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Jérôme Fenoglio

Emmanuel Macron est confronté à l’injonction contradictoire qu’il s’est lui-même assignée : faire baisser le vote d’extrême droite sans avoir mené une politique capable d’extirper ses racines. Se décidera à la va-vite, les 30 juin et 7 juillet, rien moins que l’avenir de notre démocratie.

Le pire devra donc être évité en trois semaines, et non plus en trois ans. Vingt jours pour empêcher l’extrême droite de parvenir au pouvoir en France, pour la première fois par les urnes, alors qu’elle vient de triompher aux européennes. Trois semaines avant le premier tour de législatives auxquelles Emmanuel Macron s’est résolu, dimanche soir, en se glissant par l’issue de secours des présidents de la Ve République acculés par les circonstances : la dissolution de l’Assemblée nationale.

Sous le choc de ce coup de théâtre institutionnel, aussi légitime qu’inattendu, la plupart des commentateurs ont choisi de recourir aux mêmes images : un pari, un coup de poker. Le problème, c’est que nous en constituons la mise, et que se décideront à la va-vite, les 30 juin et 7 juillet, rien de moins que l’avenir de notre démocratie, ainsi que le visage que nous voudrons présenter à nos alliés et nos partenaires européens, alors que notre continent est de nouveau frappé par la guerre, alors que notre monde est en état de catastrophe climatique.

Le problème, c’est surtout que le joueur a perdu la main. Et ce bien avant le camouflet des résultats des européennes : la liste Renaissance pèse moins de la moitié des voix de celle du Rassemblement national (RN), celle-ci fournissant le plus gros d’un total inédit de suffrages de l’extrême droite, à près de 40 % des votants. La campagne n’a fait que concentrer ce mélange d’arrogance et de maladresse qui révulse nombre d’électeurs prêts à se tourner vers un vote protestataire. Le problème, c’est aussi que les premiers éléments d’explication qui filtrent de l’Elysée pour justifier cette dissolution, mélange de bluff et d’autopersuasion, ressemblent tant aux coups de communication récents – débats ou interventions éclipsant la tête de liste Renaissance, utilisation de la guerre d’Ukraine ou de l’histoire du Débarquement allié –, qui se sont tous révélés contre-productifs.

Voici donc Emmanuel Macron confronté, plus que jamais, à l’injonction contradictoire qu’il s’est lui-même assignée : faire baisser le vote d’extrême droite sans avoir mené une politique capable d’extirper ses racines, bien plus profondes que le rejet de l’immigration toujours mis en avant. Et voici son camp exposé, par ce retour des législatives, au regret de la faute commise il y a deux ans, lorsque la majorité présidentielle n’avait pas jugé bon de prolonger le front républicain qui a valu à son champion ses deux élections.

Ce reniement majeur lui avait coûté nombre de députés, ceux qui lui ont manqué pour étoffer la majorité relative et éviter les risques d’une dissolution. Comment rétablir un principe que l’on a trahi ? Ce sera l’un des sujets-clés des prochains jours pour toutes les formations politiques qui souhaitent, de bonne foi, empêcher le clan Le Pen de prendre ses quartiers à Matignon.

De fait, Emmanuel Macron n’est pas seul comptable de la conjonction d’échecs qui a fini par bloquer son mandat. Le temps long de la montée de l’extrême droite excède largement les sept années qui ont vu passer le jeune prodige de bénéficiaire à victime désignée du dégagisme ambiant. L’issue de la partie dépend aussi de ceux qui se trouvent autour de la table.

La droite ? Le faible score de la liste Bellamy sanctionne une nouvelle fois le sabordage insensé qu’elle s’est imposé depuis des années, alors qu’ailleurs en Europe, les partis conservateurs ont souvent davantage progressé que les extrêmes de ce bord. La gauche ? En dépit du score pour une fois encourageant de la liste Glucksmann, la sociologie électorale ne penche pas en sa faveur. C’est pourtant de ce côté que pourraient provenir les réponses les plus aptes à faire reculer durablement le vote à l’extrême droite : recherche d’une transition climatique équitable, démantèlement des ghettos urbains, défense des services publics et lutte contre les excès de la société de consommation. Pour imposer ces thèmes, l’union est indispensable. Or elle apparaît hors de portée tant que Jean-Luc Mélenchon et ses « insoumis » campent sur des postures sectaires, qui confinent à la politique du pire. Le choc de la dissolution peut-il faire bouger les choses ? C’est au prix de ces efforts que d’autres que le RN pourront gagner le pari hasardeux d’un président aux abois.

Le Monde