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Il y a moins de trois mois, le gouvernement français appelait à une alliance de type ISIS contre le Hamas. Aujourd’hui, la France déclare qu’Israël n’a pas le droit de déterminer l’avenir de Gaza. Qu’en est-il ?
Il s’est passé quelque chose entre la déclaration initiale de la France du 24 octobre, qui montrait un soutien total à Israël, et la dernière déclaration de vendredi de la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, critiquant les actions d’Israël à Gaza.
La première impression est que plus de trois mois de génocide israélien incessant dans la bande de Gaza ont suffi à la France pour développer une position morale, exigeant ainsi un cessez-le-feu.
Mais cela ne peut pas être le cas, pour deux raisons :
Premièrement, la moralité n’est guère un enjeu dans la politique étrangère française, qui repose exclusivement sur les intérêts économiques, les alliances régionales et les calculs géopolitiques.
Deuxièmement, Paris a dû connaître l’ampleur du génocide israélien à Gaza, si ce n’était à travers le langage génocidaire utilisé par les politiciens israéliens, puis à travers les milliers de morts palestiniens et les destructions massives survenues immédiatement après la déclaration de guerre de Tel-Aviv.
“It’s not up to Israel to determine the future of Gaza, which is Palestinian land, we need to return to the principle of international law”.
In an exclusive intv, French FM Catherine Colonna calls plans by Israeli ministers to resettle Gazans outside the strip “irresponsible”. pic.twitter.com/64kgmitoSX— Isa Soares (@IsaCNN) January 5, 2024
Quelle était alors la position française ?
La France a fortement soutenu la guerre israélienne immédiatement après son déclenchement. Ce soutien s’est poursuivi sans entrave, même après qu’il soit devenu clair que la guerre israélienne visait principalement des civils innocents.
Le 24 octobre, Macron s’est rendu en Israël, déclarant à son homologue israélien, Isaac Herzog, qu’il se tenait « aux côtés d’Israël » et a promis le « plein soutien » de la France au bombardement de la bande de Gaza par Tel Aviv.
Il est allé encore plus loin, suggérant la nécessité d’une alliance internationale contre le Hamas, similaire à l’ alliance internationale formée contre l’Etat islamique en 2014.
« La France est prête à ce que la coalition qui combat en Irak et en Syrie contre l’EI lutte également contre le Hamas », a déclaré Macron au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Cela signifie que contrairement aux États-Unis, qui cherchaient à réduire les tensions régionales, Macron voulait faire exactement le contraire, à savoir une escalade régionale, dans l’espoir de compenser les pertes géopolitiques de la France en Afrique de l’Ouest et dans la région du Sahel, en apparaissant comme un leader mondial. .
Pire encore, Macron a accepté les déclarations israéliennes farfelues, comme celles de Netanyahu, selon lesquelles, en effet, « le Hamas est ISIS ».
‘We will do whatever we can to restore peace, security and stability for your country and the whole region,’ French President Macron tells Israeli President Herzog pic.twitter.com/fq2rLJeF8C— i24NEWS English (@i24NEWS_EN) October 24, 2023
Quelle est la position française aujourd’hui ?
Pourtant, vendredi 5 janvier, le ministre français des Affaires étrangères Colonna a fait la déclaration la plus ferme de la France depuis le début de la guerre.
« Nous devons revenir au principe du droit international et le respecter », a déclaré Colonna, ajoutant que « ce n’est pas à Israël de déterminer l’avenir de Gaza, qui est une terre palestinienne ».
Sa déclaration a coïncidé avec l’ annonce selon laquelle les forces aériennes françaises et jordaniennes avaient largué sept tonnes d’aide humanitaire et médicale d’urgence pour un hôpital de campagne à Khan Yunis, dans le sud de Gaza.
Comment expliquer le changement de position des Français ?
Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer pourquoi le gouvernement français tente de prendre ses distances avec le génocide israélien à Gaza et le soutien américain à ce génocide.
Ils comprennent:
Premièrement, la décision stratégique du Yéménite Ansrallah visant à cibler tout navire entrant ou sortant vers Israël, car elle perturbe finalement le trafic dans la mer Rouge, via l’une des voies navigables commerciales les plus fréquentées au monde, Bab Al-Mandab.
La décision d’Ansarallah est directement liée au génocide israélien à Gaza, une guerre que la France, comme Washington, a pleinement soutenue.
Même si la France a accepté l’opération américaine « Prosperity Guardian » – censée protéger les navires de la mer Rouge – elle a insisté sur le fait qu’elle le ferait sous son propre commandement militaire et qu’elle ne participerait à aucune action militaire menée par les États-Unis contre Ansarallah. au Yémen.
Il s’agit d’une raison très importante qui pourrait expliquer en partie le changement de position de Paris, la France étant fortement dépendante de Bab Al-Mandab pour une grande partie de ses échanges commerciaux avec l’Asie et certaines parties du Moyen-Orient.
Deuxièmement, les alliances étroites de la France avec les pays arabes.
Contrairement à Washington, la diplomatie de Paris au Moyen-Orient ne repose pas sur une action militaire en soi, même si elle a été impliquée, à divers titres, dans la soi-disant guerre contre le terrorisme des États-Unis, dans l’alliance anti-EI, etc.
Paris tente de se présenter comme une version plus douce de l’approche militante américaine de la diplomatie, en établissant des liens politiques forts et en apparaissant, bien que superficiellement, plus équilibrée dans son approche du soi-disant conflit israélo-arabe.
De plus, la France tente souvent de manipuler la fracture irano-arabe, en plus de la fracture au Liban entre le groupe de la Résistance Hezbollah et les autres forces politiques pro-françaises du pays.
Le génocide israélien à Gaza a indubitablement, et peut-être de manière irréversible – à moyen et long termes – renforcé toutes les forces de la Résistance au Moyen-Orient et renforcé la position géopolitique de l’Iran aux dépens des alliés arabes traditionnels de Paris.
Macron a dû l’avoir compris et tente de revenir sur la position fortement pro-israélienne adoptée par son gouvernement depuis plus de trois mois.
Le fait que le largage aérien d’une aide médicale vers un hôpital de Khan Yunis, dans le sud de Gaza, vendredi, ait eu lieu en coordination avec le roi Abdallah II, illustre encore davantage le fait que la France tente de pacifier ses alliés, sans nécessairement marquer des points avec les Palestiniens eux-mêmes.
Troisièmement, l’instabilité sociale en France.
La société française est tout sauf docile et diverses problématiques sociales et politiques ont tendance à se chevaucher.
Si le soutien de Washington à Tel-Aviv devient désormais une préoccupation majeure de l’administration Biden lors des prochaines élections présidentielles, on peut imaginer à quel point le génocide israélien à Gaza serait encore plus pertinent en tant que question sociale et politique interne à la société française.
De nombreuses forces progressistes en France ont souvent perçu la Palestine comme un enjeu majeur dans leur lutte pour la justice et l’égalité. Ces forces ont été très actives ces derniers mois et ces dernières années, protestant contre diverses questions, allant de l’allongement de l’âge de la retraite aux réductions des aides sociales, en passant par la hausse du chômage.
The humanitarian situation in Gaza remains critical. In a difficult context, France and Jordan provided aid by air to the population and to those assisting them. pic.twitter.com/RXQYgPa9Ep— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 5, 2024
Couplé aux quelque cinq millions de musulmans français, également actifs dans ces cercles, Gaza est devenu un enjeu quotidien pour la société française, qui n’a cessé de protester, exigeant un cessez-le-feu depuis les premiers jours de la guerre.
Macron comprend qu’en raison de la fragilité politique de son gouvernement, et en fait de sa propre position, il ne peut pas se permettre de prolonger ces protestations, qui pourraient évoluer et se chevaucher avec d’autres enjeux.
Le changement politique en France pourrait être significatif s’il reste cohérent et, en fait, se transforme en une position politique plus forte qui va au-delà de la rhétorique pour se traduire par des actions.
Il faut cependant rappeler que la position de l’Elysée est dénuée de toute moralité et fondée uniquement sur des intérêts et rien d’autre.