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Les invectives volent bas, loin du ton policé et exemplarité.

Laure de Charette

President of French far-right Rassemblement National (RN) group at the National Assembly Marine Le Pen, arrives to attend a ceremony to pay tribute to the 42 French citizens killed and to all the victims of the Hamas assault on Israel last October 7, four months after the attacks, as the conflict between Israel and Palestinian Islamist group Hamas continues in the Gaza enclave, in the courtyard of the Hotel des Invalides in Paris on February 7, 2024. The ceremony pays tribute to the French and French-Israeli citizens killed in the attack on Israel by Hamas and the three others still missing, believed to be held hostage. (Photo by GONZALO FUENTES / POOL / AFP)
Marine Le Pen s’est récemment illustrée pour ses propos peu amènes à l’intention de l’ancienne ministre, Nadia Hai, au sein même de l’Assemblée nationale.

Le 5 février, Marine Le Pen lançait un tonitruant “Ferme-la, toi, ferme-la ! ” à une ancienne ministre, Nadia Hai, au sein même de l’Assemblée nationale. Dernier avatar d’une dérive observée ces derniers mois, qui ont vu les propos outranciers, les insultes et les invectives se multiplier dans les travées de l’hémicycle. “Assassin”, a ainsi lancé le député Insoumis Antoine Saintoul à l’encontre d’Olivier Dussopt. “Raciste”, a tonné son collègue Sébastien Delogu en visant la députée Michèle Tabarot. “Qu’il retourne en Afrique ! ”, a pour sa part persiflé l’élu RN Grégoire de Fournas en direction du député Carlos Martens Bilongo.

Bien sûr, les noms d’oiseaux fusent depuis toujours au Palais Bourbon – on se souvient, en 1998, du fameux “caca Boutin” adressé à Christine Boutin pendant le débat sur le PACS. Mais leur accumulation récente interroge : s’insulter entre élus de la République serait-il désormais anodin ? “Ce n’était pas banal du tout mais ça l’est beaucoup plus depuis 2017, et en particulier depuis juin 2022, assure David Bellamy, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Amiens et co-auteur de L’Hôtel de Matignon (La Documentation française, 2018). L’insulte politique en milieu parlementaire est aussi vieille que l’histoire du Parlement et remonte donc à la Révolution française. C’est une modalité classique du combat politique mais qui reste d’ordinaire minoritaire dans les échanges entre députés et tout à fait temporaire, liée à des temps forts de l’histoire comme la mort de Louis XVI, l’Affaire Dreyfus ou la Guerre froide. Or là, on assiste à un tournant inédit depuis 2017, avec un niveau de violences verbales véritablement franchi”.

Une pluie de sanctions

Il suffit selon cet observateur avisé de regarder le nombre de punitions infligées à des députés pour s’en convaincre : alors qu’entre 1958 et 2017, seules 23 sanctions parlementaires ont été prononcées, on en dénombre 25 depuis 2017. Dans toute l’histoire de la Ve République, seuls trois députés se sont vus infliger une censure avec exclusion temporaire pour leurs propos ou leur comportement, dont deux ces quinze derniers mois (le RN Grégoire de Fournas et l’Insoumis Thomas Portes, pour avoir écrasé du pied un ballon à l’effigie d’Olivier Dussopt).

Cette sanction, proposée par le bureau de l’Assemblée, est prononcée par les députés, lors d’un vote par “assis debout”. Elle entraîne la privation pendant deux mois de la moitié de l’indemnité parlementaire et un bannissement de quinze jours de l’hémicycle (avant eux, seul le communiste Maxime Gremetz avait reçu un tel blâme, après avoir provoqué en 2011 une altercation en raison de voitures ministérielles mal garées selon lui).,

En avril 2023, la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet s’est même fendue d’une lettre aux députés pour dénoncer les “comportements inacceptables” de certains d’entre eux, “l’inquiétante dégradation” des débats, les “invectives” et les “séances chahutées” (en plein examen du projet de loi sur les retraites).

La vulgarité remplace le bon mot

Pourquoi les députés s’invectivent-ils de plus en plus sur les bancs du Palais Bourbon (alors même que les sénateurs conservent leur courtoisie habituelle malgré des désaccords parfois profonds) ? “J’y vois plusieurs raisons, explique David Bellamy. D’abord, la plupart des nouveaux élus ne sont pas des professionnels de la politique et maîtrisent donc moins les codes de la vie parlementaire. La ‘twitterisation’ de la vie politique les pousse ensuite à chercher de la visibilité par le clash. Ceux issus des partis populistes cherchent en outre délibérément à remettre en cause l’ordre établi et à faire croître la violence dans l’enceinte de l’Assemblée. Enfin, ces insultes s’inscrivent en écho à la recrudescence des incivilités dans la société française. ”

Signe d’un affaiblissement du débat démocratique

Reste qu’on est loin des joutes verbales de haut vol, quand les mots servaient d’armes pour défendre des positions idéologiques et quand les piques, vacheries et autres calembours proférés mêlaient érudition et humour (Charles Maurras traita en 1935 Léon Blum d’“ hircocerf de la dialectique heimatlos”). Le Petit dictionnaire des injures politiques (Rocher, 2022) souligne même que “sous la IIIe République apparaissent de véritables dandies de l’injure, qui, jusqu’à l’hémicycle du Palais-Bourbon portent l’invective au rang d’un art : certains députés adoptent alors une absolue liberté de ton, qui est complètement sortie de nos mœurs”.

“Aujourd’hui, les insultes sont nettement moins drôles, estime l’historien. Elles érigent des murs et traduisent un affaiblissement inquiétant de la culture de l’argumentation qui est pourtant le propre de la vie parlementaire et de notre démocratie. ”

La Libre