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Par Natacha Polony

Il y avait quelque chose d’insupportable et de vain dans ce théâtre absurde du changement de gouvernement. L’arrivée de Gabriel Attal à Matignon, un jeune ambitieux si doué en com, ne fait que confirmer l’absence de colonne vertébrale chez Emmanuel Macron, toujours à la recherche d’une grande politique d’éducation et de cohésion nationale, juge Natacha Polony, directrice de la rédaction de « Marianne ».

Qui passerait Emmanuel Macron aux rayons X n’en tirerait qu’un cliché noir : c’est confirmé, il n’y a pas de colonne vertébrale chez cet homme. La comédie de boulevard qu’a été l’arrivée de Gabriel Attal à Matignon en est la dernière confirmation. Emmanuel Macron, alchimiste politique, réinvente à chaque nomination la pierre philosophale qui transforme l’or en plomb.

En l’occurrence, Gabriel Attal à Matignon, ça pouvait avoir un sens. Peut-être même était-il possible de faire oublier aux enseignants le mépris dont ils font l’objet, eux que l’on a fait passer de Jean-Michel Blanquer à Pap Ndiaye, son opposé absolu, avant de leur offrir un jeune communicant brillant… qu’on leur retire donc au bout de cinq mois. Peut-être était-il possible de s’employer à reconstituer cette communauté nationale que chaque événement, chaque crise, nous montre un peu plus fragilisée. Michel Rocard, au sortir de Matignon, avait exprimé l’idée qu’il faudrait un Premier ministre qui soit en même temps ministre de l’Éducation nationale pour signifier aux Français qu’il n’y a pas d’enjeu plus important.

Pur coup de com politique

Un levier pour parler du projet républicain d’émancipation par le savoir, par l’effort et le mérite, pour dire aux Français qu’il n’y a pas de démocratie sans renouvellement des élites et pas de communauté nationale sans citoyens éclairés. Ah, mais, bien entendu, le voilà, le projet d’Emmanuel Macron ! D’ailleurs, dans son adresse au nouveau Premier ministre, il a évoqué cette idée de « réarmement » civique ! Certes… On pourrait y croire. Enfin presque. On pourrait, si les conditions de cette nomination n’avaient pas mis en évidence les tractations et les hésitations qui signent le pur coup de com politique. Quand on tâtonne entre Julien Denormandie et Sébastien Lecornu, c’est qu’on n’a pas particulièrement en tête une grande politique d’éducation et de cohésion nationale. On cherche seulement une bonne tête de gondole qui reste dans la ligne.

Il y avait quelque chose d’insupportable et de vain dans ce théâtre absurde du changement de gouvernement.Non pas que les bruits de couloir et les intrigues des ambitieux soient une nouveauté. Mais imposer à Élisabeth Borne sa démission avant même d’avoir choisi son successeur revient à lui signifier qu’il n’y a aucun projet politique autre que se débarrasser d’elle. Ce qu’elle a bien compris, tant sa lettre de démission est loin du « never explain, never complain » que les commentateurs lui prêtaient complaisamment. Le bon vouloir du prince qui ne daigne même pas informer les divers ministres de leur sort, comme s’il n’y avait pas, derrière, des individus travaillant sur des dossiers, tentant de mettre en œuvre des politiques, aboutit à l’exact inverse de l’objectif souhaité : non pas donner l’image du souverain tout-puissant mais afficher l’indécision, l’absence de vision et, in fine, l’abandon de la conduite de l’État à une administration rendue toute-puissante par la faiblesse des ministres.

Il y a dix-huit mois déjà, la nomination d’Élisabeth Borne avait été d’emblée vidée de toute substance par le fait qu’elle était ouvertement un second choix, Catherine Vautrin ayant été retoquée par le secrétaire général de l’Élysée et véritable Premier ministre, Alexis Kohler. Un an et demi plus tard, on n’est pas plus avancé sur les projets d’Emmanuel Macron pour les trois ans à venir. Tout au plus aura-t-on compris qu’il s’agit de faire du vieux avec un jeune. Les politiques conservatrices qui plaisent aux électeurs retraités – préservation de l’ordre et surtout de leur patrimoine – seront tellement mieux portées par un jeune ambitieux si doué en com.

Qu’est-ce que cela peut bien changer pour la France et pour les Français ?La question, visiblement, semble accessoire. Emmanuel Macron, trop occupé à se déguiser en boxeur pour jouer les coachs sportifs, n’a sans doute pas eu le temps de se demander quels étaient les grands dossiers qui mettaient en jeu l’avenir du pays. Quant à Gabriel Attal, il semble croire que, de même que pour l’Éducation nationale, il suffit de découvrir les sujets et de lancer quelques expérimentations réclamées par les citoyens pour se forger un bilan. Après tout, voilà sept ans qu’une politique du logement et un plan d’aménagement du territoire auraient pu – et dû – être lancés. Cela peut encore attendre un peu…

L’urgence semble d’opposer au jeune Jordan Bardella l’image du jeune Gabriel Attal pour que les élections européennes ne soient pas le fiasco annoncé. Là non plus, pas question de débattre du fond, de la politique industrielle et agricole, de la manière de contrer le protectionnisme américain ou des choix en matière d’énergie et de défense (ce qui aurait sans doute comme effet magique de faire apparaître les limites du brillant président du RN, mais ce genre de considération n’effleure pas les journalistes qui l’interrogent) : on se contentera de jouer le grand combat du Bien contre le Mal, le référendum pour ou contre la paix et la démocratie.

Le nouveau Premier ministre a déjà largement fait la preuve de sa compréhension du jeu médiatique.Un pur produit de ces élites bien nées pour qui Dominique Strauss-Kahn et son néolibéralisme autoproclamé de gauche ont constitué le comble du progressisme. Depuis, il a compris que l’époque avait changé et qu’il fallait aller un peu plus dans le sens des citoyens. Sur les questions sociétales et régaliennes, bien sûr, pas sur l’économique et le social. On ne va pas jouer contre son camp.

Marianne