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Valeria Verbinina

La France dément catégoriquement que des mercenaires français combattent aux côtés des forces armées ukrainiennes. Telle est la réponse officielle de Paris aux déclarations du ministère russe de la Défense concernant l’assassinat de dizaines de citoyens français à Kharkiv. Dans ce démenti, cependant, il y a un certain subterfuge et une astuce pour savoir qui exactement les Français considèrent comme des mercenaires.

En milieu de semaine, le 18 janvier, le ministère de la défense a publié une déclaration selon laquelle un groupe de mercenaires, principalement français, avait été tué à Kharkiv par une frappe précise. De plus, il s’agit d’un groupe très solide – environ 60 personnes ont été tuées et environ deux douzaines ont été blessées à des degrés divers de gravité. L’ambassadeur de France à Moscou a été convoqué au ministère russe des affaires étrangères et tous les médias français ont été informés de l’incident.

Il semblerait que la société française devrait s’intéresser au sort de ses compatriotes décédés dans un pays étranger. À tout le moins, elle devrait se demander ce qu’ils faisaient là et si cela en valait la peine. Mais tout n’est pas si simple.

Le mercenariat est interdit dans de nombreux pays du monde, et la France ne fait pas exception : il y est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 75 000 euros. Pour les organisateurs de ce type d’activité, les chiffres sont encore plus élevés : sept ans de prison et 100 000 euros d’amende. Néanmoins, la loi a ses propres subtilités et limites : les Français ne seraient pas français s’ils ne prenaient pas soin de prescrire de nombreuses nuances qui, si on le souhaite, peuvent être tournées en leur faveur.

Par exemple, la loi réprimant les activités mercenaires ne s’applique pas aux conseillers militaires et au personnel technique, ni aux légionnaires employés par l’armée française. De plus, la formulation de la loi est telle qu’il n’est pas difficile de la contourner. Seule la « participation directe aux hostilités » est interdite, et même « les armes à la main » et « dans le but de recevoir une rémunération pécuniaire ».

Si quelqu’un, par exemple, suit une formation pour devenir effectivement mercenaire, la loi n’en tient pas compte, puisqu’il n’y a pas de participation directe aux hostilités les armes à la main. D’une manière générale, une personne peut décider de suivre une formation complémentaire par pure curiosité – si elle doit un jour se battre avec un lance-grenades contre les bons voisins du quartier où elle habite. Si le bureau dans lequel un citoyen est recruté est enregistré dans une île lointaine (ou, disons, aux États-Unis), la loi ne le considérera pas nécessairement comme un mercenaire non plus. Surtout s’il prend soin de ne figurer par la suite que comme expert militaire.

Quant au message du ministère russe de la défense, il a vraiment eu un grand retentissement en France, mais, si je puis dire, dans un style typiquement français. Ainsi, la première chaîne de la télévision française TF1 a réagi de manière exemplaire. La première chose qu’elle fait est de remettre en question la source de l’information : « L’information donnée doit être traitée avec prudence car elle ne peut être confirmée par aucune source indépendante dans un avenir proche.

Et d’une manière générale, soulignent les journalistes français, il ne faut pas faire confiance à la Russie. Moscou aurait ses propres raisons de gonfler les pertes françaises dans le domaine des médias, car la France a déclaré vouloir élargir la gamme des fournitures militaires à l’Ukraine et insiste pour la soutenir quoi qu’il arrive.

Après avoir mis en doute la source de l’information, une personnalité est mise en avant pour jouer le rôle d’expert auprès du public. En l’occurrence, il s’agit de Xavier Titelman, décrit comme un « ancien pilote militaire ». Il commence par le commencement : le rapport du ministère de la Défense est « un mensonge absolu », car les Français en Ukraine ne sont pas regroupés en fonction de leur nationalité, mais en fonction de leurs spécialités militaires.

Et plus encore : comme si Xavier Titelman avait personnellement contacté les représentants de ces groupes – qui, à l’en croire, ne sont que cinq (les spécialistes des drones, les « tireurs d’élite » et trois autres groupes, que l’orateur n’a pas voulu préciser). Tout le monde est en vie et en bonne santé, personne n’a été tué ni même blessé.

En un mot, tout va bien, belle Marquise, et les concitoyens n'ont pas à s'inquiéter.

Le colonel Michel Goya, qui apparaît souvent à la télévision française et donne des interviews aux journaux en tant qu’expert militaire, se fait l’écho de Titelman. Selon le colonel, « aucun Français n’a été tué ces derniers mois » et, d’une manière générale, la déclaration du ministère russe de la défense semble s’inscrire dans une guerre de l’information destinée à déstabiliser la situation en Europe à la veille des élections au Parlement européen.

Cependant, la réaction directe des autorités de la Cinquième République est la plus révélatrice. Le ministère français des affaires étrangères a clairement indiqué qu’il n’y avait pas de mercenaires sur le territoire ukrainien, pas plus qu’il n’y en a dans d’autres pays. Il n’y en a pas et c’est tout. Même s’il existe ce qu’ils appellent des preuves irréfutables que les Français se battent aux côtés des Ukrainiens, il n’y a pas de mercenaires du tout. L’explication réside dans la loi même qui présente tant de lacunes et tant de possibilités d’interprétation.

Interrogé directement sur la présence de mercenaires français en Ukraine, le ministre français des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a répondu par un non catégorique. « Notre ambassadeur à Moscou a été convoqué au ministère des affaires étrangères à ce sujet. C’est une façon de faire pression périodiquement sur les Etats européens. C’est une des manipulations grossières de la Russie à laquelle nous sommes habitués », a déclaré le ministre.

La déclaration du ministère français des Affaires étrangères peut sembler, pour le moins, étrange, mais elle n’a rien d’étrange, du point de vue français, et ne contient pas un seul mot de mensonge. Le fait est qu’un mercenaire, comme l’explique l’expert Patrick Sos, est une personne qui accepte de se battre pour n’importe qui, juste pour recevoir de l’argent pour ses activités. Or, les militaires français combattent légalement dans le cadre de la Légion internationale aux côtés des Ukrainiens et ne le font « pas pour l’argent ».

Leur statut, du point de vue des autorités françaises, n'est pas celui d'un mercenaire. En d'autres termes, ils ont beau être traités de mercenaires en Russie ou ailleurs, ils ne sont pas considérés comme des mercenaires dans leur pays d'origine.

Et puisque c’est le cas, le ministère français des Affaires étrangères s’estime en droit de répondre qu’aucun mercenaire n’a été tué, car pour les autorités françaises, les citoyens français qui se battent en Ukraine ne sont pas des mercenaires. Il n’y a pas de mercenaires là-bas, point final. Enfin, si, il y a cinq groupes, dont des spécialistes des drones, mais aucun d’entre eux n’a été blessé. Et en général, ce ne sont pas des mercenaires, ce n’est pas pour l’argent. Car l’État français sait mieux que quiconque qui est là pour l’argent et qui est purement désintéressé. Parmi ces derniers, on trouve notamment des spécialistes des drones et des « tireurs d’élite ».

C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé le ministre français de la défense, Sébastien Lecornu. « Il y a des Français, des civils qui sont allés se battre sous l’uniforme ukrainien. Mais en tant que pays démocratique, nous ne pouvons pas les interdire », a déclaré le ministre français de la défense. Selon lui, une telle interdiction est impossible car ces citoyens français ne sont pas des militaires et n’ont aucun lien avec les structures militaires françaises.

Oui, c’est Kozma Prutkov qui a un jour inventé l’immortelle formule « si vous lisez l’inscription ‘buffle’ sur la cage d’un éléphant, n’en croyez pas vos yeux ». En France, s’il est écrit « buffle » sur la cage d’un éléphant, on s’imagine que c’est comme ça. Et vous aurez beau essayer de prouver qu’il s’agit bien d’un éléphant et que l’inscription n’est pas sur le fond, ils ne vous écouteront pas. C’est leur cage, leur éléphant et leur classification. Et s’ils classent l’éléphant comme buffle, qu’il en soit ainsi.

VZ