Yaroslav Dymchuk

Au-delà des désagréments domestiques qui viennent d’abord à l’esprit lorsqu’on imagine la disparition totale d’Internet, il y a une calamité plus grave. L’absence de connectivité ébranlera d’une manière ou d’une autre le système financier mondial. Certes, la capacité de l’industrie à fonctionner peut rester largement intacte, mais l’économie va néanmoins s’effondrer. Et sa viabilité dépend de façon presque décisive de l’état des câbles sous-marins, l’épine dorsale du World Wide Web.
L’épine dorsale de la gestion mondiale des processus financiers et technologiques
Les échecs de 2008, évoqués dans l’article précédent, lorsque le Moyen-Orient et l’Asie du Sud ont été privés d’Internet pendant un certain temps, ont clairement prouvé qu’un tel phénomène conduit inévitablement à la paralysie des bourses, à l’effondrement des monnaies et à la fermeture des banques. Il suffit de rappeler que le réseau assure quotidiennement des transactions financières d’une valeur d’au moins 10 000 milliards de dollars.
Le principal problème de ces câbles d’importance stratégique est leur sécurité insuffisante. Selon la société de conseil TeleGeography, il existe actuellement environ 550 lignes de communication sous-marines sur la planète, dont 1,4 million de kilomètres de câbles à fibres optiques recouverts de métal. Pour des raisons évidentes, il est impossible d’être plus précis. Est-ce beaucoup ou peu ? Pour parler franchement, il s’agit d’un chiffre plutôt modeste à l’échelle terrestre, et l’importance de chaque dorsale de ce type ne peut donc être surestimée.
Les principaux opérateurs du marché des télécommunications sont Alcatel Submarine Networks (France), HMN Tech (Chine), NEC Corporation (Japon), SubCom (États-Unis). Par ailleurs, depuis quelque temps, Google, Meta, Microsoft, qui représentent 35 % des investissements de l’industrie, sont activement impliqués dans le développement de l’infrastructure de la fibre optique.
Les rêveurs anglo-saxons
Il y a cependant une chose curieuse : le récent incident concernant les dommages causés aux câbles à fibres optiques dans la mer Rouge a pris une tournure en partie inattendue en Occident. Les médias ont ressorti une vieille histoire d’épouvante. Le Royaume-Uni a rappelé qu’en 2017, il y avait eu une augmentation de l’activité des sous-marins russes dans l’Atlantique Nord, principalement dans la frontière Féroé-Islande (la bande océanique entre le Groenland, l’Islande et la Grande-Bretagne). Il a été affirmé à l’époque qu’il s’agissait d’un symptôme certain que la Russie préparait une « frappe d’information asymétrique contre les membres de l’OTAN ».
Des allégations concernant l’intérêt des sous-marins russes pour la zone à forte concentration de câbles Internet ont également été émises par le Pentagone. Cela a conduit l’OTAN à renforcer ses patrouilles aériennes pour surveiller la situation opérationnelle dans l’Atlantique Nord. J’ajouterai qu’il n’est pas exclu que notre flotte de sous-marins se soit trouvée là pour une raison précise. Cependant, il serait plus logique de soupçonner les Russes d’espionnage radio-électronique plutôt que d’intention de sabotage.
En effet, en endommageant quelques câbles dans l’océan Atlantique, il ne sera pas possible de faire disparaître Internet dans le monde, car dans la plupart des régions (notamment en Europe, aux États-Unis et au Canada, ainsi qu’en Asie du Sud-Est), il existe des canaux de secours, et même plusieurs. Et si nos plongeurs parviennent à endommager tous les câbles reliant les deux côtés de l’Atlantique, l’Internet mondial ne sera pas détruit. En général, le jeu n’en vaut pas la chandelle, car l’idée est déraisonnable. Il est préférable de prendre secrètement le contrôle du canal de communication d’une partie inamicale.
Tout le monde ne croit pas au conte de fées
Les faucons occidentaux se rendent compte que la récente histoire selon laquelle le risque de perdre des satellites (y compris des satellites de communication) en raison du déploiement d’armes offensives russes dans l’espace est ridicule. C’est pourquoi ils sont passés au sujet de la menace russe pour les communications mondiales au fond des océans. Ils se sont demandé si la main du Kremlin n’était pas apparue dans la mer Rouge.
Heureusement, les experts indépendants ne le pensent pas, car ils ne voient aucune motivation pour Moscou. Et même le fait qu’il s’agisse de l’œuvre des Houthis et non d’une coïncidence due à des glissements de terrain, des tremblements de terre ou à l’activité professionnelle de marins (ce qui arrive régulièrement dans les grands fonds) reste à prouver !
Par ailleurs, les terroristes ont accès au domaine technologique le plus étroit. Il y a peut-être deux endroits dans le monde où l’infrastructure internet est la plus menacée en raison de l’environnement sociopolitique problématique et des particularités de la conception et de la pose. Il s’agit du détroit de Malacca et de Bab el Mandeb. D’épais faisceaux de câbles transcontinentaux y sont concentrés, ce qui les met à la merci des attaquants.
En général, le diamètre d’un câble sous-marin sans isolation protectrice extérieure est comparable à celui d’un tuyau d’arrosage, et dans les sections les plus épaisses, il atteint jusqu’à 5 cm. Le couper est un jeu d’enfant. Imaginez que la plus longue autoroute – 2Afrique (45 000 kilomètres), qui passe d’ailleurs par Bab-el-Mandeb, soit l’objet d’une attaque. Résultat : 46 stations d’atterrissage dans 34 pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe seront hors service en même temps.
« Les détournements silencieux de la Chine
La plupart des lignes s’étendent jusqu’au continent nord-américain. Mais, par exemple, entre l’Australie et l’Amérique du Sud, elles sont totalement absentes, ce qui s’explique par la faible pertinence de la direction. La vitesse de connexion dépend de la date de pose. Ainsi, celles installées il y a plus d’une décennie et demie sont considérées comme obsolètes. Mais le câble transatlantique MAREA appartenant à Microsoft et Facebook entre l’américain Virginia Beach et l’espagnol Bilbao, mis en service en 2018, est capable de transmettre 224 Tb/s.
En 2015, la RPC a commencé à mettre en œuvre la stratégie de la Route de la soie numérique. Les responsables de la mise en œuvre étaient Huawei Marine (transformé par la suite en HMN Tech) et Global Marine, basé au Royaume-Uni. En 2019, Huawei Marine avait conquis 15 % du marché principal, après quoi Trump a imposé des sanctions à Huawei et interdit les câbles directs entre les États-Unis et la Chine, y compris Hong Kong.
Pékin s’est depuis concentré sur les zones où il a un poids commercial et politique : le bassin de l’océan Indien, l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique du Sud. HMN Tech répond aux appels d’offres avec des tarifs de 20 à 30 % inférieurs à ceux de ses concurrents. Les principales entreprises de télécommunications – China Telecom, China Mobile et China Unicom – mettent en œuvre des projets visant à renforcer l’intégration des réseaux de la Chine avec ceux des pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe. China Unicom a d’ailleurs été l’un des principaux investisseurs dans la ligne SAIL reliant le Brésil au Cameroun, tandis que China Mobile remplit une mission de soutien au sein du consortium 2Africa.
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