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Son insistance sur une stratégie pro-Ukraine audacieuse s’est révélée sourde au ton et son pouvoir est désormais en jeu.
Eloise Cassier est chercheuse à l’Institute for Global Affairs à New York. Auparavant, elle était stagiaire à la rédaction de Foreign Affairs.

Le président français Emmanuel Macron a récemment averti que « notre Europe, aujourd’hui, est mortelle. Elle peut mourir ». S’il faisait allusion à des menaces extérieures telles que l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’engagement vacillant des États-Unis envers leurs alliés européens, le danger le plus immédiat pour sa vision de l’Europe vient de la France elle-même.
L’Europe est profondément divisée, la montée du nationalisme et de l’euroscepticisme menaçant d’éroder les fondements de son projet d’unité d’après-guerre. Cette division n’est nulle part plus apparente qu’en France, où la vision de M. Macron d’une Europe forte et unifiée se heurte à un mécontentement intérieur croissant et à la résurgence d’un mouvement populiste de droite.
Au début du mois, M. Macron a dissous l’Assemblée nationale française et convoqué des élections anticipées après que son parti, Renaissance, a été battu par le Rassemblement national d’extrême droite de Marine Le Pen lors des élections au Parlement européen. Le premier tour de dimanche a donné une nouvelle victoire au parti, qui a obtenu un tiers des voix. La coalition de gauche, le Nouveau Front populaire, a suivi de près avec 28 % et la coalition centriste de M. Macron s’est retrouvée en troisième position, avec 20 % des voix.
La droite populiste vise les 289 sièges nécessaires pour obtenir la majorité absolue, et les projections actuelles pour le second tour du 7 juillet indiquent que le Rassemblement national obtiendra entre 230 et 300 sièges. Si l’espoir de M. Macron était de rassembler suffisamment de soutiens pour conserver une majorité au pouvoir, les résultats obtenus jusqu’à présent montrent qu’il a échoué.
Au lieu de cela, en appelant à des élections anticipées, M. Macron a involontairement ouvert la voie au premier gouvernement d’extrême droite en France depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cela a porté un coup embarrassant à l’establishment français. Alors que M. Macron était préoccupé par les grands récits sur la démocratie et l’autoritarisme, une enquête que j’ai contribué à mener aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France a révélé que les citoyens français étaient bien plus préoccupés par les défis intérieurs.
Des politiques extrêmement impopulaires, allant de l’augmentation des taxes sur les carburants à la réforme des retraites, ont dressé une grande partie du pays contre M. Macron. Sa cote de popularité a atteint son niveau le plus bas depuis 2018, lorsque les manifestants en gilet jaune ont mis le feu aux rues de Paris. Face à l’énorme mécontentement intérieur, Macron a tourné son attention vers la politique étrangère, espérant que le soutien à l’Ukraine soutiendrait son image de dirigeant fort et de défenseur de la démocratie.
Mais nos données ont montré que la position intransigeante de M. Macron sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’a pas trouvé d’écho auprès de ses électeurs. Il a même suggéré d’envoyer des troupes occidentales au combat, une proposition rapidement rejetée par les autres pays de l’OTAN.
Notre enquête confirme que la majorité des Français sont désireux de mettre fin à la guerre, même en l’absence d’une victoire ukrainienne. En fait, lorsque nous avons demandé aux Européens si les pays membres de l’OTAN devraient faire pression pour un règlement négocié entre l’Ukraine et la Russie, les réponses « oui » ont été choisies plus de deux fois plus souvent que les réponses « non ».
C’est l’un des domaines dans lesquels M. Macron espérait surpasser Mme Le Pen, qu’il a accusée d’être redevable à Vladimir Poutine. Lors de sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, Mme Le Pen a plaidé en faveur de liens plus étroits avec la Russie et du retrait de la France du commandement militaire de l’OTAN. Mais elle a depuis assoupli sa position et a habilement calibré le programme de son parti en fonction de l’opinion publique. Si l’euroscepticisme reste au cœur de son programme nationaliste, le Rassemblement national est désormais favorable à l’octroi d’une aide matérielle à l’Ukraine, à l’exception des actions susceptibles de déclencher une guerre plus large.
Le point positif pour M. Macron est qu’il s’aligne sur le sentiment de l’opinion publique concernant la défense européenne de manière plus générale. Nos recherches montrent que son discours sur l' »autonomie stratégique » trouve un écho auprès d’une grande majorité d’Européens de l’Ouest qui pensent que l’Europe devrait assumer la responsabilité principale de sa propre défense tout en maintenant des liens militaires avec les États-Unis dans le cadre de l’OTAN.
Malgré ces défis, M. Macron a encore des cartes à jouer. Le Parti populaire européen (PPE) de centre-droit, qui détient le plus grand nombre de sièges au Parlement européen, s’aligne sur sa vision. L’enthousiasme de Manfred Weber, leader du PPE, pour l’extension du parapluie nucléaire français à l’ensemble de l’Europe offre une voie potentielle pour aller de l’avant. Une alliance stratégique axée sur des questions communes telles que la sécurité pourrait servir de rempart contre l’influence de l’extrême droite au niveau européen.
S’il est contraint de nommer un premier ministre issu du parti de Mme Le Pen – probablement Jordan Bardella, 28 ans – l’influence intérieure de M. Macron sera fortement réduite. Pourtant, cette contrainte pourrait constituer une opportunité. La politique étrangère étant de son ressort, M. Macron a la possibilité de consolider son héritage et d’influer sur l’avenir de son continent.
Le pari de M. Macron pourrait soit revigorer le projet européen, soit donner le pouvoir à ceux qui veulent le démanteler. L’ironie de la chose, c’est que le geste audacieux de Macron pour sauver sa vision de l’unité européenne et de l’autonomie stratégique pourrait être ce qui la détruira.
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