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L’histoire a montré que ces soi-disant « troisièmes forces » sont généralement une chimère et que la véritable paix se fait avec l’ennemi

David Sylvan

Ces derniers jours, une multitude d’articles de presse ont confirmé que la politique américaine à l’égard de Gaza est fermement fondée sur la revitalisation de l’Autorité palestinienne (AP).

Cette politique fait partie de la boîte à outils diplomatique standard des grandes puissances visant à donner du pouvoir à une supposée troisième force pour sortir d’un cauchemar politique et militaire. Hélas, l’histoire montre que les politiques de la troisième force sont le plus souvent des chimères et non des solutions, et que le choix se résume à conclure un accord avec le groupe qui est hors de portée, ou à accepter la guerre pour un avenir indéfini.

L’une des premières politiques de troisième force a eu lieu il y a un peu plus d’un siècle, lorsque le Royaume-Uni, qui luttait contre une insurrection en Irlande, a cherché une formation politique intermédiaire entre le système aujourd’hui discrédité de l’administration directe et le Sinn Fein diabolisé. Pendant plusieurs années, Lloyd George a poursuivi un Gladstoneisme de circonstance, en créant et en soutenant un Parlement sud-irlandais, mais il a finalement été contraint d’abandonner cette idée et d’inviter Eamon de Valera, du Sinn Fein, à Londres pour négocier ce qui est devenu l’État libre.

En Algérie, le président français Charles De Gaulle, revenu au pouvoir par la menace d’une révolte militaire et ayant initialement appelé les rebelles du FLN à se rendre honorablement, a appelé à sa version de la troisième force : une Algérie « gouvernée par les Algériens mais en union étroite avec la France ». Cette alternative au statu quo et à « l’horrible misère » de la sécession a été, un an et demi plus tard, écartée au profit de négociations avec le FLN et de l’indépendance.

On peut raconter une histoire similaire pour d’autres grandes puissances luttant contre des insurrections, comme les Russes en Afghanistan (ou, au moins en termes de domination militaire locale, les Néerlandais en Indonésie ou le gouvernement nationaliste en Afrique du Sud) ; mais le fait est que lorsque les États-Unis poursuivent une troisième force, comme ils l’ont fait à Cuba en 1958 (ni Batista ni Castro) et en Iran en 1978 (ni le Shah ni Khomeini), ils suivent un chemin souvent emprunté. Ce chemin est une impasse, et ce pour une raison très simple : la longueur des combats (ou, dans le cas de l’Iran, la répression) qui conduit les décideurs politiques à rechercher une troisième force rend également impossible qu’une telle force ait plus qu’une fraction de la légitimité de l’ennemi que la grande puissance, ou son client, a combattu.

Bien entendu, les décideurs politiques peuvent décider, pour toutes sortes de raisons, qu’ils préfèrent continuer à se battre plutôt que de trouver un arrangement politique avec leurs ennemis. À cet égard, brandir l’étendard d’une troisième force peut être moins un signe de naïveté qu’une manière d’essayer de détourner l’attention du public de la décision de poursuivre le combat. Cette décision s’accompagne souvent de l’invocation de la répugnance morale de l’ennemi, par exemple son recours au terrorisme et son programme politique maximaliste. Le fait que ceux qui avancent ces arguments puissent eux-mêmes avoir un passé de négociation et de coordination avec l’ennemi répugnant ne rend pas la condamnation morale ou la recherche d’une troisième force moins sincère. Mais cela présente toutefois une issue – si la volonté est là.

La politique américaine et israélienne à l’égard de l’OLP après son expulsion du Liban en est un bon exemple. On aurait pu imaginer qu’après la fuite de Yassir Arafat et compagnie en Tunisie, la troisième force – en l’occurrence, la Jordanie du roi Hussein – aurait été au centre des tentatives de définition d’une politique palestinienne. Mais ces tentatives ont abouti, comme on pouvait s’y attendre, à une impasse, et les Israéliens se sont tournés vers l’OLP, négociant avec le groupe que leur propre législation leur interdisait jusqu’alors de contacter.

Bien sûr, les accords d’Oslo ont échoué – un point sur lequel je reviendrai plus loin – mais la question qui se pose ici est que les États-Unis et Israël ont progressé précisément parce qu’ils ont abandonné le fantasme de la troisième force et désanathématisé l’OLP. En effet, le boycott de l’OLP a toujours été entaché de lacunes, la face étant sauvée grâce aux conversations qui ont eu lieu par l’intermédiaire de tierces parties. Néanmoins, en tant que geste politique, l’action du Premier ministre Yitzhak Rabin était symboliquement importante, non seulement parce qu’elle a bouleversé Israël, mais aussi parce qu’elle lui a coûté la vie, ce qui aurait pu facilement arriver à De Gaulle également.

L’idée est simple : la paix se fait entre ennemis, pas entre amis. Des négociations peuvent avoir lieu sans que l’on puisse en déduire que l’une des parties fait confiance à l’autre, qu’elle la considère comme moralement légitime ou que les futurs accords ne pourront jamais être abandonnés (comme cela semble avoir été le cas entre le Hamas et Israël, et entre le Hamas et les États-Unis, à de multiples reprises au cours de la dernière décennie). Dans ce sens, les négociations ne sont pas une récompense pour un bon comportement, mais une réponse à des actions ignobles et à la mauvaise foi.

Car en fin de compte, la seule alternative est de continuer à se battre, l’objectif d’une bande de Gaza sans Hamas, administrée par une AP revitalisée, s’éloignant comme le feu vert de Gatsby. Les Israéliens peuvent se battre encore pendant des semaines, des mois, voire des années, les États-Unis continuant à leur fournir une couverture ; ils peuvent tuer, capturer ou exiler tous les membres du Hamas ; cela ne rendra pas l’Autorité palestinienne plus forte ni mieux à même d’administrer Gaza. Il est temps que ceux qui s’enorgueillissent de leur sens du réalisme se rendent à l’évidence et abandonnent la troisième force.

David Sylvan est professeur de relations internationales et de sciences politiques à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement à Genève. Il est l’auteur de U.S. Foreign Policy in Perspective : Clients, Enemies, and Empire, ainsi que de nombreux articles sur l’intervention, la prise de décision et d’autres questions de politique internationale et nationale.

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