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Emmanuel Macron rappelait l’urgence d’« examiner tous les moyens de soutenir Kiev » avant sa rencontre à l’Élysée avec une vingtaine d’alliés lundi 26 février. Ancien conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy, Henri Guaino met en garde dans une tribune contre les risques d’une guerre par procuration et souhaite plutôt aider l’Ukraine à faire la paix.

Comment ne pas être du côté des Ukrainiens dans la guerre qu’ils mènent pour défendre leur patrie ? Quel Français se disant patriote ne ferait pas de même pour défendre la France si elle était agressée ? Et comment ne pas admirer le courage d’un peuple qui se lève pour défendre sa liberté contre un ennemi plus grand que lui ? Mais, si les mots ont un sens, c’est notre cause, mais pas notre guerre. Car si c’était véritablement notre guerre, nous serions en guerre, nous ferions la guerre et nos enfants partiraient se battre sur le front ukrainien. La guerre, on la fait vraiment ou on ne la fait pas. On ne la fait pas à moitié, encore moins par procuration. La guerre par procuration, c’est laisser à d’autres le soin de la gagner et le risque de la perdre. La guerre par procuration, c’est remettre son sort entre les mains des autres. C’est prendre un sacré risque si c’est une guerre qui met en jeu notre survie, les seules guerres justes et acceptables, tant la guerre est une horreur, et c’est déshonorant de faire tuer les autres à sa place.

Il faut cesser de jouer avec les mots et avec les vies : si la survie de l’humanité, de l’Europe, de la France, est en jeu, il nous faut partir avec nos chars, nos canons, nos avions, risquer nos vies dans les plaines d’Ukraine. C’est assez des leçons de morale qui s’arrêtent juste avant le tête à tête avec le « c’est lui ou moi » sans appel de la guerre. Se battre jusqu’au dernier Ukrainien, c’est quand même un peu la tentation de beaucoup, aux États-Unis comme en Europe. Laissons de côté la question de la morale car il y a moins de morale que de cynisme dans cette pensée.

Laissons de côté l’éternelle confrontation des pacifistes et des bellicistes : ils sont aussi dangereux les uns que les autres. Les pacifistes croient dur comme fer que l’homme est bon, que sa nature est bienveillante. Ils occultent la part de violence, jusqu’à en oublier que parfois, il faut arrêter la violence par la violence, que, parfois, il n’y a pas d’autre choix que de faire la guerre, de la faire vraiment. Les bellicistes croient à la vertu régénératrice de la guerre, ils parient sur elle pour purifier les mœurs ou pour réunifier les sociétés divisées.

Mais nous ne réunifierons pas les sociétés occidentales fracturées dans tous les sens en agitant le spectre de l’invasion russe de l’Europe parce que finalement, cela n’a jamais fonctionné, en tout cas pas longtemps. Et c’est un pari risqué, car d’escalade en escalade, nous ne savons toujours pas où cela nous mène. On entend beaucoup de gens expliquer qu’il n’y a finalement pas eu d’escalade dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Mais qui ne voit pourtant à quel point le fossé que le « deux poids deux mesures » dans l’application du droit international par l’Occident avait creusé avec le reste du monde s’est dangereusement approfondi et que l’onde de choc de ce conflit qui dure continue de se propager en ébranlant pour très longtemps tout l’ordre international ? Qui ne pressent que le Munich tant redouté par les va-t-en guerre pourrait bien finalement arriver par un tout un tout autre chemin que celui qu’ils imaginaient, celui de l’abandon en rase campagne, après tant de sang versé, de l’Ukraine par des sociétés occidentales malades, ruinées, démoralisées par leurs propres malheurs, à bout de ressources et de volonté ? Il n’est jamais bon de se mentir à soi-même : ce risque est réel, cela ne fait plus de doute. Un impôt de guerre, en dernier recours, pour aider l’Ukraine, à défaut de l’impôt du sang ? Mais même cela, qui peut croire que nos sociétés, dans l’état où elles sont, l’accepteront ?

Encourager par tous les moyens l’Ukraine à faire la guerre, jusqu’à ce que les opinions publiques ne veuillent plus rien entendre ou jusqu’à ce que le risque soit trop grand et que vienne, éternel recommencement, le temps du lâche abandon ? Et si cela dure, ce temps viendra, comme au Vietnam, comme en Afghanistan. Ou alors aider l’Ukraine à faire la paix ? On dira que c’est impossible, comme on dit à propos du conflit israélo-palestinien que la solution à deux États est impossible, alors qu’il n’y a pas d’autre issue à part l’épuration ethnique ou le massacre. Et que par conséquent, il faut continuer à faire tous les efforts pour y parvenir. Aider l’Ukraine à faire la paix, c’est le rôle, c’est le devoir de la France avec sa voix singulière d’y travailler comme de travailler à la paix entre Palestiniens et Israéliens. Quant à nous protéger, il n’y a pas d’autre solution que de nous réarmer pour dissuader toute tentation de nous attaquer ou de s’attaquer à nos intérêts vitaux. Et ne pas céder à l’illusion mortelle de compter sur les autres pour nous défendre. L’alliance, oui. Mais la dilution de notre armée dans une armée européenne où la décision appartiendrait à d’autre qu’à nous-mêmes, serait une folie dans le monde tel qu’il est. Tout cela n’est rien d’autre que la voie que le général De Gaulle avait tracée à la France sur la scène du monde.

Marianne