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David Petraeus a récemment déclaré que l’influence des États-Unis sur Israël pour qu’il fasse ce qu’il faut à Gaza était « surestimée » – ce n’est tout simplement pas vrai.

    Paul R. Pillar

    Les faveurs qu’un pays accorde à un autre impliquent un effet de levier que le premier peut exercer sur le second. Refuser, ou même menacer de refuser, de telles largesses focalise les esprits au sein du gouvernement du pays bénéficiaire et peut influencer ses politiques.

    Les faveurs accordées par les États-Unis à Israël ont été énormes, comme en témoignent les 318 milliards de dollars, corrigés de l’inflation, d’aide étrangère jusqu’en 2022, soit bien plus que ce que les États-Unis ont accordé à n’importe quel autre pays depuis la Seconde Guerre mondiale. L’effet de levier dont disposent les États-Unis pour agir sur Israël est donc considérable. Mais ils n’en ont pratiquement pas fait usage.

    Même lorsque les politiques israéliennes vont à l’encontre des préférences américaines, le résultat n’est rien de plus qu’une tape verbale sur les doigts. On peut citer comme exemple les innombrables fois où la construction de nouvelles colonies israéliennes dans les territoires occupés est suivie de déclarations officielles timides des États-Unis, mais sans action – comme le secrétaire d’État Antony Blinken déclarant le mois dernier qu’il était « déçu » par la dernière annonce d’Israël concernant la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie.

    Lorsque la question de l’utilisation de l’effet de levier est soulevée, les voix qui s’élèvent en réponse disent généralement quelque chose de similaire à ce que le général à la retraite David Petraeus a déclaré récemment, à savoir que les États-Unis sont « engagés » dans la sécurité d’Israël, que nous avons tendance à « surestimer l’effet de levier » et qu’Israël se trouve actuellement dans une « situation de vie ou de mort ».

    En fait, l’époque où Israël était un État vulnérable et assiégé, entouré de voisins puissants et hostiles, est révolue depuis longtemps. Israël dispose de l’armée la plus puissante du Moyen-Orient, ne serait-ce qu’au niveau conventionnel, sans parler des armes nucléaires. L’armée israélienne compense toute infériorité numérique en termes d’effectifs bruts par une technologie de pointe qui surpasse de loin celle de tout autre État de la région. Malgré la rhétorique souvent entendue qui attribue à un régime ou à un groupe une prétendue volonté de « détruire » Israël, aucun ennemi d’Israël n’a la capacité de le faire.

    On pourrait dire que cette position sûre d’Israël est due en partie à toute l’aide américaine, et qu’il s’agit donc d’une raison de poursuivre l’aide. Mais Israël est un pays riche. Il fait partie des 20 %, voire des 10 % de nations les plus riches du monde, selon la manière dont on mesure le PIB par habitant. Israël peut payer lui-même sa puissante armée. La volumineuse aide américaine est une subvention accordée par les contribuables américains aux contribuables israéliens.

    Par conséquent, la réduction ou la suppression de l’aide ne mettrait pas en péril la sécurité d’Israël, quel que soit le degré d’engagement des États-Unis à l’égard de cette sécurité. Israël dépenserait ce qu’il faut pour répondre à sa propre conception de la sécurité. Mais l’interruption de la volumineuse subvention américaine sans contrepartie attirerait certainement l’attention des hommes politiques israéliens et pourrait donc avoir une influence considérable sur la politique israélienne.

    À bien des égards, les dépenses et l’utilisation des forces de défense israéliennes ne renforcent pas la sécurité d’Israël et peuvent même y nuire. Ces dernières années, les FDI ont été largement occupées à contenir une population palestinienne soumise et donc mécontente dans les territoires occupés et à protéger les colonies israéliennes qui s’y trouvent. Il ne s’agit pas d’assurer la sécurité d’Israël, mais plutôt de supporter les coûts liés au choix de s’accrocher à un territoire conquis et de maintenir une occupation illégale.

    L’éventail complet des coûts de cette utilisation des FDI a été mis en évidence par l’attaque meurtrière du Hamas contre le sud d’Israël en octobre dernier. L’une des raisons pour lesquelles le Hamas a pu perpétrer son atrocité si facilement est qu’Israël avait déplacé ses forces de la zone en question vers la Cisjordanie.

    Aujourd’hui, toutes les munitions que les États-Unis fournissent à Israël ou financent sont très probablement utilisées pour poursuivre la dévastation de la bande de Gaza. Outre les questions de levier et d’influence, cela soulève d’importantes questions quant à une éventuelle complicité des États-Unis dans des crimes de guerre. Mais pour l’heure, il convient de noter qu’étant donné que l’assaut israélien est allé bien au-delà de ce qui peut être considéré comme de la défense, toute réduction par les États-Unis des moyens permettant de poursuivre l’assaut aurait pour effet de réduire la dévastation de Gaza, et non la sécurité d’Israël.

    En fait, la poursuite de l’assaut, et toute facilitation logistique ou financière de l’assaut, est susceptible de diminuer plutôt que d’augmenter la sécurité future des Israéliens. Les souffrances des Palestiniens de Gaza engendrent toute une génération en colère qui sera déterminée à riposter contre Israël, y compris par la violence terroriste. Comme le fait remarquer le journaliste Peter Beinart, même si Israël parvenait à atteindre l’objectif probablement irréalisable de « détruire le Hamas », nous devrions nous attendre à ce que « les Palestiniens créent une autre organisation basée sur la tentative de riposte, voire le recours à la violence, compte tenu de la violence extrême et inimaginable que les Palestiniens ont subie jusqu’à présent ».

    Un autre point important concernant le carnage actuel à Gaza est que les États-Unis disposent d’un levier qui peut freiner les pires aspects des politiques israéliennes non seulement en influençant les décideurs israéliens, mais aussi en inhibant directement l’exécution de ces politiques. Même si Israël finira par fabriquer ou obtenir ailleurs les munitions qu’il souhaite utiliser, au moins à court terme, moins les États-Unis fourniront de bombes capables de détruire des quartiers civils, moins il y aura de quartiers détruits.

    Les largesses des États-Unis à l’égard d’Israël et l’effet de levier qui en découle vont bien au-delà de l’aide militaire. La couverture diplomatique que les États-Unis ont régulièrement fournie à Israël, en le protégeant des conséquences de ses propres actions, est incontestablement d’une grande importance pour les décideurs politiques israéliens. Sur les 89 vetos opposés par les États-Unis dans l’histoire du Conseil de sécurité des Nations unies, plus de la moitié concernaient des résolutions critiquant Israël, principalement pour son occupation du territoire palestinien et le traitement réservé aux Palestiniens. L’administration Biden a poursuivi dans cette voie en opposant son veto à de multiples résolutions appelant à un cessez-le-feu à Gaza.

    Ne serait-ce que l’abstention sur de telles résolutions inciterait les décideurs israéliens à réfléchir plus sérieusement à la possibilité de modifier leurs politiques les plus préjudiciables. Les votes favorables auraient un effet encore plus important, en soulignant qu’Israël ne peut plus compter sur sa superpuissance protectrice pour contrer l’indignation mondiale face aux actions israéliennes.

    L’administration Biden pourrait prendre d’autres mesures non militaires pour exercer son influence politique et diplomatique considérable sur Israël. Elle pourrait inverser certaines des actions de l’administration Trump en faveur d’Israël, par exemple en rétablissant le consulat à Jérusalem-Est qui avait servi de principal canal de communication avec les Palestiniens. Elle pourrait même rejoindre les 139 nations qui ont officiellement reconnu l’ État de Palestine.

    Aucune de ces mesures diplomatiques ne compromettrait le moins du monde la sécurité d’Israël ou l’engagement des États-Unis en faveur de cette sécurité. Elles n’entraîneraient pas non plus de coûts politiques ou diplomatiques internationaux pour les États-Unis. Au contraire, elles amélioreraient la position des États-Unis dans le monde en faisant d’eux un pays moins en marge du consensus international.

    Le Premier ministre Benjamin Netanyahu projette, au moins autant que les autres dirigeants israéliens, l’image d’une personne déterminée à suivre sa propre voie, indépendamment de ce que veulent ou disent les États-Unis. Mais cette assurance repose sur le fait que, depuis des décennies, les États-Unis n’utilisent pas leur influence sur Israël. « Je sais ce qu’est l’Amérique », a déclaré un jour M. Netanyahu. « L’Amérique est une chose que l’on peut déplacer très facilement, dans la bonne direction. Ils ne se mettront pas en travers ».

    Si l’Amérique cessait de se déplacer aussi facilement et commençait à se mettre en travers de la route d’Israël, Netanyahou et d’autres dirigeants israéliens changeraient leur fusil d’épaule.

    La politique américaine par défaut à l’égard d’Israël a consisté, au fil des administrations, à apporter un soutien inconditionnel et à espérer que les États-Unis puissent acquérir une certaine influence grâce à l’étroitesse de leurs relations. L’administration Biden a poursuivi cette approche avec sa notion d’influence par l’étreinte. Il est clair que cette approche n’a pas fonctionné. Il est grand temps d’exercer l’influence que les États-Unis ont toujours eue.

    Paul R. Pillar est chercheur principal non résident au Center for Security Studies de l’université de Georgetown et chercheur non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également membre associé du Geneva Center for Security Policy.

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