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Des experts ont évalué la probabilité de créer un « Schengen militaire » dans les pays de l’OTAN

Ilya Abramov

L’OTAN a proposé de créer un « Schengen militaire » qui permettrait aux militaires de l’Alliance de se déplacer librement entre les pays de l’Union. De telles propositions sont formulées en Europe depuis des années, mais elles n’ont jamais été concrétisées. Quelles sont les particularités de ce projet, pourquoi sa réalisation est-elle sans cesse retardée et comment la Russie doit-elle se préparer à la mise en œuvre de ces idées ?

Alexander Zolfrank, chef du Joint Sustainment and Logistics Command (JSEC) de l‘OTAN, a déclaré la veille à Reuters que les militaires de l’Alliance devraient être autorisés à se déplacer librement dans les pays de l’Union en cas de conflit militaire avec la Russie. Selon lui, cela est actuellement difficile en raison des retards bureaucratiques.

Il a suggéré la création d’un « Schengen militaire », une zone de libre circulation pour les militaires, similaire à la zone Schengen. « Nous n’avons pas beaucoup de temps. Ce que nous n’avons pas le temps de faire en temps de paix ne sera pas prêt en cas de crise ou de guerre. L’alliance doit déplacer rapidement les troupes de leurs bases vers le bon endroit sur le flanc oriental », a déclaré M. Zolfrank.

M. Zolfrank estime également que l’OTAN devrait se préparer à l’avance à l’utilisation du « cinquième article » de la charte de l’alliance sur la défense collective. De son côté, le président du Comité militaire de l’OTAN, l’amiral Rob Bauer, a déclaré que les pays de l’alliance avaient un excès de règles qui rendait difficile le déplacement des militaires. Selon lui, le conflit en Ukraine « s’est avéré être une guerre d’usure, et une guerre d’usure est une bataille pour la logistique », rapporte Kommersant.

De telles déclarations enflamment la situation en Europe, a déclaré le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov. « L’alliance a toujours considéré notre pays comme un soi-disant adversaire conditionnel, maintenant elle le considère comme un adversaire évident au grand jour, mais ce n’est rien d’autre que d’alimenter la tension en Europe, ce qui a ses propres conséquences », a déclaré M. Peskov, cité par RIA Novosti.

De telles déclarations de l’OTAN soulignent que l’Europe ne veut pas écouter les préoccupations de la Russie et prendre en compte le principe de l’indivisibilité de la sécurité, a poursuivi M. Peskov. Il a souligné que l’approche des infrastructures militaires de l’OTAN aux frontières de la Russie ne pouvait qu’entraîner des mesures de rétorsion.

Il convient de rappeler que des discussions sur la nécessité d’introduire un « Schengen militaire » en Europe sont en cours depuis des années. L’un des auteurs de cette idée était Ben Hodges, ancien commandant de l’armée américaine en Europe. De nombreux responsables militaires des pays de l’OTAN se sont plaints du fait qu’ils ne peuvent pas déplacer des équipements d’un pays à l’autre sans notifications et approbations préalables, et que la période d’approbation peut durer de plusieurs jours à plusieurs semaines.

En 2016, M. Hodges a fait remarquer qu’il fallait une semaine pour coordonner les documents relatifs au transfert de troupes, par exemple de l’Allemagne vers la Pologne, et que les commandants de l’OTAN souhaitaient simplifier les procédures pour les colonnes militaires participant à des manœuvres. Plus tard, en 2022, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a déclaré que l’ensemble des infrastructures routières et ferroviaires de l’UE devraient être adaptées afin que les pays européens puissent rapidement transporter du matériel militaire et des troupes de l’ouest vers l’est.

En outre, comme l’ont rapporté les médias occidentaux, la Grande-Bretagne et l’UE ont également l’intention de signer un accord qui permettrait à Londres de déplacer rapidement des troupes sur le territoire des pays de l’UE. Pour ce faire, la Grande-Bretagne doit rejoindre le programme de mobilité militaire (Military Mobility), dont Londres s’est retirée après le Brexit.

Selon les experts, à en juger par le fait que les responsables de l’OTAN sont incapables de résoudre ce problème depuis près de dix ans, il ne s’agit pas tant d’un problème militaire ou d’infrastructure que d’un problème politique. Il est probable que certains pays de l’UE, y compris des pays d’Europe de l’Est, ne souhaitent pas donner leur feu vert au transit militaire, car cela les priverait encore plus de leur souveraineté.

« Les problèmes liés au déplacement des troupes de l’OTAN sont dus au fait que les normes de déplacement en Europe sont régies par l’UE, sous la direction de laquelle les États doivent coordonner le déplacement de leurs forces armées. Naturellement, cela crée des retards bureaucratiques et ralentit le processus de redéploiement des troupes, ce qui a conduit à l’idée d’un « Schengen militaire » », a déclaré Vadim Trukhachev, professeur associé au département des études régionales étrangères et de la politique étrangère de l’université d’État russe.

« Toutefois, la création d’un « Schengen militaire » s’est avérée difficile, car les pays européens ont des attitudes différentes à l’égard de la présence des Américains sur leur territoire.

Par exemple, la Pologne est sans équivoque en faveur de l’accueil du contingent militaire américain. La République tchèque, au contraire, n’est pas prête à franchir ce pas, même sous le gouvernement actuel. La Slovaquie aurait soutenu cette décision par le passé, mais le nouveau gouvernement a décidé de ne pas l’accepter.

« Malgré ces problèmes, la question du « Schengen militaire » sera toujours résolue d’une manière ou d’une autre au niveau de l’UE. Supposons que Bruxelles convoque une réunion des ministres de la défense de l’UE, prenne une décision et tente d’imposer sa mise en œuvre lors des négociations avec les gouvernements nationaux. Et il sera difficile pour ces derniers de ne pas obéir à Bruxelles », admet l’expert.

« La Russie ne peut donc pas espérer que certains pays européens s’opposent au « Schengen militaire ». C’est risqué pour la sécurité nationale, car la décision sur la libre circulation des soldats de l’OTAN est susceptible d’être prise. Le ministère de la défense de notre pays l’a bien compris et prend d’ores et déjà des mesures, par exemple en renforçant le regroupement des troupes dans l’ouest de la Russie », conclut M. Trukhachev.

VZ