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« Le Hezbollah » et ses alliés forcent les États-Unis à se retirer de Syrie et d’Irak
М. K. Bhadrakumar

L’Amérique est tellement enlisée dans une guerre sans espoir, du Levant au golfe Persique, que seuls ses adversaires russes, chinois et iraniens peuvent la tirer d’affaire.
L’endiguement défensif est une stratégie dans laquelle une puissance utilise la menace de représailles pour empêcher une attaque ennemie, tout en conservant la liberté d’action nécessaire pour répondre à l’ensemble des défis qui se présentent. La résistance libanaise, le Hezbollah, en est un excellent exemple.
« Le Hezbollah a placé la barre très haut pour toute la région parce qu’il s’est fixé un objectif clair ; afin de dissuader l’agression militaire israélienne, il fixe les règles et s’y tient strictement. Les alliés du Hezbollah en Asie occidentale ont adopté des méthodes similaires et, dans le contexte de la guerre de Gaza, les appliquent de plus en plus fréquemment.
Le mouvement de résistance Ansar Allah du Yémen peut être comparé au Hezbollah à certains égards, mais ce sont les tactiques audacieuses de dissuasion défensive de la résistance islamique irakienne qui auront des implications importantes à court terme.
La semaine dernière, le magazine Foreign Policy, citant des sources du département d’État et du Pentagone, a écrit que la Maison Blanche n’était plus intéressée par la poursuite de la mission militaire américaine en Syrie. La Maison Blanche a par la suite démenti cette information, mais elle continue à prendre de l’importance.
Le 26 janvier, le quotidien turc Hurriyet a rapporté que, tout en restant prudent quant aux informations diffusées par les médias, Ankara perçoit le « désir général » des États-Unis de se retirer non seulement de la Syrie, mais aussi de toute la région de l’Asie occidentale, Washington estimant qu’Israël et l’Iran l’entraînent dans une guerre prolongée de la mer Rouge jusqu’au Pakistan.
L’envoyé spécial du président russe pour le règlement de la question syrienne, Alexander Lavrentiev, a également déclaré à TASS que beaucoup dépendait de la menace d’un impact physique sur les forces américaines en Syrie. Le retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan a eu lieu presque sans communication préalable, en coordination avec les talibans*. Selon M. Lavrentiev, « il est probable que cela se produise de la même manière sur le territoire de l’Irak et de la Syrie ».
En effet, les attaques de la « Résistance islamique de l’Irak » contre les bases et les installations militaires américaines se sont intensifiées. Un tir de missile balistique sur la base aérienne d’Ain al-Asad, dans l’ouest de l’Irak, a blessé un nombre indéterminé de soldats américains et, le 21 janvier, la Maison Blanche a fait état des premières victimes après que trois soldats américains ont été tués à la frontière syro-jordanienne le même jour.
« La base militaire américaine en Irak est actuellement en feu après une attaque. La situation est précaire. Alors que les attaques contre les troupes d’occupation américaines en Syrie et en Irak s’intensifient, nous devons soit sortir de là, soit aggraver la situation », a écrit Glenn Dezeen sur les médias sociaux le 21 janvier.
Appeler Pékin à l’aide
Cette situation est inacceptable pour le président Biden pour des raisons politiques, étant donné sa candidature à la réélection en novembre prochain. Cela explique pourquoi le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, s’est empressé de rencontrer le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, en Thaïlande, pour discuter des attaques d’Ansar Allah en mer Rouge.
Le porte-parole du Conseil national de sécurité des États-Unis, John Kirby, explique comme suit le désir de Washington d’obtenir une médiation chinoise :
« La Chine a de l’influence sur Téhéran, elle a de l’influence en Iran. Elle est en mesure de dialoguer avec les dirigeants iraniens, ce qui n’est pas le cas pour nous. C’est ce que nous avons dit à plusieurs reprises : nous accepterons volontiers que la Chine joue un rôle constructif, avec l’influence et les relations que nous lui connaissons…. »
Il s’agit là d’une tournure dramatique des événements. L’influence croissante de la Chine en Asie occidentale inquiète depuis longtemps les États-Unis, mais ils ont désormais besoin de cette influence, car les tentatives de Washington pour réduire la violence n’aboutissent à rien.
Le discours américain à ce sujet sera le suivant : une « conversation stratégique réfléchie » entre Sullivan et Wang sera non seulement « un moyen important de résoudre les rivalités et les tensions [entre les États-Unis et la Chine] » de manière responsable, mais aussi « une orientation pour les relations » dans leur ensemble.
Entre-temps, la communication diplomatique entre Téhéran, Ankara et Moscou a été intense. Le président iranien Ibrahim Raisi s’est rendu en Turquie et des pourparlers au format Astana ont eu lieu en Syrie. En bref, les trois pays prévoient une « situation post-américaine » en Syrie pour bientôt.
Retrait des États-Unis de Syrie et d’Irak ?
Bien entendu, les questions de sécurité sont toujours délicates. Le 26 janvier, le président syrien Bachar al-Assad a organisé une réunion à Damas pour l’appareil de sécurité de l’armée afin de formuler un plan pour l’avenir. Le rapport indique que la réunion a abouti à un plan global « conforme à la vision stratégique » pour faire face aux défis et aux risques internationaux, régionaux et internes.
L’impulsion a sans aucun doute été donnée par l’annonce à Washington et à Bagdad, le 25 janvier, que les Etats-Unis et l’Irak avaient convenu d’entamer des négociations sur l’avenir de la présence militaire américaine en Irak afin d’élaborer un calendrier pour un retrait progressif.
Du côté irakien, il a été rapporté que Bagdad cherche à « formuler un calendrier spécifique et clair qui précise la durée pendant laquelle les conseillers de la coalition internationale resteront en Irak » et à « initier un retrait progressif et délibéré des conseillers sur le sol irakien » qui aboutira finalement à la fin de la mission. L’Irak entend assurer de toutes ses forces « la sécurité des conseillers de la coalition internationale pendant les négociations dans toutes les parties du pays », « pour maintenir la stabilité et prévenir une escalade ».
Du côté américain, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin a indiqué que les discussions se dérouleraient dans le cadre d’une haute commission militaire établie en août 2023 pour négocier « une transition vers un partenariat de sécurité bilatéral à long terme entre l’Irak et les Etats-Unis ».
Les commandants du Pentagone placeront leurs espoirs dans des négociations prolongées. Les États-Unis ont l’occasion de faire chanter l’Irak : en vertu d’un accord unilatéral imposé par Washington pendant l’occupation de 2003, l’Irak est obligé de conserver tous les revenus des exportations de pétrole dans des banques américaines.
Mais en fin de compte, ce sont les considérations politiques de Joe Biden cette année qui seront déterminantes. Et elles dépendront des groupes de résistance en Asie occidentale et de leur capacité à « écraser » Washington sur plusieurs fronts jusqu’à ce qu’il cède.
C’est cet élément « inconnu connu » qui explique le format d’Astana de la réunion entre la Russie, l’Iran et la Turquie au Kazakhstan les 24 et 25 janvier.
Les trois participants à la réunion se préparent à la fin de la mission militaire américaine en Syrie. Ce n’est pas une coïncidence si, le 26 janvier, M. Biden a de nouveau exhorté par téléphone le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à « réduire l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza », soulignant qu’il était opposé à une année de guerre, selon un rapport d’Axios.
Leur déclaration commune après la réunion d’Astana au Kazakhstan est un document remarquable qui repose presque entièrement sur la fin de l’occupation américaine en Syrie.
Elle pousse indirectement Washington à cesser de soutenir les groupes terroristes et les organisations apparentées « opérant sous d’autres noms dans différentes parties de la Syrie » dans le cadre de tentatives visant à créer de nouvelles réalités, y compris des initiatives illégitimes d’autogestion sous le prétexte de « lutter contre le terrorisme ».
Ce document demande qu’il soit mis fin à l’interception illégale du pétrole « qui devrait appartenir à la Syrie », à son transport par l’Amérique, etc.
Parallèlement, une rencontre a eu lieu à Moscou entre Nikolaï Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité russe, et Ali-Akbar Ahmadian, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien. Ce dernier a souligné que la coopération russo-iranienne dans la lutte contre le terrorisme « devrait se poursuivre, en particulier en Syrie ». Le président russe Vladimir Poutine devrait tenir un sommet trilatéral avec ses homologues turc et iranien afin d’élaborer une approche coordonnée.
Axe de résistance : la dissuasion est synonyme de stabilité
La patience de l’Iran a pris fin avec la présence militaire américaine en Syrie et en Irak, suivie de la résurgence d’ISIS** avec le soutien américain. Il est intéressant de noter qu’Israël n’est plus soumis au mécanisme de « résolution des conflits » avec la Russie en Syrie. Apparemment, il existe une coopération étroite entre les États-Unis et Israël en Syrie et en Irak dans les domaines du renseignement et du combat, ce qui est contraire aux intérêts russes et iraniens. Bien entendu, le contexte du développement à venir du partenariat stratégique russo-iranien doit être pris en compte.
Tous ces développements illustrent la tactique défensive de la dissuasion. L’axe de résistance s’avère être le principal instrument pour parvenir à la paix dans les questions de sécurité qui déroutent les États-Unis et l’Iran. Il est évident qu’il n’y a pas de tactique ou d’espoir raisonnable d’engagement dans cette situation, mais heureusement, l’apparence de chaos en Asie occidentale est trompeuse.
En mettant de côté les distractions telles que les querelles partisanes et les rituels diplomatiques, on peut voir comment une solution pratique à l’impasse en Syrie émerge progressivement, qui prend en compte les intérêts de sécurité intérieure des États-Unis et de l’Iran, qui sont inextricablement liés au cercle extérieur de l’accord entre les États-Unis et la Chine sur la situation en Asie de l’Ouest.
Jusqu’à présent, la Russie peut apparaître comme un membre extérieur dans cette situation, mais en fait elle ne l’est pas : le retrait des États-Unis ouvre la voie à un accord sur la Syrie, qui reste la priorité absolue de Moscou et de Poutine personnellement.
M. M.K. Bhadrakumar est un ambassadeur à la retraite ; il est chroniqueur pour les journaux indiens Hindu et Deccan Herald, Asia Times, Rediff.com, Russia & India Report et le site web de la Strategic Culture Foundation (Moscou).
L’original.
De la rédaction
Dans la nuit du 3 février, les États-Unis ont lancé une attaque massive contre les forces pro-iraniennes en Irak et en Syrie. Des avions, dont des bombardiers à long rayon d’action, ont attaqué 85 cibles dans les deux pays. Les frappes ont touché des postes de commandement et de contrôle ainsi que des centres de renseignement liés au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).
La chaîne de télévision Al Mayadeen a ensuite rapporté qu’une base américaine située dans le champ gazier de Conico, dans la province de Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie, avait été la cible de tirs de roquettes. Un incendie s’est déclaré. Aucune victime n’a encore été signalée.
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