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Etats-Unis, Guerre de Gaza, Irak, présence illégale en Syrie, soutient à israel
2400 Américains sont là-bas ostensiblement pour combattre ISIS. Mais après les attaques de dimanche, ils pourraient devenir la raison pour laquelle nous combattons l’Iran.
Paul R. Pillar
L’attaque de drone qui a tué dimanche trois militaires américains dans un avant-poste en Jordanie, près de la frontière syrienne, risque davantage d’accroître que de réduire l’engagement militaire des États-Unis dans la région.
C’est regrettable, et ce d’autant plus que l’administration Biden semblait envisager un retrait des 900 soldats américains présents en Syrie et des 2 500 en Irak. La semaine dernière, le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a laissé entendre qu’un examen conjoint entre les États-Unis et l’Irak pourrait conduire à un retrait d’au moins une partie des troupes en Irak. D’autres rapports font état de discussions au sein de l’administration sur un éventuel retrait des troupes actuellement présentes en Syrie.
On ne sait pas exactement pourquoi l’administration a choisi ce moment pour envisager le retrait de ces troupes, qui aurait déjà dû avoir lieu depuis longtemps. La réponse tient probablement à la recrudescence de la violence régionale résultant de l’assaut dévastateur d’Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza et à la colère qui en découle à l’encontre des États-Unis pour leur soutien à Israël. Depuis le début de l’assaut israélien, les installations militaires américaines en Irak ont été attaquées plus de 60 fois et celles en Syrie plus de 90 fois.
Ces attaques soulignent à quel point ces déploiements résiduels des États-Unis ont entraîné des coûts et des risques disproportionnés par rapport aux avantages qu’ils peuvent apporter. Ils ont été des cibles faciles à atteindre pour les milices et d’autres éléments désireux de faire une déclaration violente contre les États-Unis. Même s’il n’y a pas eu de morts, les militaires américains ont payé le prix, notamment sous la forme de lésions cérébrales traumatiques provoquées par des attaques de missiles.
La séquence désormais familière du « tit-for-tat », dans laquelle les frappes aériennes américaines contre les milices en Irak ou en Syrie alternent avec d’autres attaques des milices contre les installations américaines, illustre une forme perverse de dérive de la mission. Quelle que soit la mission initiale de la présence des troupes américaines, elle est reléguée au second plan, la protection de la présence des troupes devenant la principale préoccupation. Les tiraillements comportent également le risque d’une escalade vers un conflit plus important.
L’attaque de ce week-end en Jordanie, de l’autre côté de la frontière, est susceptible de s’inscrire dans la même séquence de risques. Dans un communiqué, la Maison Blanche a promis de « demander des comptes à tous les responsables, au moment et de la manière que nous aurons choisis ».
Cela conduira l’administration à mettre de côté, pour l’instant, toute idée de rapatriement des troupes, de peur de faire preuve de faiblesse face aux critiques inévitables de ses adversaires politiques nationaux. Il serait préférable d’interpréter l’attaque comme une nouvelle démonstration du fait que la présence de troupes en Syrie et en Irak représente une vulnérabilité inutile à laquelle il convient de mettre un terme le plus tôt possible.
La raison officielle de la présence dans ces deux pays est d’empêcher la montée en puissance du groupe connu sous le nom d’État islamique ou ISIS. Mais les motivations ont toujours impliqué plus que cela. La présence en Irak est, à certains égards, un héritage de la guerre américaine commencée dans ce pays en 2003, qui a donné le sentiment de propriété qui suit souvent une intervention militaire à grande échelle. La fixation sur l’Iran et le désir d’égaler la présence et l’influence iraniennes dans ces pays ont constitué une autre motivation.
Quant à ISIS, bien qu’il ait fait preuve de résilience, il est loin d’être ce qu’il était en 2014, lorsqu’il régnait sur un mini-État de facto dans la majeure partie de l’ouest de l’Irak et du nord-est de la Syrie. Si le groupe devait recommencer à s’approcher de ce statut, il faudrait bien plus que les petits contingents américains en Syrie et en Irak pour le contrer. À ceux qui affirment que l’ISIS est déjà en pleine résurgence, on est en droit de demander quelle est l’utilité de la présence de ces contingents pour contenir l’ISIS.
En ce qui concerne tout groupe terroriste, la principale préoccupation des États-Unis ne devrait pas être le rôle joué par le groupe dans un conflit local, mais plutôt le risque qu’il frappe les intérêts américains, que ce soit sur le territoire national ou à l’étranger. À cet égard, le fait le plus pertinent, démontré à maintes reprises avec d’autres groupes terroristes dans d’autres lieux, est que la colère contre une présence militaire étrangère est l’une des principales motivations des attaques terroristes.
Dans la mesure où ISIS a été contenu, cela est dû en partie à l’opposition populaire en Irak et en Syrie aux méthodes brutales que le groupe a utilisées lorsqu’il avait son mini-État. Cela est dû en partie aux efforts des forces de sécurité dans ces deux pays. Et elle est en partie due aux efforts de l’État étranger le plus impliqué dans ces pays : l’Iran.
L’Iran est en grande partie l’ennemi d’ISIS. Il a été victime d’attaques très meurtrières d’ISIS en Iran, notamment des attentats à la bombe au cœur de Téhéran en 2017 et, au début de ce mois, une attaque contre une cérémonie commémorative dans la ville de Kerman qui a tué près de 100 Iraniens. L’Iran a joué un rôle majeur dans les efforts antérieurs visant à défaire le mini-État ISIS.
La lutte contre ISIS est un intérêt partagé par l’Iran et les États-Unis, comme l’illustre le fait que les États-Unis auraient partagé – à juste titre, conformément au devoir de mise en garde – des informations sur l’attaque prévue par ISIS à Kerman. Il serait dans l’intérêt des États-Unis que l’Iran continue à faire le gros du travail pour contenir ISIS – et que ce soit l’Iran, et non les États-Unis, qui risque les représailles terroristes qui en résulteraient.
Paul R. Pillar est chercheur principal non résident au Center for Security Studies de l’université de Georgetown et chercheur non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également membre associé du Geneva Center for Security Policy.