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La Chine s’affirme de plus en plus au Moyen-Orient et profite du retrait américain pour devenir un partenaire incontournable sur le plan politique, sécuritaire et économique.

Suzy Wolfarth

La coopération entre la Chine et le monde arabe n’a cessé de s’intensifier, au cours des dernières décennies. Elle ne concerne plus uniquement l’énergie et les hydrocarbures, mais vise désormais un partenariat global incluant politique, économie, sécurité, défense et échanges entre les peuples. Lors du 10e Forum de coopération sino-arabe qui s’est tenu à Pékin le 30 mai, les autorités chinoises ont encore rappelé leur volonté de construire un « futur partagé« , selon les termes de Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Alors que la guerre dans la bande de Gaza a encore rapproché Pékin des capitales arabes, de par son soutien aux Palestiniens.

Cette amitié récente fait aujourd’hui de la Chine un acteur incontournable au Moyen-Orient, considéré comme vital pour les intérêts de Pékin depuis la moitié du XXe siècle. Mao Zedong avait en effet déjà clairement exprimé que « le contrôle de cette région par une puissance hostile précipiterait non seulement une troisième guerre mondiale, mais mettrait, même, la survie de la République Populaire de Chine en danger« . Le gouvernement chinois a donc naturellement profité du retrait progressif des États-Unis, qui veulent limiter les coûts élevés de leur politique interventionniste pour se repositionner en tant qu’allié stratégique.

« Une ceinture, une route »

Le pétrole – dont on connaît les réserves au Moyen-Orient – n’est évidemment pas étranger aux convoitises chinoises. Malgré sa place dans le top 10 des pays possédant les plus importantes réserves d’or noir en 2023, la Chine a importé près de 11,3 millions de barils par jour de pétrole brut, soit une croissance de 10 % en un an, selon les données des douanes chinoises. La Russie, l’Arabie saoudite et l’Irak sont les principales sources d’importation de Pékin, lequel a donc conclu un accord clé avec Riyad pour développer des champs pétroliers dans le Royaume. Même constat sur le sol irakien, où le géant asiatique est désormais actif dans 20 % des gisements du pays. Preuve de l’ingéniosité chinoise, Pékin a également réussi à conclure en 2021 un accord stratégique de coopération accrue sur 25 ans avec l’Iran, pourtant mis au ban… des pays arabes. Depuis une quinzaine d’années, les investissements chinois dans le secteur de l’énergie au Moyen-Orient représentent des dizaines de milliards de dollars, selon le China Global Investment tracker, un outil mis au point par le think tank américain American Entreprise Institute.

Ces multiples partenariats économiques sont encore renforcés par le développement du projet « Une ceinture, une route » (BRI), les nouvelles routes de la soie, qui comprennent une partie terrestre (la ceinture) et une partie maritime (la route). « Les projets d’investissements et de développements chinois représentent des opportunités formidables pour les pays arabes« , note Emile Bouvier, chercheur indépendant et spécialiste du Moyen-Orient. Sur la seule période 2005-2017, 60 % des 814 milliards de dollars investis dans le monde par la Chine pour financer des programmes de construction et d’infrastructures étaient destinés aux pays partenaires de l’initiative.

Les investissements chinois, réalisés à travers des financements publics et privés massifs, font de la Chine le premier créancier des pays pauvres. Pékin représente à lui seul près de deux tiers des créances publiques incluses dans l’initiative de suspension des dettes du G20. Moyennant des projets d’infrastructures colossaux avec des prêts très avantageux, « les pays deviennent très rapidement dépendants financièrement et peuvent se retrouver pieds et poings liés« , alerte le spécialiste. Le Sri Lanka, par exemple, fut l’un des premiers pays des « nouvelles routes de la soie » à faire faillite. Incapable d’honorer ses dettes, il fut contraint en 2017 de céder les clés du port de Hambantota à la Chine pour 99 ans.

Nouveau médiateur du Moyen-Orient ?

Forte de ce rôle essentiel, la Chine de Xi Jinping se risque désormais sur des terrains qu’elle n’empruntait guère il y a encore quelques années. Le 10 mars 2023, alors que le monde suivait de près les avancées russes en Ukraine, l’Arabie saoudite et l’Iran signaient, à la surprise générale, le rétablissement de leurs relations diplomatiques et la réouverture de leurs ambassades respectives. Un accord jugé par certains impossible, alors que la belligérance des deux grands rivaux mettait la région sous haute tension depuis sept ans. Malgré le manque de détails sur l’affaire, c’est bien Pékin qui était à la manœuvre de ce rapprochement inattendu, issu de pourparlers organisés dans la capitale chinoise.

« L‘avantage de la Chine, c’est qu’elle n’a aucune histoire de colonialisme au Moyen-Orient et qu’elle n’y a jamais fait non plus d’intervention militaire« , estime M. Bouvier, contrairement à l’Occident. « C’est la puissance neutre par excellence, ce qui lui permet de mener des affaires de médiation de manière plus efficace« . Un avantage qui pourrait lui permettre de « représenter une concurrence sérieuse pour Washington« , en perte de vitesse depuis plusieurs années, et qui souffre de son alliance avec Israël alors que le conflit dans la bande de Gaza ne semble pas près de se terminer.

La Libre