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Colons pionniers juifs et membres du mouvement de défense préétatique Haganah dans leur poste de garde le 3 novembre 1938 au kibboutz Givat Brenner, pendant le mandat britannique de la Palestine, dans ce qui deviendra plus tard l’État d’Israël.(Photo par Zoltan Kluger/GPO via Getty Images)

Il est déconcertant de constater que l’écrasante majorité des Américains ne comprend même pas le principe fondamental de l’État d’Israël, qui reçoit chaque année des milliards d’euros d’aide militaire des États-Unis et un soutien politique sans faille.

Juan Cole

Shibley Telhami et Michael Hammer ont publié un nouveau commentaire basé sur leurs sondages de l’Université du Maryland (Critical Issues Poll) au cours de l’année écoulée. L’une des trois questions abordées est celle d’Israël et de la Palestine.

Ils ont constaté que 62 % des Américains n’ont aucune idée de ce qu’est le sionisme. Le sionisme est, bien entendu, une forme de nationalisme juif née en Europe centrale à la fin du XIXe siècle, qui cherche à faire de la religion juive une plate-forme pour un État, et qui exclut les non-Juifs de la souveraineté sur le territoire revendiqué par cet État juif.

Dans le cas de la Palestine, cette idéologie a entraîné l’apatridie des Palestiniens sous l’occupation israélienne et a fait des citoyens israéliens d’origine palestinienne des citoyens de seconde zone. En d’autres termes, le sionisme s’apparente à d’autres idéologies de suprématie ethnique telles que le nationalisme blanc ou la forme baasiste du nationalisme arabe (qui a fait des Kurdes des citoyens de seconde zone en Irak et a perpétué leur statut de non-citoyens en Syrie).

Les Américains ne sont pas éduqués sur le monde dans lequel ils vivent, ce qui a des conséquences sur notre propre démocratie. Si nous sommes simplement ignorants, il est plus probable que nous nous trompions de politique

Le mantra que l’on retrouve souvent chez les politiciens américains, à savoir qu’Israël doit être démocratique et juif, reflète le suprémacisme ethnique implicite dans la pensée sioniste. Que se passerait-il, par exemple, si la proportion d’Israéliens d’origine non juive devenait majoritaire ? Si l’État doit être « juif », cette évolution nécessiterait vraisemblablement l’expulsion ou la privation des droits des non-Juifs.

De telles évolutions démographiques ne sont pas théoriques, mais se manifestent dans le monde contemporain. Les chrétiens libanais représentaient 51 % de la population du Liban en 1930, mais probablement seulement 22 % environ aujourd’hui.

Dire qu’Israël doit être démocratique et juif revient à dire que les États-Unis doivent être démocratiques et blancs ou démocratiques et chrétiens. La seconde exigence, celle de la suprématie ethnique, est profondément antidémocratique et la seconde partie de la phrase annule furtivement la première.

Joe Biden se dit sioniste et, au vu de son comportement au cours des trois derniers mois, je pense qu’il faut en conclure qu’il est une sorte de sioniste extrême. Il est déconcertant que l’écrasante majorité des Américains ne sache même pas ce qu’il entend par là, ni quelle est l’idéologie du pays qui reçoit le plus d’aide américaine au monde.

Il est intéressant de noter que 12 % des Américains ont une perception négative du sionisme, et 8 % une perception positive. Quelque 19 % ne se soucient ni de l’un ni de l’autre. On peut supposer que ces 39 % représentent l’essentiel de ceux qui disent savoir ce qu’est le sionisme.

Les Américains qui ont une opinion négative du sionisme sont plus souvent des démocrates ou des indépendants que des républicains, bien que l’écart ne soit pas très important (8 % sont des républicains, 13 % des démocrates, 14 % des indépendants).

Quelque 15 % des Américains pensent que critiquer la politique israélienne est une forme d’antisémitisme (sectarisme à l’égard des Juifs). Seuls 37 % affirment qu’une telle critique ne constitue pas un préjugé antijuif. 48% ne savent pas.

Si l’on se concentre sur les 52 % qui ont une opinion sur la question, 70 % déclarent que critiquer Israël n’équivaut pas à avoir des préjugés à l’égard des Juifs. Il est toutefois inquiétant de constater que 28 % de ceux qui ont déclaré connaître la réponse à la question pensent que la seule façon d’éviter le sectarisme antijuif est de garder le silence sur les politiques et les actions d’Israël.

Cette question est de la plus haute importance, puisque 38 États ont adopté des lois interdisant le boycott d’Israël et le sanctionnant par le refus de contrats avec le gouvernement de l’État (y compris les honoraires des professeurs, des journalistes et des écrivains). En d’autres termes, la croyance selon laquelle il est interdit de critiquer Israël porte atteinte aux libertés fondamentales du premier amendement des Américains, parmi lesquelles la liberté de boycotter les entreprises avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. Le mouvement des droits civiques n’aurait probablement pas pu aboutir s’il avait été illégal de boycotter les entreprises appartenant à des Blancs et pratiquant la ségrégation.

Les États-Unis et la France se caractérisent par un nationalisme civique, ou du moins c’est leur tradition constitutionnelle. Tant que les citoyens sont loyaux envers la Constitution dans chaque pays, leur appartenance ethnique ne devrait idéalement pas avoir d’importance dans la loi. De toute évidence, elle importe, de facto, mais même dans ce cas, les termes peuvent changer. Voir, par exemple, Barack Obama, qui n’aurait probablement pas pu être président des États-Unis avant le 21e siècle. À ce moment-là, nous étions plus fidèles à notre tradition constitutionnelle de nationalisme civique que nous ne l’avions été auparavant. Le progrès est possible dans le cadre du nationalisme civique d’une manière que l’ethnonationalisme empêche.

Pour moi, le principal enseignement du sondage de l’université du Maryland est que les grands médias ont une fois de plus failli à leur mission. Les Américains ne sont pas informés sur le monde dans lequel ils vivent, ce qui a des conséquences pour notre propre démocratie. Si nous sommes simplement ignorants, il est plus probable que nous nous trompions de politique et que nous renoncions à notre droit de naissance en tant que peuple libre doté d’une charte des droits.

Juan Cole enseigne l’histoire du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud à l’université du Michigan. Son dernier livre, « Muhammad : Prophet of Peace Amid the Clash of Empires », a été publié en 2020. Il est également l’auteur de « The New Arabs : How the Millennial Generation Is Changing the Middle East » (2015) et « Napoleon’s Egypt : Invading the Middle East » (2008). Il est apparu à plusieurs reprises à la télévision, à la radio et dans des pages d’opinion en tant que commentateur des affaires du Moyen-Orient, et tient une chronique régulière sur Salon.com. Il a écrit, édité ou traduit 14 livres et est l’auteur de 60 articles de journaux.

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