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Par Elijah J. Magnier 

Dans une démarche sans précédent, l’Afrique du Sud a pris une position audacieuse devant la Cour internationale de justice (CIJ), en mettant en cause les actions d’Israël à Gaza et le manque d’empressement des USA à faire stopper les massacres israéliens. L’audience demandée par l’Afrique du Sud devant la plus haute instance judiciaire du monde, qui fait partie des Nations unies, porte sur une accusation de génocide commis par Israël à l’encontre de la population palestinienne de Gaza. Cette accusation se fonde sur la Convention sur le génocide, ratifiée par les États membres de l’ONU en 1948 après la Seconde Guerre mondiale. Elle vise à contraindre Israël à cesser immédiatement ses opérations militaires. 

Israël a accusé l’Afrique du Sud d’agir en tant que « bras juridique » des militants du Hamas lorsque des avocats ont présenté le dossier de génocide Pretoria contre Israël devant le plus haut tribunal de l’ONU. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Lior Haiat, a qualifié l’accusation sud-africaine concernant les actions d’Israël à Gaza comme « l’une des plus grandes manifestations d’hypocrisie de l’histoire ». Mais il semble que les pleurs des Israéliens soient moins susceptibles d’être entendus que ceux des milliers de familles et d’orphelins palestiniens qui se sont retrouvés privés des services minimums nécessaires à Gaza au cours des 95 jours de cette guerre dévastatrice.

L’action en justice de l’Afrique du Sud est significative, car elle représente un renversement de rôle pour Israël. Dans le passé, Israël a soutenu la Cour internationale de justice pour promouvoir l’unité du monde après l’Holocauste. Aujourd’hui, Israël est confronté à des accusations similaires, ses militaires étant accusés de commettre un génocide à l’encontre de la population palestinienne. L’accusation d’antisémitisme portée par Israël contre les juges ou les avocats sud-africains à la suite des punitions collectives et des crimes présentés à la CIJ pourrait bien cette fois-ci ne pas trouver d’auditoire réceptif et de tomber dans l’oreille de sourds.

La décision de l’Afrique du Sud de porter cette affaire devant la CIJ est une démonstration remarquable de courage et de détermination, d’autant plus qu’aucun autre pays du Moyen-Orient ou d’Asie n’a pris une telle mesure. Elle souligne l’inquiétude croissante que suscite le fait qu’Israël, qui se dégage de toute responsabilité et qui bénéficie du soutien illimité des USA, a atteint un dangereux niveau d’impunité. Cette situation s’est aggravée au point qu’Israël semble indifférent à la nécessité de faire preuve de retenue, ce qui constitue une menace importante pour la paix et la stabilité internationales. L’audace de l’action en justice de l’Afrique du Sud marque un tournant, qui souligne l’urgence de répondre à ces graves préoccupations soulevées au niveau international et la nécessité de rétablir le respect des lois internationales pour tous les pays sans exception.

L’Afrique du Sud, membre de poids des pays du BRICS, qui comprend aussi le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, ainsi que d’autres pays clés comme l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, a pris une position importante à l’encontre d’Israël et de son allié américain. Cette décision se présente comme un défi lancé au principal allié d’Israël, les USA, qui est aussi une réponse aux actions de l’armée israélienne ciblant des civils innocents ainsi qu’à plus de 200 déclarations de fonctionnaires israéliens et d’institutions des Nations unies ayant une présence ou une responsabilité à Gaza. L’affaire reprend égalementla déclaration du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, selon laquelle Gaza « s’est transformée en un vaste cimetière pour les Palestiniens ». L’initiative de l’Afrique du Sud de porter l’affaire devant la CIJ a été critiquée par le secrétaire d’État américain Anthony Blinken, qui a qualifié l’affaire de « peu utile », en affirmant qu’elle détournerait l’attention de questions plus urgentes.

Néanmoins, la décision de l’Afrique du Sud a reçu un soutien international considérable. Les 22 membres de la Ligue arabe et les 65 membres de l’Organisation de la coopération islamique l’ont soutenue. En outre, un groupe diversifié de pays, dont la Belgique, la Colombie, l’Arabie saoudite, le Pakistan, le Brésil, le Maroc, le Nicaragua, la Turquie, la Jordanie, la Malaisie, la Bolivie, le Venezuela, les Maldives et la Namibie, ont également exprimé leur soutien à l’action en justice de l’Afrique du Sud. Ce large appui souligne l’inquiétude mondiale face à la situation à Gaza. Il s’agit d’un appel collectif à la responsabilité et à la justice sur la scène internationale.

L’objectif immédiat de l’Afrique du Sud en portant plainte contre Israël devant la CIJ est d’obtenir une décision préliminaire en faveur d’un cessez-le-feu immédiat, bien avant une décision finale qui pourrait prendre des années. Cette approche n’est pas sans précédent dans le droit international. Dans un contexte similaire, par exemple, la Gambie a porté plainte contre le Myanmar pour le génocide de 740 000 Rohingyas en 2017. La CIJ a alors réagi relativement rapidement, puisqu’il ne lui a fallu qu’un mois et demi pour rendre une première décision, la décision finale devant être rendue en janvier 2020.

Dans un autre contexte, l’Ukraine a porté plainte contre la Russie en février 2022 et, quelques semaines plus tard, la CIJ a rendu une décision préliminaire. Dans un élan de solidarité et pour éviter les accusations d’inaction ou de négligence, 32 pays ont finalement rejoint l’Ukraine dans son accusation, démontrant ainsi l’engagement de la communauté internationale à traiter de questions aussi graves.

Inspirée par ces précédents, l’Afrique du Sud espère que la CIJ rendra une première décision tout aussi rapide. D’autres pays, peu désireux d’être considérés comme passifs ou complices des actions d’Israël contre les Palestiniens, devraient se joindre à la cause. L’objectif premier est d’arrêter immédiatement les opérations militaires et d’éviter de nouvelles victimes civiles. Cette stratégie souligne l’urgence avec laquelle l’Afrique du Sud et ses partisans considèrent la situation et la nécessité d’une intervention judiciaire internationale immédiate pour mettre fin au massacre des civils.

Dans son dossier judiciaire complet de 84 pages, l’Afrique du Sud a méticuleusement compilé les déclarations de plus de 200 responsables israéliens, ainsi que de diverses agences des Nations unies travaillant en Palestine. La déclaration du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui a décrit Gaza comme un « cimetière géant » en raison de l’action militaire israélienne, constitue un élément essentiel de l’affaire.

La procédure de jugement de cette affaire devant la CIJ exige qu’au moins 8 des 15 magistrats s’entendent sur les jugements préliminaires et définitifs. Compte tenu de la gravité des déclarations faites par de hauts fonctionnaires des Nations unies, dont le secrétaire général, des membres du gouvernement israélien et des représentants de la Knesset, l’on s’attend à ce que les juges examinent ces arguments avec sérieux. Ces déclarations portent sur des questions de punition collective et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis à Gaza.

Même si l’affaire ne débouche pas sur une conclusion unanime de « génocide », la profondeur et l’étendue des preuves présentées, en particulier les perspectives et les témoignages de personnalités et d’institutions faisant autorité, constituent un défi de taille pour les juges. L’on s’attend à ce qu’il leur soit très difficile d’ignorer ou de rejeter des témoignages et des rapports aussi substantiels et influents. Ce facteur ajoute une couche de complexité au processus décisionnel et est susceptible d’influencer les délibérations de la Cour et l’issue de l’affaire.

Compte tenu du caractère incontournable des preuves et des témoignages présentés dans l’affaire sud-africaine, il semble très probable que la CIJ lance un appel à la cessation des hostilités peu de temps après avoir achevé son examen préliminaire. Une telle décision, en faveur d’une cessation immédiate du conflit pour des raisons humanitaires, constituerait un revers important pour Israël. Cela est particulièrement vrai dans le contexte de l’attitude historique d’Israël à l’égard des résolutions internationales.

Depuis sa création en 1948, Israël a toujours été perçu comme faisant fi de nombreuses décisions internationales en faveur de la cause palestinienne, un point souligné dans la soumission sud-africaine. Ce non-respect inclut la réponse d’Israël à une résolution du Conseil de sécurité de 2004 sur le mur controversé construit en Palestine. La résolution demandait des mesures concrètes, notamment l’arrêt de la construction, le démantèlement des parties du mur déjà construites et des compensations pour les difficultés causées, des demandes qu’Israël a largement ignorées.

En fait, en 2004, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé à la CIJ, par le biais de la résolution ES-10/14, de rendre un avis consultatif sur la légalité du mur construit par Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est. Formulée dans le cadre d’une session extraordinaire d’urgence, cette demande visait à évaluer si le mur était conforme au droit international, notamment à la quatrième convention de Genève et à d’autres résolutions pertinentes de l’ONU.

L’avis consultatif de la CIJ sur le mur portait sur quatre aspects essentiels : la légalité de la construction du mur au regard du droit international, les considérations procédurales relatives à la demande de l’Assemblée générale, la compétence et le pouvoir discrétionnaire de la CIJ pour rendre l’avis, et le contexte plus large exigeant d’Israël et de la Palestine qu’ils se conforment au droit humanitaire international, en mettant l’accent sur la recherche d’une solution négociée en vue de la création d’un État palestinien. La CIJ a conclu que la demande de l’Assemblée générale relevait de sa compétence, donc qu’elle pouvait émettre l’avis consultatif, en notant que la nature politique d’une question n’enlève rien à son caractère judiciaire.

La CIJ a estimé que la construction du mur par Israël était illégale au regard du droit international et qu’Israël était tenu d’en arrêter la construction, de démanteler les sections existantes et de verser une indemnisation pour les dommages causés. Elle a également souligné que tous les États se devaient de ne pas reconnaître la situation illégale créée par le mur, de veiller à ce qu’Israël respecte le droit humanitaire international et d’éviter d’aider et d’encourager le maintien du mur. Les Nations unies, en particulier l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, ont été invitées à envisager d’autres mesures pour mettre fin à cette situation illégale. Bien que non contraignant, l’avis a eu des répercussions importantes sur le droit international et le conflit israélo-palestinien et a suscité des réactions mitigées au niveau international. Israël a continué malgré tout à construire le mur, en s’écartant de la ligne verte et en minant les droits et les conditions de vie de la société palestinienne. L’Union européenne et ses États membres ont pris acte de l’avis, sans toutefois faire pression sur Israël pour qu’il démantèle le mur ou le tenir pour responsable des violations commises.

En outre, l’importance de l’issue possible est soulignée dans le rapport (du juge Richard) Goldstone. Ce rapport était le fruit d’une enquête sur les actions menées en 2008 et 2009 à la suite de la guerre de 22 jours contre Gaza. Le rapport Goldstone a fait état de nombreuses violations commises par Israël au cours de ses opérations militaires, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Il soulignait le ciblage délibéré de civils et les graves violations de la quatrième convention de Genève, ainsi que l’utilisation d’une force disproportionnée.

Le rapport Goldstone, qui a enquêté sur la conduite d’Israël pendant le conflit de Gaza en 2008-2009, a constaté une série de violations graves qui ne diffèrent pas de celles commises par les forces d’occupation israéliennes depuis octobre 2002. Il a conclu que le ciblage direct et l’assassinat arbitraire de civils palestiniens par Israël constituaient une violation du droit à la vie. Le rapport condamnait également des actions comme le ciblage de sites industriels et d’installations d’approvisionnement en eau, l’utilisation de civils palestiniens comme boucliers humains, le recours à une force excessive et la destruction de biens et d’infrastructures civils. Ses conclusions dressaient un tableau sombre de la situation. Elles mettaient en évidence de graves violations du droit humanitaire international, qu’Israël semblait ignorer.

La remise du rapport Goldstone au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a marqué une étape importante. Toutefois, la nature non contraignante de ce genre de rapports sur Israël a tempéré les attentes quant à leur impact. Néanmoins, les nouvelles s’y rapportant ont joué un rôle crucial dans la perception mondiale et populaire du conflit israélo-palestinien. Elles ont contribué à une plus grande prise de conscience des violations israéliennes présumées et de la situation tragique des Palestiniens. Elles ont également mis de l’avant la notion de responsabilité – ou d’absence de responsabilité – dans le droit international et la gouvernance.

Les suites de la publication du rapport Goldstone et d’autres enquêtes similaires ont suscité un scepticisme croissant quant à l’efficacité des institutions internationales et à l’application équitable du droit international. Ce scepticisme est alimenté par le sentiment que les pays puissants ou leurs alliés sont souvent protégés des conséquences de leurs actes, ce qui contraste fortement avec le traitement réservé aux pays moins influents.

Dans le cas de Gaza 2023, si la CIJ rend une décision conforme à la demande de l’Afrique du Sud et qu’Israël continue à ne pas respecter ses engagements, la réputation d’Israël en tant qu’entité paria agissant au mépris du droit international pourrait s’en trouver renforcée. Ce scénario aurait des implications juridiques importantes et affecterait la position internationale d’Israël et ses relations avec d’autres pays et organismes mondiaux.

Une décision de la CIJ en faveur de la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pourrait avoir des incidences considérables, en particulier pour les pays qui fournissent des armes à Israël, comme les USA, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France et la Grande-Bretagne. Une telle décision placerait ces pays dans une position où la poursuite de leur soutien à Israël pourrait être interprétée comme une violation des mandats des Nations unies, ce qui risquerait d’ébranler tout l’échafaudage du droit international. Cette situation pourrait conduire à un paradigme en vertu duquel les relations mondiales seraient régies par la loi du plus fort, sans égards aux conséquences juridiques ou éthiques. Un tel scénario obligerait une réévaluation des politiques diplomatiques et commerciales dans le monde, notamment en ce qui concerne les zones de conflit et la protection des droits de la personne.

La désillusion à l’égard des mécanismes juridiques internationaux et de leur capacité à faire respecter les droits de la personne gagne toujours plus de terrain, surtout lorsqu’il s’agit d’allégations de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Cette désillusion se manifeste également dans les réactions du public, qui est de plus en plus conscient des injustices perçues par les habitants du Moyen-Orient qui ont subi les guerres occidentales menées par les USA, et de l’injustice ancestrale dont souffre le peuple palestinien. Les critiques à l’égard des pays qui soutiennent ou approuvent les actions d’Israël et le protègent, comme les USA et leurs alliés occidentaux, connaissent une montée sans précédent

La réputation d’Israël en tant que « démocratie » fait l’objet d’un examen approfondi en raison de ses actions, qui sont largement perçues comme celles d’une entité criminelle et brutale, désireuse de se venger et d’exterminer les Palestiniens. L’ouverture avec laquelle ces actions sont menées et proclamées érodeconsidérablement la position d’Israël aux yeux de la communauté internationale. Ce changement de perception est exacerbé par le soutien indéfectible de son allié américain, qui est aussi critiqué pour son association à ces politiques et actions.

Dans ce contexte, le procès intenté par l’Afrique du Sud contre Israël revêt une grande importance. En contestant juridiquement les actions d’Israël dans un forum international, l’Afrique du Sud cherche nonseulement à exiger des comptes, mais aussi à frapper au cœur de l’image et de la légitimité internationales d’Israël. Cette affaire symbolise un mécontentement mondial plus large à l’égard des politiques d’Israël, en particulier en ce qui concerne la question palestinienne.

Les effets possibles de ce procès vont au-delà de ses incidences juridiques immédiates. Il représente un moment important dans les relations internationales, car il souligne la volonté croissante des nationsd’affronter et de défier les pays puissants par des voies juridiques et diplomatiques. Cette évolution reflète une dynamique changeante dans la politique internationale, où l’opinion publique et les considérations morales sont de plus en plus influentes.

Il rappelle également l’importance du respect du droit et des normes internationales. Il souligne le principe selon lequel aucun pays n’est au-dessus de la loi, quelles que soient sa puissance et ses alliances. L’issue de cette affaire pourrait avoir des conséquences majeures non seulement pour Israël et ses alliés, mais aussi pour le système judiciaire international et l’application de la justice mondiale.

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