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L’indignation née suite à la bavure de l’armée israéleienne qui a tué sept humanitaires de l’organisation caritative World Central Kitchen (WCK) à Gaza a mis en lumière le travail de cette ONG peu connue du grand public.
Alizée Lambin
Fondée par José Andres, un chef étoilé hispano-américain qui est une star outre-Atlantique, l’organisation caritative World Central Kitchen dispose d’une force de frappe considérable. Boulimique de travail, son fondateur est aussi un humanitaire dans l’âme qui fait fi des frontières pour servir sa cuisine là où les tragédies surviennent.
Originaire d’une ville minière du nord de l’Espagne, dans la région des Asturies, José Andres a quitté l’école à 14 ans pour se consacrer à sa formation culinaire en tant qu’apprenti. En 1991, à l’âge de 21 ans, il prend la route des États-Unis où il va se perfectionner dans les cuisines de restaurants new-yorkais. Un travail qui paie et le mène au succès au bout de quelques années, après avoir ouvert ses propres restaurants.
Un ami des personnes influentes
Sa société ThinkFoodGroup possède aujourd’hui plus de vingt restaurants gastronomiques, dont l’un est auréolé de deux étoiles Michelin. Vedette du petit écran, José Andres a encore élargi sa popularité grâce à ses apparitions dans diverses émissions de cuisine. Ami des stars, il fait désormais partie de leur microcosme. Pour faire marcher ses affaires, le chef cultive aussi des liens avec des personnalités influentes telles que Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon ou encore le président américain Joe Biden.
En 2010, fort de son succès dans la gastronomie, il fonde la World Central Kitchen (WCK) pour venir en aide aux près de 300 000 de sinistrés du tremblement de terre qui a frappé Haïti. Une première expérience de terrain réussie et qui va se répéter dans diverses zones du monde frappées par des catastrophes naturelles ou des conflits.
WCK est rapidement devenue un poids lourd de l’humanitaire et l’un des principaux fournisseurs d’aide alimentaire d’urgence au monde, affirmant être “la première organisation à arriver en première ligne”. Constituées d’un réseau de chefs et de travailleurs humanitaires, les équipes de terrain créent des cuisines éphémères sur place pour nourrir les communautés en détresse. Comme la majorité des ONG, WCK s’appuie sur les acteurs locaux pour prendre part aux opérations et poursuivre l’aide alimentaire une fois sa mission terminée. Depuis sa création, l’organisation assure avoir distribué plus de 300 millions de repas dans le monde entier.
La cuisine comme outil de pression politique
José Andres fait de ses cuisines un outil de pression politique. En octobre dernier, il confiait ainsi au journal Le Monde que “chaque dirigeant devrait avoir un conseiller spécial chargé de ce domaine, de la même manière qu’il a des conseillers pour la défense, la diplomatie ou l’énergie”.
Face à la multiplication et la conjugaison des conflits armés, des chocs économiques et climatiques, le Programme alimentaire mondial des Nations unies tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs années : le monde s’enfonce dans la faim et il est nécessaire d’agir maintenant pour sauver des vies. Un impératif partagé par le chef étoilé : “Il y a de l’arrogance à considérer la nourriture comme un acquis. Partout, on sonne l’alerte, mais les politiques s’entêtent à l’ignorer. Or, l’avenir de l’humanité en dépend”.
En 2013, il a fondé le Global Food Institute à l’Université George Washington. De quoi le rapprocher un peu plus des sphères du pouvoir, sans pour autant renier ses valeurs. En 2016, il s’est ainsi opposé à l’ouverture d’un de ses restaurants dans l’un des hôtels de l’ex-président Donald Trump, à la suite de propos tenus par ce dernier à l’égard des Mexicains sans papiers, qualifiés de “violeurs” et de “meurtriers”.
Tsahal reconnaît des “erreurs graves” et limoge deux officiers
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, son ONG a déclaré avoir ouvert des restaurants dans cinq villes du pays et distribué des millions de repas à la population.
Et depuis le 7 octobre dernier, jour du funeste regain du conflit entre Israël et le Hamas, la WCK s’est aussi fortement investie dans la bande de Gaza. L’organisation est notamment à l’origine du premier navire rempli d’aide humanitaire qui a convergé entre Chypre et Gaza, grâce à la construction d’une jetée temporaire sur la côte du territoire palestinien assiégé.
Endeuillée à la suite de l’attaque israélienne, l’ONG a finalement annoncé ce mardi 2 avril, suspendre ses activités dans l’enclave palestinienne. Dans une série d’interviews données à différents médias internationaux, José Andres s’est exprimé sans langue de bois, réfutant la thèse de l’accident avancée par le gouvernement Netanyahou : Ce n’est pas juste la faute à pas de chance, ce n’est pas ‘Oups on a lâché une bombe au mauvais endroit’, dénonce-t-il. C’était un convoi humanitaire bien défini qui avait des signes sur le toit, un logo très coloré. C’est très facile de voir qui on est et ce que nous faisons.”
Ce vendredi, Tsahal a reconnu que deux officiers avaient été démis de leurs fonctions et que trois autres avaient été “réprimandés”, en raison des “erreurs graves” à l’origine de cette bavure. Un mea culpa dont ne satisfait pas la World Central Kitchen qui réclame la mise sur pied d’une commission d’enquête indépendante, estimant que “L’armée israélienne ne peut pas enquêter de manière crédible sur sa propre défaillance à Gaza”. De son côté, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Andrzej Szejna, a indiqué vendredi avoir réclamé à Israël “une enquête criminelle” pour “meurtre”, un citoyen de nationalité polonaise figurant parmi les humanitaires décédés.