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Le CfMM a publié un nouveau rapport détaillant les lacunes de la production des médias britanniques sur la guerre d’Israël contre Gaza. Les journalistes devraient en prendre note.

Zahera Harb, Auteur, chercheur et ancien journaliste

Au cours des cinq derniers mois, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur la couverture par les médias britanniques de la guerre d’Israël contre Gaza. Des experts, des journalistes et des militants, dont je fais partie, ont affirmé dans de nombreux articles et interviews que les médias britanniques font preuve de partialité dans leur couverture de cette guerre et de la question plus large d’Israël et de la Palestine.

Dans un nouveau rapport, basé sur la plus grande analyse statistique de la couverture médiatique des atrocités commises en Israël le 7 octobre et de la campagne génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien au cours du premier mois de la guerre, le Centre de surveillance des médias (CfMM) du Conseil musulman de Grande-Bretagne a présenté les preuves empiriques de ces observations et préoccupations.

En examinant quelque 180 000 clips vidéo provenant de sept diffuseurs britanniques et de trois diffuseurs internationaux, ainsi qu’environ 26 000 articles d’actualité provenant de 28 sites web de médias britanniques, le CfMM a évalué si les médias britanniques ont informé le public de manière fiable sur le conflit et partagé les positions de toutes les parties concernées de manière responsable.

Conformément aux conclusions d’études à plus petite échelle menées jusqu’à présent, il a constaté que les récits, les voix et les griefs israéliens étaient privilégiés par rapport aux voix, aux récits et aux griefs palestiniens dans la couverture médiatique. Les « droits d’Israël » ont été soulignés avec insistance, ce qui a souvent eu pour effet d’exclure et d’effacer les droits des Palestiniens. Un langage émotif a été systématiquement utilisé pour les victimes israéliennes de la violence, mais pas autant pour les Palestiniens. Les représentants et les partisans d’Israël ont été autorisés à déshumaniser les Palestiniens à l’antenne, sans que les présentateurs de journaux télévisés et les animateurs de talk-shows ne réagissent de manière significative.

L’analyse de la couverture sous six thèmes – contextualisation, langage, cadrage, affirmations, affaiblissement des sources palestiniennes et représentation erronée des manifestants pro-palestiniens – a révélé que de nombreux organes d’information ont choisi de présenter les nouvelles d’un point de vue israélien, souvent avec des lacunes importantes en matière de vérification des faits et de contrôle.

Fait remarquable, l’analyse a révélé que les symboles palestiniens, tels que le drapeau palestinien, étaient massivement « utilisés pour illustrer les articles sur l’antisémitisme ». Elle a également mis en évidence les nombreux aspects islamophobes de la couverture, tels que le fait de considérer les manifestations et le soutien en faveur de la Palestine comme intrinsèquement dangereux et assimilables à une « menace terroriste », souvent en raison de la présence de musulmans parmi les manifestants.

Le rapport a révélé que le trope islamophobe selon lequel « l’islam est une religion antisémite » a été présenté à maintes reprises – par les rédacteurs en chef, les analystes et les chroniqueurs – comme la force motrice de l’opposition croissante à Israël et au traitement qu’il réserve aux Palestiniens. Cela a conduit à une présentation erronée du conflit israélo-palestinien, qui dure depuis 75 ans, comme une « guerre de religion » entre les musulmans et les juifs, plutôt que comme une question d’oppression et d’occupation.

Le rapport a établi que les voix pro-palestiniennes et les militants palestiniens ont été déformés à plusieurs reprises par de nombreux médias britanniques depuis le début du conflit. Il a constaté que les médias de droite ont été particulièrement hostiles aux voix pro-palestiniennes, « les présentant comme des partisans du terrorisme et des antisémites, ainsi que comme des personnes hostiles aux valeurs britanniques ».

L’analyse a également mis au jour de nombreux cas de désinformation par omission délibérée. Le contexte de l’oppression israélienne du peuple palestinien et de l’occupation du territoire palestinien, qui durent depuis des décennies, était absent de la plupart des reportages. La couverture était formulée de manière à laisser entendre que le conflit avait débuté le 7 octobre. Le rapport montre que certains reportages sur la guerre en cours ne mentionnent même pas que la Cisjordanie est un territoire palestinien occupé par Israël et que, selon le droit international, Gaza était également sous occupation israélienne avant le 7 octobre, malgré l’absence de présence militaire sur le terrain depuis 2005.

Il y a également eu de nombreux cas où des « erreurs » apparentes et des informations erronées ont été tolérées sur les écrans de télévision britanniques, pour autant qu’elles réaffirment les récits israéliens. Dans un cas, un analyste de la défense a affirmé à la télévision que « la Cisjordanie est occupée par des Palestiniens ». Bien que cette affirmation n’ait aucun fondement dans le droit international, ni aucune réalité actuelle ou historique sur le terrain, le présentateur ne l’a pas corrigé et n’a pas demandé d’éclaircissements.

L’utilisation trompeuse d’images dans certains journaux est une autre défaillance identifiée dans l’analyse.

Par exemple, des images bouleversantes montrant les flammes et les destructions considérables causées par les frappes aériennes israéliennes sur Gaza ont été associées à des titres faisant référence aux atrocités commises par le Hamas en Israël le 7 octobre. Dans un cas, une image terrifiante d’enfants palestiniens effrayés et blessés à Gaza a été juxtaposée à un titre sur des « bébés mutilés en Israël ».

Utiliser des images trompeuses, omettre des faits, permettre à des invités de diffuser des informations erronées sans être contestés et partager des informations non vérifiées comme étant des faits sont des exemples de journalisme irresponsable et contraire à l’éthique. De tels actes peuvent avoir de graves conséquences.

La désinformation et la mésinformation alimentent les discours de haine, qui peuvent nuire à des personnes innocentes. La présentation erronée du conflit actuel comme une « guerre de religion » entre juifs et musulmans, associée à la déshumanisation des Palestiniens et à la diffamation de leurs partisans dans le monde entier comme terroristes ou « proches des terroristes », a exacerbé les sentiments anti-musulmans, anti-arabes et anti-palestiniens.

En conséquence, la haine à l’égard des musulmans britanniques s’est manifestée dans les rues et sur les écrans du Royaume-Uni. Selon Tell Mama, la principale agence de surveillance des crimes de haine qui mesure la haine anti-musulmane au Royaume-Uni, entre octobre 2023 et février 2024, plus de 2 000 cas de haine anti-musulmane ont été recensés au Royaume-Uni, soit une augmentation choquante de 335 % par rapport à la même période de l’année précédente.

Les recherches menées par les ONG britanniques More in Common et Together Coalition depuis le début de la guerre à Gaza, publiées le 3 mars, ont mis en évidence la prévalence du sentiment antimusulman dans le pays. Parmi les personnes ayant répondu à l’enquête, 21 % – soit une sur cinq – ont déclaré avoir une opinion « très négative » ou « plutôt négative » des musulmans.

Le fait que les médias qualifient à tort les manifestants pro-palestiniens de « menaces terroristes », de « pro-Hamas », d' »extrémistes » et d' »opposants aux valeurs britanniques » a sans aucun doute contribué à cette montée sans précédent de la haine et des préjugés anti-musulmans dans le pays.

En effet, les sentiments anti-palestiniens, anti-arabes et anti-musulmans auxquels de nombreux Palestiniens, Arabes et Musulmans britanniques sont actuellement confrontés dans leurs écoles, universités et lieux de travail pourraient – au moins en partie – être liés à la couverture essentiellement unilatérale de la guerre contre Gaza décrite dans le rapport du CfMM.

L’étiquetage négatif des manifestants pro-palestiniens comme étant « anti-britanniques » et « anti-occidentaux » simplement parce qu’ils soutiennent les droits et l’autodétermination des Palestiniens conduit à ternir injustement des communautés entières. Cela alimente les préjugés existants et risque d’attiser les tensions interreligieuses et intercommunautaires, voire la violence.

Outre le préjudice causé aux Britanniques musulmans, arabes et palestiniens, la partialité exprimée par les médias dans la couverture de ce conflit nuit également aux Palestiniens de Palestine et au bien-être de l’ensemble de la région.

Les conclusions du rapport impliquent que de nombreux journalistes et commentateurs britanniques ont, sciemment ou non, contribué à une campagne de propagande visant à donner une fausse légitimité à l’assaut incessant d’Israël sur Gaza – un assaut qui, selon la Cour internationale de justice, pourrait vraisemblablement s’apparenter à un génocide.

Le but du rapport du CfMM et de cet article, bien sûr, n’est pas de faire des généralisations injustes sur un paysage médiatique riche et diversifié et de mettre tous les journalistes britanniques dans le même sac. De nombreux journalistes en Grande-Bretagne et sur le terrain en Israël-Palestine ont produit un journalisme équilibré et informatif sur la guerre de Gaza pour les médias britanniques et des exemples de ce type sont également inclus dans le rapport du CfMM.

Mais le rapport, et les nombreux problèmes et lacunes qu’il met en évidence, devrait être considéré par ceux qui travaillent dans les médias britanniques et qui couvrent cette guerre comme une sonnette d’alarme. Ils devraient considérer ce rapport détaillé et ses conclusions comme un outil d’apprentissage précieux et réévaluer leur production sur Israël-Palestine en fonction des critiques justes et significatives qui y sont formulées.

L’ampleur de la tragédie qui se déroule encore aujourd’hui en Palestine et l’impact manifeste qu’elle a eu sur les relations intercommunautaires ici en Grande-Bretagne obligent tous les journalistes qui contribuent à la couverture de cette guerre à réfléchir attentivement à ce qu’ils communiquent au public et à prendre des mesures supplémentaires pour défendre les valeurs et les principes qui définissent la profession.

Zahera Harb , Auteur, chercheur et ancien journaliste, corédactrice du Middle East Journal of Culture and Communication et corédactrice de la série d’ouvrages de l’IB Tauris intitulée Political Communication & Media Practices in the Middle East and North Africa (Communication politique et pratiques médiatiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord). Elle a notamment publié un ouvrage intitulé Reporting the Middle East, The Practice of News in the 21st Century.

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