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Le Premier ministre hongrois Viktor Orban s’est rendu dans la capitale russe pour y rencontrer le président Vladimir Poutine. Des dirigeants européens, dont Charles Michel, ont déjà fait part de leur indignation.

Maria Udrescu

Le président russe Vladimir Poutine (à droite) et le premier ministre hongrois Viktor Orban se serrent la main lors d'une réunion à Pékin, en octobre 2023.
Le président russe Vladimir Poutine (à droite) et le premier ministre hongrois Viktor Orban se serrent la main lors d’une réunion à Pékin, en octobre 2023. ©Grigory Sysoyev/POOL/TASS/Sipa USA

Viktor Orban s’est rendu à Moscou ce vendredi pour y rencontrer le président russe Vladimir Poutine. Ce n’est pas qu’une énième provocation du Premier ministre hongrois. Il a tout bonnement brisé ce qui constitue depuis deux ans la ligne directrice de la politique étrangère européenne et occidentale : celle de ne pas traiter avec l’agresseur de l’Ukraine qui, seule, doit décider si, quand et ce qu’elle acceptera de discuter avec la Russie. De plus, Viktor Orban va serrer la main du maître du Kremlin, au moment où la Hongrie assure la présidence du Conseil de l’Union européenne, engageant ainsi la parole et l’image de celle-ci. L’affront du dirigeant hongrois serait tel qu’il pourrait constituer un point de non-retour dans sa relation, déjà houleuse, avec l’UE, au vu des réactions de ses homologues des Vingt-sept.

« On ne peut pas faire la paix depuis un fauteuil confortable à Bruxelles. Même si la présidence tournante de l’UE n’a pas de mandat pour négocier au nom de l’UE, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et attendre que la guerre se termine miraculeusement », a déclaré Viktor Orban vendredi matin sur X, sans mentionner un déplacement à Moscou.

You cannot make peace from a comfortable armchair in Brussels. Even if the rotating EU-Presidency has no mandate to negotiate on behalf of the EU, we cannot sit back and wait for the war to miraculously end. We will serve as an important tool in making the first steps towards… pic.twitter.com/5pqREmP8EN— Orbán Viktor (@PM_ViktorOrban) July 5, 2024

La veille, Charles Michel, président du Conseil européen, a été le premier à dénoncer sévèrement un tel voyage, sans attendre qu’il soit confirmé par Budapest – signe de la gravité de la situation. « La présidence tournante n’a aucun mandat pour dialoguer avec la Russie au nom de l’UE. Le Conseil européen [institution des chefs d’État et de gouvernement, NdlR] est clair : la Russie est l’agresseur, l’Ukraine est la victime. Aucune discussion sur l’Ukraine ne peut avoir lieu sans l’Ukraine », a écrit le Belge sur X. Même indignation du côté de Petteri Orpo, Premier ministre finlandais, pour qui cette visite « témoignerait d’un mépris pour les devoirs de la présidence de l’UE et saperait les intérêts de l’Union ». De son côté, le Premier ministre polonais Donald Tusk peinait à en croire ses oreilles : « Les rumeurs concernant votre visite à Moscou ne peuvent pas être vraies, Viktor Orban. Ou si ? » Tandis queMargus Tsahkna, ministre estonien des Affaires étrangères, a exprimé sa « déception et désapprobation du projet d’Orban de rencontrer Poutine. »

Abus de la présidence

En réalité, le Premier ministre hongrois a déjà exploité sa casquette européenne, à peine deux jours après le début de la présidence le 1er juillet. Mardi, il s’est rendu à Kiev, pour la première fois depuis le début de l’invasion russe, pour appeler le président ukrainien Volodymyr Zelensky à « considérer rapidement la possibilité d’un cessez-le-feu ». Une position là encore contraire à celle des alliés européens de l’Ukraine.

C’est que le Premier ministre hongrois « considère que son rôle est de faciliter la compréhension et la clarification des positions » des parties au conflit, expliquait jeudi après-midi Janos Boka, ministre des Affaires européennes, face à la cinquantaine de médias, dont La Libre, invités à Budapest pour le traditionnel voyage de presse la présidence.

Selon des sources consultées par La Libre, la Hongrie n’aurait pas pris le soin d’informer les autres États membres de son projet de voyage à Moscou, piétinant ainsi, si ce déplacement se confirme, le principe de coopération loyale entre les Vingt-sept. À Budapest, les journalistes européens ont vu leurs questions à ce sujet ignorées. « Pas de commentaires », nous a-t-on répété, pendant que des ministres hongrois s’attelaient, tour à tour, à déverser la rhétorique du gouvernement sur la guerre en Ukraine.

Pour rappel, la Hongrie refuse d’aider militairement Kiev, tout en flirtant depuis des mois avec Moscou – à Pékin, en octobre 2023, Viktor Orban avait déjà rencontré M. Poutine, devenant le seul dirigeant européen à faire un tel geste depuis le début de la guerre. Le gouvernement hongrois bloque par ailleurs une enveloppe européenne de 6 milliards d’euros pour rembourser des armes livrées aux soldats ukrainiens par les pays de l’UE. Selon deux officiels rencontrés à Budapest, la responsabilité de ce blocage reposerait sur… l’Ukraine, qui « persécuterait » les entreprises hongroises – lisez : en dénonçant leurs affaires avec la Russie – et les minorités hongroises présentes sur son territoire.

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« Budapest soutient la paix »

De manière générale, « la Hongrie est du côté de la paix », a répété en boucle Zoltan Kovacs, secrétaire d’État pour la communication internationale et fidèle porte-parole de Viktor Orban. « Ne vous attendez pas à ce que ce point de vue change du fait de la présidence, de la mauvaise presse ou du chantage des institutions européennes », a-t-il prévenu. Et de s’emporter : « Ne privez pas la Hongrie d’avoir sa propre lecture de la guerre en Ukraine ! »

A quoi ressemble la paix selon M. Orban ? S’agit-il de forcer l’Ukraine à baisser les armes et de renoncer à une partie de ses territoires face à la Russie ? Il aura été impossible d’obtenir une réponse claire à ce sujet à Budapest, même si une source officielle hongroise s’est voulue… rassurante : « Lorsque des pourparlers de paix ont lieu, cela ne signifie pas que les lignes de front militaires seront cimentées. » En réalité, cela comporterait davantage un risque pour l’Ukraine, qui alerte qu’une trêve, dans la situation actuelle, donnerait l’occasion à la Russie de reprendre des forces pour mieux réattaquer. Quoi qu’il en soit, pour Zoltan Kovacs, qui reconnaît que la guerre est une « violation claire du droit international », « il faut négocier. Arrêtez l’effusion de sang !« , a-t-il plaidé, comme si ce souhait n’était pas partagé par les Ukrainiens.

De son côté, un officiel hongrois a indiqué, sous couvert d’anonymat, que le rôle de son gouvernement est de « protéger la Hongrie ». Sous-entendu nul autre pays et certainement pas l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’Otan. Le message est clair : la politique est tournée exclusivement vers les intérêts nationaux hongrois. Ou plutôt ceux de Viktor Orban, qui refuse de mesurer la menace que la Russie représente pour la sécurité de l’Europe dans son ensemble.

La Hongrie comme victime

De manière générale, les ministres et officiels rencontrés jeudi et vendredi à Budapest ont cherché dépeindre la Hongrie comme une victime. Que ce soit sur la question de l’Ukraine : M. Orban voudrait la paix, quand le reste de l’Europe et des alliés de Kiev voudraient la guerre. Ou sur le gel des fonds européens destinés à la Hongrie : ce serait un chantage politique, non pas une réaction à la dérive autoritaire et la destruction de l’état de droit dans le pays, constatée par les institutions européennes, la Cour de justice de l’UE et un grand nombre d’organisations. La Hongrie serait aussi sous l’attaque des médias occidentaux qui dénoncent les abus de Viktor Orban – une des sources rencontrées accusant ouvertement les journalistes présents d’écrire de la « propagande ».

Selon M. Kovacs, « la Hongrie entend laisser une marque » sur l’Union, pendant ses six prochains mois de présidence. Paraît-il, à n’importe quel prix.

La Libre