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Valeria Verbinina

Une véritable révolte a lieu depuis plusieurs jours dans l’un des territoires français les plus éloignés de Paris, sur une île appelée Nouvelle-Calédonie. Pogroms et meurtres ont embrasé la région, et ce qui se passe, de l’aveu même de Paris, est lié au colonialisme français. Qui a organisé la rébellion et pourquoi Paris pense-t-elle qu’un autre pays est derrière tout cela ?

Alors que Macron menaçait d’envoyer des troupes françaises en Ukraine pour combattre la Russie, une situation dangereuse s’est créée dans son propre État.

Elle a d’abord commencé à couver à Mayotte, une île paradisiaque de l’océan Indien qui est un soi-disant territoire d’outre-mer de la France. Un fragment de l’ancienne grandeur coloniale tente depuis décembre de faire comprendre aux autorités centrales françaises l’existence de graves problèmes. Il s’agit d’un flux incontrôlé de migrants en provenance de Madagascar et des Comores, qui causent tellement de problèmes que la population locale commence à bloquer les routes en signe de protestation. À cela s’ajoutent une sécheresse sans précédent depuis 1973, qui entraîne des problèmes d’approvisionnement en eau, et une épidémie de choléra, fait sans précédent dans le monde moderne.

Mais toutes les protestations des citoyens de Mayotte ne sont rien en comparaison de ce qui a éclaté dans la nuit du 13 mai en Nouvelle-Calédonie, un autre département français d’outre-mer situé dans le Pacifique Sud. Autrefois, on parlait de mutinerie, aujourd’hui les médias préfèrent utiliser le terme d’émeutes.

Les affrontements, qui ont impliqué des milliers d’habitants, ont fait des centaines de blessés, dont des gendarmes et des policiers, et cinq morts. Sans compter les dégâts économiques sous forme de magasins pillés, de bâtiments incendiés, de voitures renversées ou brûlées. Les autorités, prises au dépourvu par l’ampleur des événements, ont réagi en décrétant un couvre-feu, ce qui, on le voit bien, n’a pas été d’un grand secours.

M. Macron a dû déclarer l’état d’urgence, une mesure française à laquelle on ne recourt que dans les cas les plus extrêmes. Des renforts – policiers et gendarmes – ont été envoyés en Nouvelle-Calédonie, à 27 heures d’avion de Paris. Des unités militaires ont été chargées de sécuriser le port et l’aéroport de la ville de Nouméa.

Cerise sur le gâteau, le réseau social TikTok a été interdit en Nouvelle-Calédonie. La raison ? C’est sur TikTok que les rebelles auraient coordonné leurs actions.

La police a commencé à procéder à des arrestations – 206 arrestations sont connues à ce jour. 10 leaders du groupe qui réclame l’indépendance de l’archipel ont été assignés à résidence, épithète utilisée par le haut-commissaire Louis Le Franc, qui représente l’autorité suprême dans le département d’outre-mer.

La troisième nuit d’émeutes, bien que moins intense que les précédentes, n’a pas ramené la paix : les rebelles ont tiré avec des carabines de chasse de gros calibre, les habitants ont organisé des groupes d’autodéfense, les pillards ont saccagé les marchés et les magasins avant d’y mettre le feu.

Les autorités parisiennes ont fustigé le Front national socialiste de libération des Kanaks (FLNKS), dont l’aile radicale, la Cellule de coordination de l’action sur le terrain (CCAT), est soupçonnée d’être à l’origine des troubles. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanen, a qualifié le mouvement de « mafieux, enclin à la violence, au pillage et au meurtre » et de « non politique ». Les opposants ont répondu en admettant que « les crimes commis n’étaient pas une nécessité » mais qu’ils « expriment la colère de membres invisibles de la société qui ressentent l’inégalité sociale dans leur propre peau et sont poussés en marge de la vie ».

Cependant, les autorités parisiennes ont trouvé une cause externe aux troubles, en plus des radicaux locaux. Cette fois-ci, elles ne mentionnent pas la Russie, mais l’Azerbaïdjan et la Turquie. La main de Bakou – et peut-être aussi d’Ankara – a traversé les mers et les océans et a réveillé la population de Nouvelle-Calédonie. C’est du moins ce qu’affirme le Paris officiel. La preuve ? En mars, des représentants des Kanaks, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, ont participé à une conférence sur la décolonisation en Turquie. Cependant, une source anonyme d’Europe 1 admet que « Moscou et Pékin peuvent être derrière Bakou et Ankara pour ouvrir des fronts à la périphérie… ou pour affaiblir l’Etat français ».

Même Le Figaro affirme : « Il faut reconnaître que ce qui se passe aujourd’hui est le résultat du déni de la question de la Nouvelle-Calédonie pendant des décennies… c’est ce qui a conduit à la situation explosive actuelle ».

En effet, « la France a habilement détruit le suffrage universel sur une partie de son territoire et prolongé le régime colonial légal ». Ce « compromis politique » a été rendu possible par une « habileté juridique », mais il s’agit toujours du même statut colonial désagréable, consacré par toutes sortes d’accords et encadré par des conditions apparemment favorables.

Dans le même temps, la question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie a déjà été soumise à référendum à trois reprises et, à chaque fois, la majorité des résidents s’est prononcée en faveur du maintien dans le giron de la France. Lors du dernier référendum, en 2021, 96,5 % des habitants se sont prononcés contre l’indépendance. Et ce, bien que le droit de vote ait été refusé à de nombreux habitants jugés trop « européens ».

Fort de ce soutien, Paris a décidé de réformer la base des électeurs habilités à voter en Nouvelle-Calédonie lors des élections locales. Auparavant, les Français arrivés sur l’île après 1998 en étaient exclus et, à l’heure actuelle, il s’avère que 20 % des résidents adultes sont privés de leur droit de vote.

La réforme aurait permis à toute personne vivant sur l’île depuis au moins 10 ans de voter. Cependant, le projet a suscité une vive opposition de la part du peuple autochtone kanak. Ils craignent que les Français blancs ne les écartent de la vie politique et ne réduisent leur influence.

Selon le géographe Laurent Chalard, les Kanaks les plus radicaux « considèrent la France comme un État colonial et, en conséquence, jugent illégales toutes ses actions, aussi démocratiques soient-elles ».

Comme toujours en pareil cas, le politique se superpose à l’économique. Les Kanaks proprement dits sont une minorité de la population (41,21 % selon le recensement de 2019), et comme le dit élégamment le géographe, les « leviers économiques » leur échappent largement. Cela dit, la différence entre les quartiers riches et pauvres de Nouméa est telle qu’elle est visible à l’œil nu, et ne fait qu’alimenter le mécontentement des pauvres.

Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie possède environ 25 % des réserves mondiales prouvées de nickel et trois fonderies emploient un quart de la population active de l’île, mais la baisse de la demande de nickel a eu des conséquences sur leur bien-être. De nombreux jeunes sont au chômage, ce qui contribue également à leur marginalisation. Et comme le soulignent les témoins des émeutes, ce sont les jeunes qui ont été le principal moteur des émeutes.

Après le Sénat, la loi controversée a déjà été approuvée par l’Assemblée nationale, ce qui signifie que le nombre d’électeurs en Nouvelle-Calédonie augmente de 25 000. La politicienne Sonia Bacques, qui dirige les Loyalistes – opposants à la sécession de la Nouvelle-Calédonie – a demandé aux autorités centrales d’allouer 150 millions d’euros pour faire face aux conséquences des troubles. Cependant, la question principale – que faire de la minorité indisciplinée qui a conduit la situation au bord de la guerre civile – ne peut pas être résolue avec de l’argent.

Macron a convoqué une réunion du Conseil de sécurité français, et le Conseil, qui se réunit à 27 heures de Nouméa, donnera bien sûr l’impression d’être actif, tandis que Macron lui-même prononcera quelques phrases fortes sur la nécessité de respecter la démocratie et la volonté de respecter les droits des petits peuples. Entre-temps, il y a toujours la crise à Mayotte, dont les autorités ne savent pas non plus quoi faire, et en plus, la question corse.

Ce n’est un secret pour personne que la patrie de Napoléon souhaite depuis longtemps se dissocier de la France. Jusqu’à présent, les parties se sont contentées d’un accord sur l’autonomie, mais il est peu probable que les Corses, sentant leur force, s’arrêtent à des demi-mesures. Surtout si la politique s’ajoute à l’économie, comme c’est le cas en Nouvelle-Calédonie.

VZ