Étiquettes

, , , , , , , , , , ,

En ce qui concerne la Palestine, le potentiel de la Cour pénale internationale reste à réaliser.

par Carla Del Ponte et Graham Blewitt

Carla Del Ponte a été procureure en chef du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (1999-2007) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (1999-2003). Graham Blewitt a été procureur adjoint du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (1994-2004).

La situation qui se déroule au Moyen-Orient est une tragédie humaine.

Des milliers de vies ont déjà été perdues et beaucoup d’autres ont été détruites. Le respect du droit international est insuffisant, avec des attaques contre des civils, des prises d’otages et des bombardements aveugles dans les zones urbaines. De tels actes peuvent constituer des crimes internationaux.

Nous avons déjà poursuivi de tels crimes de guerre, ainsi que des crimes contre l’humanité et des génocides. Ce n’est jamais une tâche facile, mais elle est vitale.

La Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a déjà établi sa compétence sur la situation à Gaza et en Cisjordanie, ainsi que sur les crimes internationaux potentiels commis par le Hamas sur le territoire israélien. Et l’actuel procureur en chef de la Cour, Karim Khan, a parlé avec force de la crise, en disant : « Tout être humain doit avoir le cœur froid et gelé et le cœur brisé en voyant les images qui sortent d’Israël et de la Palestine. »

Mais le procureur est dans une position unique. Avec une enquête déjà en cours, il a l’occasion de prendre des mesures audacieuses et décisives, et l’indépendance de son bureau signifie qu’il n’est pas redevable aux gouvernements puissants et peut agir pour offrir justice aux victimes.

En tant qu’anciens procureurs de crimes de guerre internationaux, nous reconnaissons l’importance de prendre des mesures pour rendre des comptes aux victimes d’atrocités. Le droit pénal international peut jouer un rôle prépondérant dans la lutte contre l’impunité et contribuer à la dissuasion de nouveaux crimes. Et en ce qui concerne la Palestine, le potentiel de la CPI reste à réaliser.

Nous sommes tout à fait conscients, bien sûr, que les procureurs internationaux font face à des défis juridiques, pratiques et politiques considérables dans l’exécution de leur mandat. Il y a une sélectivité inévitable lorsque les procureurs choisissent des affaires, même lorsqu’ils sont chargés de traiter des crimes internationaux commis sur un territoire donné et sur une période de temps définie. Néanmoins, dans le contexte des violents conflits ethniques en ex-Yougoslavie et du génocide au Rwanda, nous n’aurions pas rempli notre devoir solennel en ne poursuivant que des cibles plus modestes.

Et compte tenu de la portée mondiale de la CPI, son procureur a une compétence beaucoup plus large à traiter. La compétence de la Cour s’étend au territoire de plus de 120 États parties ainsi qu’aux ressortissants de ces pays, et encore plus si le Conseil de sécurité de l’ONU demande à la Cour d’agir, comme il l’a fait au Darfour et en Libye. Ainsi, Khan est engagé dans un exercice constant d’équilibre entre des demandes concurrentes, des ressources limitées et des degrés variables de coopération de l’État.

Dans son discours d’assermentation, M. Khan a souligné que, malgré les progrès humains, il n’en demeure pas moins que « des crimes médiévaux sont commis par des gens modernes ». Il a également souligné l’importance de la responsabilité et de la lutte contre l’impunité, en expliquant avec éloquence comment les victimes de crimes internationaux sont une source d’inspiration. « Leur énergie infatigable, leur endurance et leur persévérance pour la justice », a-t-il dit, « étourdissent le silence ».

Le procureur Khan a déjà innové pendant son mandat. En ce qui concerne l’agression de la Russie contre l’Ukraine, il a fourni un soutien considérable à ses homologues ukrainiens qui cherchent à enquêter et à poursuivre en justice les auteurs de crimes de guerre. Son inculpation du président russe Vladimir Poutine n’est peut-être pas la première fois qu’un chef d’État est appelé devant un tribunal pénal international, mais il est certainement sans précédent que le chef d’État d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU soit soumis à un tel mandat d’arrêt.

Mais pour les victimes de crimes internationaux, leur foi dans le système pénal international a été durement éprouvée. On a l’impression qu’il y a deux poids deux mesures en jeu et que la CPI se concentre de façon disproportionnée sur les pays africains et les acteurs non étatiques, tout en permettant aux pays occidentaux et à leurs alliés de se soustraire à leurs responsabilités.

L’administration de l’ancien président américain Donald Trump est même allée jusqu’à imposer des sanctions à la prédécesseure de Mme Khan, Fatou Bensouda, et à son personnel en raison des activités de la cour dans le contexte de l’Afghanistan.

Compte tenu de l’importance géopolitique en jeu, la situation au Moyen-Orient est sans aucun doute difficile pour la justice internationale. Mais face aux preuves de plus en plus nombreuses indiquant que des crimes de guerre ont été commis, c’est là que la CPI est la plus nécessaire.

En tuant des centaines de civils israéliens, en prenant des otages et en tirant des roquettes sans discernement sur Israël, le Hamas a provoqué la réponse d’Israël, mais cette réponse a été hautement disproportionnée et aveugle. Des milliers de civils palestiniens sont déjà morts, des biens civils ont été largement détruits et plus d’un million de Gazaouis ont été déplacés.

Les organisations de défense des droits de l’homme et les experts de l’ONU ont commencé à invoquer le langage du nettoyage ethnique et même du génocide, et c’est pourquoi ils sont très préoccupés par les actions d’Israël.

La justice pénale internationale peut jouer un rôle dans la lutte contre ces atrocités persistantes et, en ce moment, Khan détient la clé. Il a l’occasion de faire passer la justice pour les victimes avant la realpolitik. Il y a un symbolisme précieux dans un procureur international qui reconnaît la souffrance des victimes, tout comme il l’a fait lors de sa récente visite au terminal de Rafah, soulignant la nécessité de s’assurer que « la loi est en première ligne » à Gaza.

À l’heure actuelle, le Moyen-Orient est sur un précipice mortel et, comme le stipule le Statut de Rome de la CPI, « des crimes graves menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ». La prochaine étape cruciale consistera à obtenir des mandats d’arrêt pour les dirigeants politiques et militaires, qu’ils soient du Hamas ou d’Israël, et le manteau protecteur du pouvoir américain ne devrait pas protéger ce dernier de la responsabilité.

En fin de compte, nous espérons que la CPI pourra non seulement rappeler à ceux qui sont en position de pouvoir de respecter le droit international, mais aussi rendre une justice substantielle aux victimes dans un contexte où l’impunité prévaut depuis trop longtemps.

Politico