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Il faudra plus que les dissuasions nucléaires de la France et du Royaume-Uni pour défendre le continent sans les Etats-Unis, note POLITICO Derrick Wyatt est professeur émérite de droit à l’Université d’Oxford.
Dans un passage clé de son récent discours à la Sorbonne, le président français Emmanuel Macron a insisté sur le fait que la Russie ne devait pas gagner la guerre en Ukraine. Pour faire face à la menace que représentent les armes nucléaires du président russe Vladimir Poutine, il a affirmé que l’Europe avait besoin de ses propres défenses nucléaires. Et sur ce front, a-t-il dit, la France pourrait jouer un rôle essentiel.
La question qui se pose est la suivante : M. Macron pourrait-il faire allusion à quelque chose de similaire à la politique du Royaume-Uni ?
Le Royaume-Uni est également un État doté d’armes nucléaires, mais contrairement à la France, la Grande-Bretagne a déjà défini sa politique d’utilisation de sa force de dissuasion nucléaire pour défendre ses alliés.
Les têtes nucléaires britanniques sont montées sur des missiles Trident lancés par des sous-marins de classe Vanguard. L’un de ces sous-marins est toujours en mer, prêt à lancer ses missiles nucléaires si l’ordre lui en est donné.
Pourtant, peu de gens croient sérieusement que le Royaume-Uni lancerait réellement des missiles nucléaires contre des villes russes si Moscou avait d’abord attaqué un allié de l’OTAN et non le Royaume-Uni directement.
D’une part, si la Russie pense que le Royaume-Uni a lancé une attaque nucléaire contre ses villes, il est fort probable qu’elle riposte en lançant une attaque similaire contre le Royaume-Uni. D’autre part, le fait même qu’un sous-marin Vanguard lance un missile Trident risquerait de révéler son emplacement, une information qui pourrait donner aux forces russes l’occasion de le détruire. Et comme le Royaume-Uni ne disposerait probablement que d’un seul sous-marin nucléaire en mer, il pourrait finir par sacrifier sa capacité à répondre à une attaque nucléaire sur ses propres côtes ou à la dissuader.
Ainsi, quelle que soit la politique officielle du Royaume-Uni, il est presque inconcevable que la Grande-Bretagne utilise ses armes nucléaires en cas d’attaque contre un allié de l’OTAN plutôt que contre le Royaume-Uni lui-même. Les missiles nucléaires Trident peuvent constituer un moyen de dissuasion efficace contre les frappes nucléaires sur le Royaume-Uni, mais ils n’offrent qu’une protection très limitée à ses alliés.
La France, quant à elle, possède plus d’armes nucléaires que le Royaume-Uni, la plupart de ses ogives étant déployées dans ses sous-marins de classe Le Triomphant, et d’autres dans des porte-avions ou des avions basés à terre. Cependant, la France n’a jamais « déclaré » ou « assigné » ses armes nucléaires à l’OTAN. Les armes nucléaires françaises sont là pour défendre la France seule, et jusqu’à récemment, les gouvernements français n’ont jamais prétendu le contraire.
Pour bien comprendre où Macron voulait en venir dans son discours de la Sorbonne, il faut se rappeler son discours de l’Élysée de 2020, dans lequel il mentionnait l’utilisation des armes nucléaires françaises. Dans cette déclaration, M. Macron a laissé entendre que la France pourrait les utiliser pour défendre ses alliés européens. Il a déclaré que la dissuasion nucléaire était le dernier recours pour protéger les intérêts vitaux du pays, mais il a également ajouté que ces intérêts avaient désormais une dimension européenne.
Se démarquant du style quelque peu delphique de ces discours, M. Macron semble avoir proposé une copie conforme de la politique britannique. Il a raison, bien sûr, de « sentir le café » en ce qui concerne les risques pour la défense européenne qui résulteraient du désengagement américain. L’un des risques serait que la Russie domine ses alliés européens non dotés d’armes nucléaires par la menace ou l’utilisation d’armes nucléaires tactiques dans n’importe quel conflit.
Selon la doctrine russe actuelle, les armes nucléaires tactiques (ou de champ de bataille) à faible rendement sont « un moyen contrôlable d’obtenir des résultats sur le champ de bataille et de mettre fin aux hostilités ». Selon des documents russes ayant récemment fait l’objet d’une fuite, même la perte de moyens militaires conventionnels, tels que des aérodromes, au cours d’un conflit pourrait déclencher une riposte nucléaire tactique de la part de la Russie. Il y a quelques semaines, le Kremlin a annoncé des exercices d’armes nucléaires tactiques afin d’améliorer leur préparation au combat.
Il s’agit d’une réponse claire aux commentaires de M. Macron et du ministre britannique des affaires étrangères, David Cameron. M. Cameron avait déclaré qu’il appartenait à l’Ukraine d’utiliser ou non des armes fournies par le Royaume-Uni pour frapper des cibles en Russie, et M. Macron avait évoqué la possibilité que des troupes de l’OTAN combattent en Ukraine.
Sans les États-Unis, l’Europe n’aurait tout simplement pas de réponse en nature à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par la Russie. Et malgré un arsenal nucléaire plus important que celui du Royaume-Uni, c’est le principal facteur qui empêcherait la France de lancer une frappe nucléaire sur la Russie pour défendre ses alliés.
Les parapluies nucléaires de la France et de la Grande-Bretagne sont bien réels, mais la vérité est qu’ils ne sont assez larges que pour couvrir la France et le Royaume-Uni.
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