Étiquettes

, , , ,

Réduire le financement de l’UNRWA aujourd’hui, c’est poursuivre le génocide israélien à Gaza.

Moncef Khane, Ancien fonctionnaire des Nations unies

Des enfants palestiniens portent des casseroles alors qu’ils font la queue pour recevoir des repas préparés par une cuisine caritative, dans un contexte de pénurie alimentaire, à Rafah, dans la bande de Gaza, le 14 décembre 2023 [Saleh Salem/Reuters].

Le 26 janvier, le jour même où la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu une décision provisoire sur l’affaire de l’Afrique du Sud accusant Israël de génocide contre le peuple palestinien, le gouvernement israélien a largué une bombe. Il ne s’agissait pas de l’habituel bunker buster de 900 kg fabriqué aux États-Unis, mais d’une bombe bien plus meurtrière : elle accusait 12 employés de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) d’avoir des liens avec le Hamas ou d’être impliqués dans l’opération du 7 octobre. Plus d’une douzaine de pays ont immédiatement réduit leur soutien financier à l’agence et le chef de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a renvoyé neuf des accusés (sur les trois autres, un est mort et deux sont portés disparus).

Compte tenu de la maigre aide qui parvient à Gaza et de la famine qui menace sa population, en particulier dans le nord de la bande de Gaza, la suppression du financement de l’UNRWA est pire qu’une punition collective : elle pourrait constituer une condamnation à mort pour de nombreux Palestiniens démunis et affamés.

L’UNRWA a été créé par l’Assemblée générale des Nations unies en 1949 pour venir en aide à tous les réfugiés de Palestine, définis à l’origine comme « des personnes dont le lieu de résidence était la Palestine pendant la période allant du 1er juin 1946 au 15 mai 1948, et qui ont perdu leur foyer et leurs moyens de subsistance à la suite de la guerre de 1948 ». La définition a été élargie pour inclure les personnes déplacées par « les hostilités de 1967 et les hostilités ultérieures ».

Aujourd’hui, l’UNRWA emploie 30 000 personnes, principalement des médecins, des infirmières, des éducateurs, des travailleurs humanitaires, des chauffeurs, des ingénieurs, des logisticiens, etc. qui fournissent une aide humanitaire, des soins de santé, une éducation et d’autres formes d’assistance à des millions de réfugiés palestiniens dans l’ensemble du Moyen-Orient. À Gaza, les 13 000 employés de l’UNRWA ont soutenu presque tous les aspects de la vie palestinienne, en particulier après qu’Israël a imposé un blocus de la bande de Gaza en 2007 avec le soutien de l’Égypte.

Les critiques ont souligné que les Nations unies ont délégué à l’UNRWA d’importantes obligations juridiques internationales qui incomberaient autrement à Israël en tant que puissance occupante. En vertu des conventions de Genève, les services de base tels que le logement, les soins de santé et l’éducation dans les territoires occupés relèvent de la responsabilité de l’État occupant. Ainsi, dans les faits, les Nations unies ont subventionné, voire prolongé, l’occupation des Palestiniens par Israël.

Du point de vue d’Israël, l’UNRWA est un autre ennemi qui a prolongé la résistance palestinienne à son occupation. C’est un « obstacle » qui empêche de résoudre la question des réfugiés palestiniens en les réinstallant simplement dans d’autres pays, comme cela est désormais ouvertement préconisé. Pour tous les gouvernements israéliens, la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du droit international sur le « droit au retour » inaliénable des Palestiniens contraints par les milices sionistes, puis par l’armée israélienne, à quitter leurs maisons en 1948 est un anathème pour l’existence d’Israël.

Les accusations portées contre les 12 employés de l’UNRWA doivent être considérées dans ce contexte ; il est également important de se rappeler qui les porte. Israël est une puissance occupante confrontée à des allégations de génocide jugées plausibles par la CIJ. Les forces israéliennes ont attaqué à plusieurs reprises des installations protégées par les Nations unies, notamment des écoles et des hôpitaux, tuant des milliers de civils, principalement des enfants et des femmes qui cherchaient refuge dans les locaux de l’UNRWA, ainsi que 152 membres du personnel de l’UNRWA. Israël a également une longue histoire d’accusations non fondées contre les employés de l’UNRWA et, dans le contexte du conflit actuel, il a été surpris à plusieurs reprises en train de mentir sur des crimes présumés commis par des Palestiniens (par exemple, la décapitation de 40 bébés le 7 octobre).

Conforté par les décisions hâtives de l’ONU, prises sans qu’une enquête ait permis d’établir un commencement de preuve, Israël affirme aujourd’hui que 10 % du personnel basé à Gaza ont des liens avec des « groupes militants ».

En vertu des règles internes de l’ONU, une procédure régulière est obligatoire en cas d’allégation de mauvaise conduite. Lorsque des allégations graves, étayées par des preuves irréfutables, sont formulées à l’encontre du personnel des Nations unies, le secrétaire général de l’ONU a le pouvoir d’ordonner le licenciement sommaire du personnel incriminé. Ces cas extrêmes sont rares.

Dans tous les autres cas, une commission d’enquête est généralement mise en place pour enquêter sur les cas les plus graves, ou les accusations sont reprises par le service d’enquête interne de l’ONU, qui peut lancer une enquête formelle sur la base de preuves préliminaires. Dans l’intervalle, le membre du personnel faisant l’objet d’allégations de mauvaise conduite peut être suspendu.

Dans le cas des 12 employés de l’UNRWA accusés par Israël, le licenciement sommaire est une décision surprenante, d’autant plus que les circonstances de l’affaire – une guerre totale et peut-être un génocide – et la crédibilité de la partie accusatrice devraient obliger à une approche prudente.

Pourtant, les dirigeants de l’ONU n’ont pas tardé à renoncer à la présomption d’innocence de leur personnel. Le 28 janvier, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a publié une déclaration indiquant que sur les « 12 personnes impliquées, neuf ont été immédiatement identifiées et licenciées par le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini ; la mort d’une personne a été confirmée et l’identité des deux autres est en cours d’éclaircissement. Tout employé de l’ONU impliqué dans des actes de terreur devra rendre des comptes ». Dans sa déclaration, M. Guterres ajoute que « les actes odieux présumés de ces membres du personnel doivent avoir des conséquences ».

Le secrétaire général a déjà apparemment statué sur l’affaire et promis des « conséquences ». Il n’a pas manifesté la même indignation et n’a pas demandé de comptes pour le meurtre par l’armée israélienne de son propre personnel – comme si de tels crimes de guerre n’étaient pas des actes odieux qui appellent des conséquences.

Renvoyer du personnel à volonté en se basant uniquement, comme l’admet Guterres, sur des « allégations » est troublant et devrait préoccuper tous les membres du personnel et les syndicats du personnel des Nations Unies.

Mais la décision rapide des États-Unis, de l’Autriche, de l’Australie, du Canada, de la Finlande, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, des Pays-Bas, de l’Islande, de la Suède, de la Suisse, de la Roumanie et du Royaume-Uni de suspendre leur financement à l’UNRWA pendant une guerre totale contre les personnes qu’il a été créé pour protéger est plus alarmante et plus lourde de conséquences.

Pire encore, lorsqu’Israël se retrouve sur le banc des accusés de la CIJ face à des allégations plausibles de génocide, de telles décisions peuvent même être considérées comme une violation par ces États de leurs obligations au titre de la convention de 1948 sur le génocide. Mais cela ne devrait pas être une surprise puisque certains de ces mêmes gouvernements choisissent d’ignorer les nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par Israël et continuent de soutenir militairement son assaut sur Gaza, qui en est maintenant à son quatrième mois.

En fin de compte, même si les 12 membres du personnel accusés sont reconnus coupables de crimes graves, cela ne justifie pas que l’UNRWA soit privé de financement alors qu’il tente de sauver de la famine les Palestiniens de Gaza. Couper un olivier septuagénaire parce qu’il pourrait contenir 12 « mauvaises » olives n’est pas seulement une punition collective, c’est la poursuite d’un génocide.

Moncef Khane est un ancien fonctionnaire des Nations unies qui a été directeur politique du Bureau de l’envoyé spécial conjoint pour la Syrie (2012-2014), officier de liaison avec le Parti du Kampuchea démocratique (Khmer rouge) (1992-1993) et membre du Cabinet du Secrétaire général Kofi Annan.

Al Jazeera