RSF), à la suite des ordres d’évacuation des forces israéliennes.

Une enclave coupée du monde

Selon RSF, le blocus israélien de la bande de Gaza n’est pas que sécuritaire, il est également destiné à taire ce qui s’y passe, estime l’organisme qui accuse Israël d’étouffer le journalisme à Gaza.

Depuis le 7 octobre, de nombreux médias ont été entièrement ou partiellement détruits à Gaza par les frappes aériennes israéliennes. Selon le Syndicat palestinien de la presse, ce nombre s’élève à 50. La plupart des 24 stations de radio émettant sur les ondes et en ligne, et qui comptent parmi les principales sources d’information sur la zone, ont été mises hors service par les frappes ou par le blocus israélien, qui empêche l’approvisionnement en carburant, rapporte RSF dans son dernier bulletin.

Depuis près de deux semaines, les forces armées israéliennes font tout pour empêcher la diffusion d’images.

Il faut dire que le gouvernement israélien doit composer en ce moment – en plus du conflit – avec plus de 2000 journalistes venus du monde entier couvrir le conflit sur son territoire. Et en temps de guerre, tous les stratèges vous le diront, il est essentiel de contrôler le narratif, ou plus simplement le message.

Une équipe de Radio-Canada interpellée

Cette situation donne lieu à des gestes d’obstruction ou d’intimidation de la part des autorités locales parfois irritées de voir les médias étrangers s’intéresser de trop près à la réalité des Palestiniens et remettre en question la version officielle israélienne.

L’envoyé spécial de Radio-Canada en Israël, Jean-François Bélanger, en a eu un aperçu vendredi lorsque sont chauffeur, son caméraman et lui-même ont été interceptés par une patrouille israélienne alors qu’ils filmaient des Palestiniens en train de récolter des olives près d’une colonie de peuplement juive, sur la route entre Ramallah et Naplouse, en Cisjordanie.

Interpellé de façon agressive et même bousculé par les militaires qui l’abreuvaient de questions sur leur présence à cet endroit, Jean-François Bélanger leur a signalé qu’ils n’enfreignaient aucune loi en filmant la récolte des olives et que les journalistes, en vertu des lois israéliennes, ont le droit d’exercer leur métier librement dans ce pays.

Les militaires, qui ont refusé de s’identifier, ont reproché à Jean-François Bélanger et son équipe de n’être là que pour chercher des problèmes.

Ils étaient très agressifs, ils nous ont dit : pourquoi n’êtes-vous pas en train de montrer les gars du Hamas qui égorgent des bébés? C’est ça, la vraie histoire.

Et lorsqu’il a rappelé aux soldats que les médias peuvent filmer ce qu’ils veulent en Israël tant qu’ils n’enfreignent pas la loi, l’un des soldats lui a répondu : C’est mon pays ici, c’est moi qui fais la loi, avant de s’emparer de la caméra de l’équipe et de quitter les lieux.

Après avoir rapporté l’incident au service de presse de l’armée israélienne et aux autorités consulaires canadiennes, la caméra fut rapportée à l’équipe de Radio-Canada, mais hors d’état de fonctionner et vidée de ses cartes mémoire.

Une équipe de la télévision allemande ARD a aussi eu droit vendredi au même traitement de la part des forces de sécurité israéliennes, cette fois dans la région de Hébron, où les membres de l’équipe ont été détenus pendant deux heures et leur équipement confisqué. Ils tournaient eux aussi des images de paysans palestiniens qui avaient apparemment été pris à partie par des colons israéliens.

On constate un degré élevé d’animosité à l’égard de la presse étrangère, tous ceux qui essaient de donner les deux points de vue, tous ceux qui ne répètent pas docilement la version officielle israélienne et qui osent donner une autre version, ils n’aiment pas ça du tout, conclut Jean-François Bélanger.

Cinq journalistes sont actuellement emprisonnés en Israël et quatre autres le sont en territoires palestiniens, en plus de deux journalistes portés disparus, selon les données disponibles sur le site de Reporters sans frontières.

Radio Canada avec AFP