Étiquettes

, , , , , , ,

L’assassinat par Israël d’un dirigeant du Hezbollah met à l’épreuve la volonté de négocier

Ali Rizk
L’information selon laquelle Israël aurait tué un important commandant du Hezbollah fait suite à ce qui est décrit comme le premier acte de représailles des militants contre Israël après l’assassinat d’un haut responsable du Hamas, Saleh Al-Arouri, dans le sud de Beyrouth.

Cette évolution risque de compromettre les efforts déployés par les États-Unis pour calmer la situation sur le front israélo-libanais, après que la direction du Hezbollah a semblé signaler une volonté conditionnelle de s’engager dans un tel processus.

Reuters a rapporté lundi qu’une frappe israélienne sur le Sud-Liban avait tué Wissam al-Tawil, un haut commandant de la force d’élite Radwan du Hezbollah.

Dans le même temps, le Hezbollah a publié un communiqué samedi indiquant qu’il avait lancé un barrage de 62 roquettes sur une base de surveillance aérienne israélienne située au mont Meron, dans le nord d’Israël. Selon le communiqué, l’attaque à la roquette a atteint la cible visée dans ce qu’il a déclaré être une réponse préliminaire à l’assassinat d’Al-Arouri, indiquant que les comptes avec Israël n’ont pas encore été réglés au sujet de l’assassinat du responsable du Hamas.

La partie israélienne a confirmé que 40 roquettes avaient été lancées en direction de la base, sans préciser si elles avaient atteint leur cible. Mais selon le quotidien israélien Haaretz de dimanche soir, les Israéliens affirment maintenant que l’opération a infligé de lourds dommages à leur installation militaire.

De son côté, l’armée israélienne a annoncé avoir mené une opération de grande envergure contre des cibles du Hezbollah dans le sud du Liban, en réponse à l’opération du mouvement chiite. Selon l’armée israélienne, « d’importantes ressources » appartenant au mouvement ont été touchées lors des attaques.

Ces développements interviennent après que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a promis vendredi des représailles pour l’assassinat d’Al-Arouri, qui a marqué la première opération militaire israélienne visant la capitale libanaise depuis la guerre de 2006 avec le Hezbollah.

Malgré l’escalade des tensions, la situation reste précaire mais contenue, du moins pour l’instant.

« L’opération du Hezbollah est plus qu’une escalade et moins qu’une conflagration », a expliqué Elias Hanna, général de l’armée libanaise à la retraite, dans une interview accordée à RS. « De son côté, Israël compte sur l’Amérique pour obtenir des munitions et une puissance de feu », a-t-il ajouté, soulignant que le Hezbollah était dix fois plus puissant que le Hamas. « En cas de guerre totale avec le Hezbollah, Israël devrait donc compter encore plus sur les États-Unis, qui sont opposés à une telle guerre », a-t-il déclaré.

La dernière escalade sur le front israélo-libanais a néanmoins ravivé les craintes d’un conflit généralisé. S’adressant aux journalistes à Beyrouth, le responsable de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a mis en garde contre les risques d’une conflagration à grande échelle au Liban.

« Il est absolument nécessaire d’éviter que le Liban ne soit entraîné dans un conflit régional », a-t-il souligné.

L’agenda de M. Borrell à Beyrouth comprenait également des entretiens avec le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. Il s’agit de la première rencontre entre un haut fonctionnaire occidental et un représentant du mouvement chiite depuis l’éruption de la violence sur le front israélo-libanais le 8 octobre dernier.

Elle intervient alors que l’administration Biden intensifie ses efforts pour parvenir à un accord sur la démarcation des terres entre le Liban et Israël. La volonté de Washington de lancer des pourparlers en vue d’un accord potentiel découle de sa crainte d’une guerre généralisée sur le front israélo-libanais.

Le conseiller spécial du président Joe Biden pour l’énergie et les infrastructures, Amos Hochstein, est le fer de lance de ces efforts. M. Hochstein, qui a réussi à négocier l’accord sur la frontière maritime conclu entre le Liban et Israël en 2022, s’est récemment rendu en Israël pour discuter de la situation sur le front israélo-libanais et d’un éventuel accord sur la frontière terrestre.

M. Nasrallah n’a pas exclu que son parti soit prêt à s’engager dans des pourparlers parrainés par les États-Unis au sujet d’un tel accord, soulignant toutefois que cela ne peut avoir lieu avant qu’un cessez-le-feu permanent ne soit conclu à Gaza.

« Toute discussion, négociation ou dialogue ne pourra avoir lieu ou aboutir qu’après l’arrêt de l’agression contre Gaza », a déclaré M. Nasrallah dans son discours de vendredi.

Le chef du Hezbollah a également semblé poser ses conditions à un éventuel accord. Celles-ci comprennent non seulement le retrait d’Israël de ce que le Liban considère comme des territoires occupés dans les villages des fermes de Shebaa et de Ghajjar, mais aussi la fin de toutes les violations israéliennes de la souveraineté libanaise.

« Nous nous trouvons devant une occasion historique de libérer chaque pouce du territoire libanais et d’empêcher l’ennemi de violer la souveraineté libanaise sur terre, dans les airs et en mer », a-t-il affirmé.

Les déclarations de M. Nasrallah font écho à ce que les responsables du Hezbollah disent en privé, à savoir que le mouvement n’est pas opposé en principe à l’idée de pourparlers ou de négociations sur la frontière.

« Déclarer qu’il n’y aura pas de discussions sur cette question avant un cessez-le-feu à Gaza indique que le Hezbollah est ouvert en principe à de telles discussions », selon un responsable du Hezbollah qui a parlé à RS sous le couvert de l’anonymat.

RS peut également révéler que des responsables du parti chiite ont déclaré, lors de réunions à huis clos avec des diplomates européens, que l’accord maritime conclu entre le Liban et Israël sous l’égide des États-Unis pourrait faciliter les pourparlers sur un éventuel accord terrestre. Il est important de noter que ces déclarations suggèrent que le Hezbollah reste prêt à s’engager dans les efforts de médiation menés par les États-Unis, malgré le soutien pratiquement inconditionnel de l’administration Biden à Israël dans le conflit actuel à Gaza.

La volonté conditionnelle du Hezbollah de s’engager dans un tel processus sous les auspices des États-Unis et sa réticence persistante à prendre des mesures qui déclencheraient une guerre totale incitent fortement l’administration Biden à faire pression sur Israël pour qu’il accepte un cessez-le-feu permanent à Gaza, d’autant plus que l’objectif déclaré de Washington est d’empêcher une flambée majeure sur le front israélo-libanais.

Un conflit généralisé sur ce front compromettrait les intérêts américains au Liban, qui reste l’un des pays les plus importants de la région et la porte d’entrée de l’Occident au Moyen-Orient.

Malgré ses liens étroits avec Israël, Washington continue d’exercer une influence significative au Liban. L’armée libanaise, qui est l’institution la plus respectée du pays, est l’un des principaux bénéficiaires de l’aide militaire américaine. Les officiers et les soldats de l’armée se rendent fréquemment aux États-Unis dans le cadre de leurs programmes de formation. Le succès de Washington dans la négociation de l’accord sur la frontière maritime a renforcé son rôle d’acteur essentiel au Liban, d’autant plus que le pays reste techniquement en état de guerre avec Israël.

En revanche, en ne parvenant pas à obtenir un cessez-le-feu permanent à Gaza, les États-Unis courent un risque réel de guerre sur le front israélo-libanais. Cela est dû en grande partie à l’état d’esprit « les vrais hommes vont à Beyrouth » qui semble prévaloir parmi certains membres de l’élite politique et militaire israélienne. Tout comme les néoconservateurs américains ont adopté le slogan « les vrais hommes vont à Téhéran » après l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003, certains des responsables israéliens les plus radicaux semblent avoir envie d’une guerre avec le Hezbollah.

Le Washington Post a également révélé que les responsables américains craignent de plus en plus que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ne recoure à l’escalade sur le front libanais pour des considérations de politique intérieure. Quelle que soit l’issue d’une telle guerre, elle sera considérée par beaucoup, en particulier dans le monde arabe, comme soutenue et rendue possible par Washington.

Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé en 2006 lorsque les Israéliens ont attaqué pour la dernière fois la capitale libanaise, le monde est revenu à une ère de concurrence entre grandes puissances, avec des nations comme la Chine et la Russie qui cherchent à renforcer leur rôle au Moyen-Orient. Pékin et Moscou contestent l’influence des États-Unis dans la région, la première ayant réussi à rétablir les liens entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et la seconde étant intervenue militairement en faveur du président syrien Bachar Assad. Le fait que la Chine et la Russie se soient abstenues d’adopter une position anti-Hamas dans le conflit de Gaza est un autre indicateur de leur intention de concurrencer les États-Unis dans la région.

Une guerre totale sur le front israélo-libanais ne ferait que saper l’influence des États-Unis au Liban d’une manière qui ne pourrait que profiter à la Chine et à la Russie. Ces deux pays seraient probablement tentés d’étendre leur influence au Liban, compte tenu de son importance géopolitique. Et cela ne ferait qu’ajouter à l’influence déjà formidable de l’Iran, qui soutient le Hezbollah, au Liban.

Ali Rizk collabore à Al-Monitor et Al-Mayadeen et a écrit pour d’autres médias, notamment les quotidiens libanais Assafir et Al-Alakhbar.

Responsible Statecraft