par Edouard Husson

La Cour Internationale de Justice a rendu son verdict concernant la demande sud-africaine de mesures conservatoires à Gaza, permettant d’arrêter les massacres -qualifiés de génocide parla République sud-africaine. La Cour a tranché en faveur de la République sud-africaine: elle s’est déclarée compétente pour examiner les faits incriminés. Et elle les a jugés suffisamment graves pour (1) annoncer qu’elle jugerait au fond (y a-t-il génocide ou non?) et (2) considérer qu’Israël devait rendre un rapport d’ici un mois attestant de son respect de la Convention internationale sur les génocides. Certains observateurs sont déçus que la Cour n’ait pas exigé un « cessez-le-feu ».Il n’est pas sûr cependant que ce soit de son ressort. Et il ne faudrait pas sous-estimer l’impact d’un jugement qui demande à l’Etat hébreu de respecter le droit international, tout simplement.
Prenez le temps de lire ou d’écouter le rendu du verdict de la Cour Internationale de Justice sur la requête sud-africaine concernant les événements de Gaza. On y comprend le premier mérite de la requête sud-africaine:avoir permis que soient confirmées devant la communauté internationale un certain nombre de constats sur les massacres commis à Gaza par l’armée israélienne.
En soi, c’est énorme! Depuis des semaines la diplomatie israélienne ne cesse de ridiculiser ou de menacer les membres des ONG ou les représentants des organisations internationales qui établissent les faits de la violence commise à Gaza. Face à cela, la CIJ établit:
LA COUR,
Indique les mesures conservatoires suivantes :
1) Par quinze voix contre deux,
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe (…)2) Par quinze voix contre deux,
L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ; (…)3) Par seize voix contre une,
L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ; (…)4) Par seize voix contre une,
L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;5) Par quinze voix contre deux,
L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ
d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ; (…)6) Par quinze voix contre deux,
L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci.Verdict de la CIJ
Eviter d’être plus royaliste que le roi
On entend bien la déception de certain. En témoigne cet article du Cradle:
le tribunal n’a pas ordonné la fin de la campagne de nettoyage ethnique d’Israël à Gaza ni appelé à un cessez-le-feuThe Cradle, 26.01.2024
Cependant, la Cour n’a pas compétence pour decider de la guerre ou de la paix. Ensuite,argumenter ainsi, c’est sous-estimer l’impact du verdict.Ce que la Cour explique, c’est qu’il n’y a pas d’exception au respect du droit international. Je ne suis pas sûr que les commentateurs qui se font « plus royalistes que le roi » se rendent compte de la portée d’un verdict public quy, par exemple, cite explicitement les intentions de trois hauts responsables israéliens:
. Le 9 octobre 2023, M. Yoav Gallant, ministre israélien de la défense, a annoncé qu’il avait ordonné un « siège complet » de la ville de Gaza, qu’il n’y aurait « pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de combustible » et que « tout [étai]t fermé ». Le jour suivant, M. Gallant a déclaré, dans son allocution aux troupes israéliennes à la frontière de Gaza :
« J’ai levé toutes les limites … Vous avez vu contre quoi nous nous battons. Nous combattons des animaux humains. C’est l’État islamique de Gaza. C’est contre ça que nous luttons … Gaza ne reviendra pas à ce qu’elle était avant. Il n’y aura pas de Hamas. Nous détruirons tout. Si un jour ne suffit pas, cela prendra une semaine, cela prendra des semaines, voire des mois, aucun endroit ne nous échappera. »Le 12 octobre 2023, M. Isaac Herzog, président d’Israël, a déclaré, en parlant de Gaza: « Nous agissons, opérons militairement selon les règles du droit international. Sans conteste. C’est toute une nation qui est responsable. Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et qui n’étaient pas impliqués. Ça n’existe pas. Ils auraient pu se soulever. Ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique qui a pris le contrôle de Gaza par un coup d’État. Mais nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre. Nous défendons nos foyers. Nous protégeons nos foyers. C’est la vérité. Et lorsqu’une nation protège son pays, elle se bat. Et nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale. »
Le 13 octobre 2023, M. Israël Katz, alors ministre israélien de l’énergie et des infrastructures, a déclaré sur X (anciennement Twitter) : « Nous combattrons l’organisation terroriste Hamas et nous la détruirons. L’ordre a été donné à toute la population civile de [G]aza de partir immédiatement. Nous gagnerons. Ils ne recevront pas la moindre goutte d’eau ni la moindre batterie tant qu’ils seront de ce monde. »Verdict de la CIJ
Les propos du président israélien et de deux ministres! Ces déclarations témoignent du sentiment d’impunité qui a longtemps été celui des responsables israéliens. Ce qu’indique la Cour, c’est que l’impunité c’est fini.