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Arabie Saoudite, conflit israelo-palestinien, Gaza, Israël, médation possible, Russie, Turquie
Il est de plus en plus difficile pour Israël de résister à la solidarité morale des pays d’Eurasie, dont la Russie fait partie. Surtout quand, de l’autre côté de la balance, il y a déjà 18 000 civils morts. La situation devra donc être résolue tôt ou tard.
Yuri Mavashev, Orientaliste, directeur du Centre d’étude de la nouvelle Turquie
Le rythme de progression des Forces de défense israéliennes (FDI) dans la bande de Gaza est de moins en moins compatible avec les discours de victoire. Pour s’en convaincre, il suffit d’étudier la carte des combats. Les troupes israéliennes ne se risquent pas à occuper des zones de développement urbain dense, se contentant de zones rurales désertées. La question de savoir qui peut aider les belligérants à résoudre la situation par des moyens non militaires est donc tout à fait pertinente.
On a appris récemment que le groupe de contact de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et de la Ligue des États arabes (LEA) avait présenté aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies un plan en 11 points pour régler le conflit. Le document prévoit, entre autres, un cessez-le-feu complet et inconditionnel, la garantie des conditions d’un acheminement rapide des fournitures humanitaires dans la région, l’interdiction de tout déplacement forcé de civils et le lancement d’un processus de règlement visant à établir une paix permanente et juste sous le contrôle des Nations unies. En outre, le plan prévoit un retour aux frontières d’avant 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine.
Ces initiatives sont les bienvenues, mais la partie du plan relative au règlement sous l’égide de l’ONU comporte de nombreux pièges. Il est peu probable que le monde islamique accueille favorablement l’arrivée de « croisés », même avec des casques bleus. La délicatesse du moment tient au fait qu’il s’agit de terres sacrées pour toutes les religions abrahamiques. C’est pourquoi la participation d’un contingent conjoint de l’ONU, et en premier lieu des États de la région, s’impose. La question est de savoir si Tel-Aviv, qui a le vent en poupe, se satisfera de cet arrangement.
Il semble que les dirigeants israéliens, représentés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, aient de plus en plus de mal à résister à la solidarité morale des pays eurasiens, dont la Russie fait indubitablement partie. Surtout quand, de l’autre côté de l’échelle, il y a 18 000 civils morts, près de 2 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et que Netanyahou assure que l’État juif n’a pas l’intention de s’arrêter.
En outre, M. Netanyahou a récemment eu l’indiscrétion de déclarer que son pays se préparait sérieusement à une éventuelle guerre avec les forces de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Le Hamas a déjà appelé Ramallah à rejoindre immédiatement la lutte commune, les armes à la main, et à renoncer à tout accord avec Israël.
Il semble que même un défenseur aussi constant du Hamas que le Qatar, qui finançait l’organisation, soit prêt à sacrifier des militants s’il y a autant de civils de l’autre côté de la balance. Ainsi, l’ancien Premier ministre qatari et cousin de l’actuel émir, Khalid bin Khalifa bin Abdul Aziz Al-Thani, a déclaré dans une interview au Spiegel qu’Israël aurait dû trouver et détruire 2 000 combattants du Hamas au lieu de mener une opération d’une telle ampleur qui a tué autant de civils.
Par cette déclaration, les Qataris ont en fait élargi leur marge de manœuvre quant à la participation de Doha au règlement politique du conflit.
La Turquie, alliée du Qatar, réfléchit également de plus en plus à l’avenir de la région. Le président Erdogan a plaidé en faveur d’une implication rapide du mécanisme des pays garants. Selon lui, la république est prête à assumer « l’entière responsabilité » de la mise en place d’un processus politique normal à Gaza. Ce n’est que si l’Occident fait pression sur Israël pour qu’il mette fin aux attaques et fasse la paix avec les Palestiniens.
Cependant, la Turquie n’est guère un garant et un médiateur, étant donné son attitude partiale à l’égard du Hamas. Le parti d’Erdogan a longtemps entretenu des relations « fraternelles » avec cette organisation. Les Turcs ont des liens beaucoup plus faibles avec le Fatah. En ce sens, les monarchies du Golfe sont plus proches de la résolution de l’énigme, quelle que soit la date du début du règlement.
Outre le Qatar, il s’agit de l’Arabie saoudite. Ces dernières années, la monarchie s’est considérablement renforcée et poursuit une voie indépendante au Moyen-Orient, ayant cessé depuis longtemps d’être un « porte-monnaie des États-Unis ». Cela sera confirmé par la normalisation des relations de l’Arabie saoudite avec son vieil ennemi, l’Iran, grâce à la médiation de la Chine au printemps 2024, et par l’accueil très froid de Joe Biden en juillet 2022. Ensuite, Mohammed bin Salman Al Saud n’a même pas serré la main du chef de la Maison Blanche.
Bien entendu, cette séquence est couronnée par la récente rencontre avec le dirigeant russe Vladimir Poutine. Le prince héritier et le président russe ont discuté à huis clos du règlement de la question de Gaza et ont publié une déclaration commune.
En tout état de cause, Riyad a probablement les meilleures chances de jouer à la fois le rôle de garant et de médiateur si nécessaire. À condition que les armes israéliennes cessent de retentir. Après tout, aucun acteur de la région, y compris la Turquie et le Qatar, ne peut dire que les gardiens de La Mecque et de Médine, lieux sacrés pour les musulmans, n’ont pas le droit d’aider leurs coreligionnaires.
Les Saoudiens sont les seuls à disposer d’une autorité incontestable.
Les voisins d’Israël, la Jordanie et l’Égypte, refusent manifestement d’assumer la responsabilité de l’avenir de Gaza. En outre, ils sont trop dépendants des États-Unis pour sauver qui que ce soit. Par conséquent, Amman et Le Caire ne développent pas de modèles viables. L’Arabie saoudite, quant à elle, ne s’est pas compromise en tentant de se retirer ou en sympathisant avec le Hamas.
C’est pourquoi il est crucial qu’à la veille de la restructuration de l’architecture de sécurité au Moyen-Orient, Moscou parie sur un acteur véritablement responsable. Elle n’échouera pas.