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États-Unis, Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, Israël, Joe Biden, justice internationale, Russie, Ukraine
Andrea Furger, Chercheuse diplômée et chargée d’enseignement en droit international, Université de Melbourne. J’ai précédemment travaillé pour le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (2010 – 2015 et 2017 – 2021).
Cette semaine, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas, ainsi que contre le Premier ministre israélien Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant, dans le cadre de la guerre en cours à Gaza.
La réaction des États-Unis, principal soutien d’Israël, ne s’est pas fait attendre. Le président Joe Biden a condamné l’action du procureur contre les dirigeants israéliens en la qualifiant de « scandaleuse » et a accusé la CPI d’établir une fausse équivalence morale entre le Hamas et Israël.
Bien que l’on ne sache pas encore si les juges de la CPI décideront de délivrer les mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant, l’administration Biden a déjà fait allusion à la possibilité d’imposer des sanctions américaines contre les fonctionnaires de la CPI.
Pourtant, il y a tout juste un an, lorsque la CPI a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et d’un autre responsable russe pour des crimes internationaux présumés dans le cadre de la guerre en Ukraine, les responsables américains n’ont pas tari d’éloges à l’égard de la Cour. M. Biden a salué cette action, la qualifiant de « justifiée ».
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, les États-Unis n’ont cessé d’afficher leur soutien à la CPI. Un haut fonctionnaire américain, l’ambassadeur itinérant pour la justice pénale mondiale, a déclaré que la CPI « occupe une place importante dans l’écosystème de la justice internationale ».
La volte-face apparente des États-Unis lorsque la Cour a pris son allié pour cible n’est pas nouvelle. Elle n’est pas non plus surprenante.
Cette approche hésitante est plutôt symptomatique de la relation compliquée que les États-Unis entretiennent avec la CPI depuis sa création en 1998. La réaction hostile des États-Unis à la situation israélo-palestinienne était certainement attendue par les responsables de la Cour.
La méfiance dès la création de la Cour
J’ai travaillé pendant de nombreuses années comme conseiller en coopération au bureau du procureur de la CPI. Au cours de cette période, la position de Washington à l’égard de la Cour a changé à plusieurs reprises – elle a soutenu la Cour à certains moments et l’a critiquée à d’autres.
Cette évolution est en grande partie liée à une évaluation plus large des objectifs de la politique étrangère américaine et des coûts et avantages anticipés que le soutien à la Cour pourrait apporter.
Les États-Unis ont d’abord été de fervents partisans de la création d’une cour pénale internationale permanente et ont participé activement aux négociations du traité de la CPI dans les années 1990.
Mais ils ont finalement voté contre le statut de Rome qui a créé la Cour en 1998, en raison de leurs préoccupations concernant le cadre juridictionnel de la Cour. Les États-Unis craignaient qu’il ne permette de poursuivre des Américains sans leur consentement.
Bien que les États-Unis aient encore signé le Statut de Rome, le président George W. Bush l’a ensuite effectivement annulé, déclarant que les États-Unis ne ratifieraient pas le document et qu’ils n’avaient pas d’obligations légales à son égard.
Aujourd’hui, les États-Unis ne sont toujours pas membres de la CPI.
Une fois la CPI créée, les États-Unis ont adopté des lois pour limiter leurs interactions avec la nouvelle cour. Le plus important est l’adoption de la loi de 2002 sur la protection des membres des services américains (ASPA), qui interdit d’apporter un quelconque soutien à la CPI.
Cette loi autorisait également le président américain à utiliser « tous les moyens nécessaires » – une expression qui inclut la force armée – pour libérer des fonctionnaires ou des militaires américains s’ils étaient détenus pour être poursuivis à La Haye, siège de la CPI. Cela lui a valu le surnom de « loi sur l’invasion de La Haye ».
La même année, cependant, un amendement à la loi a été adopté, prévoyant des exceptions pour les cas où les États-Unis pourraient aider les tribunaux internationaux à traduire en justice :
Saddam Hussein, Slobodan Milosovic, Oussama ben Laden, d’autres membres d’Al-Qaïda, des dirigeants du Jihad islamique et d’autres ressortissants étrangers.
L’amendement a créé une grande flexibilité, démontrant que les États-Unis étaient prêts à soutenir les efforts de la justice internationale tant qu’ils visaient des « ennemis » américains désignés ou d’autres ressortissants étrangers.
Soutien des États-Unis dans les affaires africaines
Les États-Unis ont rapidement adopté une approche pragmatique à l’égard de la Cour, soutenant ses activités en fonction des circonstances et de leurs intérêts.
En 2005, Washington a autorisé la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations unies concernant un éventuel génocide et des crimes de guerre commis au Darfour (Soudan). Ce conflit figurait à l’époque parmi les principales priorités de la politique étrangère américaine en Afrique.
Par la suite, l’administration Obama a officiellement adopté une stratégie « au cas par cas » pour coopérer avec la CPI lorsque celle-ci s’aligne sur les intérêts américains.
Dans le cadre de cette politique, les États-Unis ont joué un rôle important dans le renvoi à la CPI, en 2011, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre présumés commis en Libye. Cette démarche était, là encore, conforme aux intérêts de la politique étrangère américaine.
Les diplomates américains ont également apporté un soutien essentiel à l’arrestation du chef de guerre congolais Bosco Ntaganda, qui a ensuite été condamné à 30 ans de prison par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les États-Unis ont également contribué à l’arrestation de Dominic Ongwen, de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) en Ouganda, qui a ensuite été condamné à 25 ans de prison.

Une nouvelle brouille à propos de l’Afghanistan
Les relations entre les États-Unis et la Cour se sont toutefois rapidement détériorées sous l’administration Trump.
Cela s’explique en partie par l’évolution de l’enquête de la CPI sur les crimes présumés commis en Afghanistan, qui a marqué la première fois que la Cour a examiné des crimes possibles commis par les forces américaines.
En 2020, les juges de la CPI ont autorisé une enquête sur les forces américaines, afghanes et talibanes. Peu après, les États-Unis ont imposé des sanctions à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, et à un autre haut fonctionnaire de la CPI.
Après quelques retards, l’enquête se poursuit à nouveau, en se concentrant uniquement sur les crimes qui auraient été commis par les Talibans et la province de l’État islamique de Khorasan. D’autres aspects de l’enquête ont été « dépriorisés », une référence implicite aux États-Unis et à leurs alliés.

Peu après son entrée en fonction, l’administration Biden a levé les sanctions à l’encontre des fonctionnaires de la CPI, renouant ainsi avec une période apparemment plus propice à la collaboration dans les relations entre les États-Unis et la CPI.
Ces relations se sont resserrées à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, avec l’adoption de nouvelles lois qui ont élargi les possibilités de coopération des États-Unis avec la Cour. Les objectifs des États-Unis et de la CPI semblaient à nouveau alignés, du moins pour le moment.
Toutefois, la demande de mandats d’arrêt formulée cette semaine à l’encontre de dirigeants israéliens témoigne d’un nouveau changement dans l’approche américaine à l’égard de la Cour. Les États-Unis continuent de soutenir la Cour lorsque cela les arrange, en donnant la priorité à leurs propres objectifs de politique étrangère plutôt qu’à des efforts plus larges en matière de justice pénale internationale.
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