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Le Qatar est-il un médiateur neutre entre la résistance palestinienne et l’État d’occupation ou utilise-t-il secrètement ses liens financiers pour faire pencher la politique israélienne en sa faveur ?

Mawadda Iskandar

Alors qu’Israël continue de refuser de négocier une fin raisonnable à son agression brutale contre Gaza, Tel-Aviv a commencé à lancer de vives attaques contre le Qatar, le principal médiateur. Le dernier incident en date concerne une remarque cinglante de Yair Netanyahu, fils du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, accusant l’État du golfe Persique d’être « l’un des plus grands sponsors du terrorisme d’État ».

Les commentaires de Yair Netanyahu visaient à détourner les critiques du gouvernement de son père qui « est à blâmer pour avoir laissé Israël sans préparation face à l’assaut du Hamas le 7 octobre » et qui a depuis acquis le statut de paria mondial pour le massacre de dizaines de milliers de civils palestiniens.

Depuis le lancement de l’opération « Al-Aqsa Flood » l’année dernière, l’entité d’occupation se trouve dans un état d’« hystérie politique », les accusations fusant quant à la responsabilité de l’opération de résistance menée par le Hamas. La politique de M. Netanyahou a été critiquée par plusieurs dirigeants israéliens, dont les membres du cabinet Benny Gantz et Gadi Eisenkot, qui ont menacé de faire tomber le gouvernement si le premier ministre continuait à prendre des décisions de manière unilatérale.

Liens financiers entre le Qatar et Tel-Aviv

Au milieu du chaos et de l’attribution des responsabilités, les adversaires de M. Netanyahou ont créé un discours selon lequel il est personnellement responsable du renforcement du Hamas, que ce soit dans le cadre d’une politique visant à saper l’Autorité palestinienne (AP) basée en Cisjordanie, à diviser les territoires palestiniens ou à amplifier une « menace islamiste ».

Aujourd’hui, on apprend que le premier ministre a reçu des compensations financières – prétendument du Qatar – pour certaines de ses politiques à Gaza, qui ont été coordonnées en dehors des canaux officiels et en échange de pots-de-vin et de subventions de la part de Doha.

Des documents classifiés divulgués par l’institut pro-israélien Middle East Media Research Institute (MEMRI) ont dévoilé le financement par le Qatar de responsables israéliens dans le cadre du « projet Raven », qui a déjà révélé des liens financiers suspects entre le Qatar et d’éminentes personnalités internationales.

La première série de fuites publiée en décembre comprenait des documents révélant au moins deux subventions qataries à M. Netanyahou – des paiements de 15 millions de dollars en 2012 et de 50 millions de dollars en 2018.

Le deuxième lot, divulgué ce mois-ci, comprenait une lettre « top secret » de l’ancien ministre qatari des Affaires étrangères Hamad bin Jassim al-Thani au ministre israélien de l’économie et des finances de l’époque, Yusuf Hussein Kamal, autorisant un paiement de 50 millions de dollars à Netanyahou.

Un autre document confirme que l’argent a été transféré à Netanyahu par l’intermédiaire de l’appareil de sécurité de l’État du Qatar. Le directeur de droite de MEMRI, le général à la retraite Yigal Carmon, a défendu ces fuites, affirmant que les pots-de-vin s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par Doha pour acquérir une influence mondiale, Israël étant l’une de ses principales cibles.

Le chef de l’opposition israélienne, Tzipi Livni, a révélé en 2018 que le Qatar avait financé la campagne du parti Likoud de Netanyahou à hauteur de 3 millions de dollars pour assurer son succès aux élections de la Knesset. Le Jerusalem Post a également révélé précédemment que Hamad bin Jassim avait fourni 1,5 million de dollars au parti « Israël Beitenu », dirigé par Avigdor Lieberman, l’une des figures anti-égyptiennes les plus en vue de Tel-Aviv.

Parmi les autres scandales liés au financement qatari, le rabbin extrémiste Nir Ben-Artzi a révélé que les associations et les partis de gauche israéliens avaient reçu environ 300 millions de dollars pour contester le leadership de M. Netanyahou.

Des responsables de l’État d’occupation ont reconnu l’existence de ces fonds. En 2020, le chef du Mossad, Yossi Cohen, a écrit à l’émir du Qatar pour le remercier de son aide financière qui « garantit la stabilité dans la région ».

D’autres lettres de Ronen Levy, membre du Conseil national de sécurité, et de Ghassan Alyan, coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, ont reconnu le soutien financier de Doha dans le cadre de divers projets, notamment le Comité de reconstruction de Gaza et le projet « Gaz pour Gaza ».

L’influence de Doha sur la politique israélienne et palestinienne

Pour comprendre la position politique du Qatar, il faut retracer l’histoire de ses relations avec Israël. En 1996, Doha est devenu le premier État arabe-persique du Golfe à établir des relations commerciales avec Israël, en ouvrant un bureau commercial qui a fonctionné jusqu’à la seconde Intifada en 2000. Cette ambassade de facto a facilité la signature d’un accord de vente de gaz qatari à Israël, l’établissement du Qatar Gas Exchange à Tel-Aviv et l’autorisation pour les colons israéliens de se rendre au Qatar.

Du côté palestinien, la relation mutuellement bénéfique entre le Qatar et les Frères musulmans a permis d’établir des liens étroits entre Doha et le Hamas, au détriment des autres factions palestiniennes.

Dès le départ, ces relations se sont renforcées après 2007, au vu et au su de la partie israélienne. Le Qatar a ouvert son trésor pour financer ses programmes politiques avec l’approbation d’Israël, et son envoyé, l’homme d’affaires Mohammed al-Emadi, a personnellement transporté l’argent depuis la Jordanie, Jérusalem et Gaza.

Le flux des fonds qataris a changé après l’agression israélienne de 2014 sur Gaza. Doha a convenu d’un nouveau mécanisme avec les États-Unis, l’ONU et Israël pour contrôler ces fonds. Israël a soutenu cette initiative afin d’éviter que la situation à Gaza n’explose.

Cependant, l’opération « Al-Aqsa Flood » a jeté une ombre sur ce système, la commission de surveillance de la Chambre des représentants des États-Unis accusant Doha de verser 30 millions de dollars par mois au Hamas depuis 2018. Le Qatar a rétorqué que ces fonds étaient destinés à des fins humanitaires et qu’ils avaient été coordonnés avec Tel-Aviv.

Cet équilibre délicat a permis au Qatar de bénéficier de son rôle de médiateur entre les factions palestiniennes et Israël. En évitant les accords formels de normalisation, le Qatar a préparé le terrain pour son rôle de médiateur, en s’appuyant sur une diplomatie active et des liens financiers étroits avec les acteurs palestiniens et israéliens.

Les médias ont également joué un rôle dans cette relation complexe. Le réseau Al Jazeera du Qatar a souvent accueilli des responsables israéliens, tandis que le ministère israélien des affaires étrangères a facilité les services de l’équipe d’Al Jazeera à Tel-Aviv. Al Jazeera a également été l’une des premières chaînes arabes à mettre le nom « Israël » sur la carte. Toutefois, les chaînes arabes et anglaises du réseau couvrent souvent les événements à Gaza de manière différente, ce qui a donné lieu à des accusations de deux poids deux mesures.

La stratégie du Qatar : Contrats gaziers et renforcement des liens avec les États-Unis

Les relations étroites entre Israël et le Qatar se manifestent dans divers domaines, notamment par des accords commerciaux importants. Selon la base de données COMTRADE de l’ONU, les importations israéliennes en provenance du Qatar se sont élevées à 353 000 dollars en 2013, tandis que les exportations vers le Qatar ont atteint 146 000 dollars en 2022. La coopération s’étend à plusieurs domaines, notamment au secteur du gaz naturel.

Le Qatar a sans doute bénéficié du génocide à Gaza, retrouvant sa place sous les projecteurs grâce à son rôle de médiateur entre les factions palestiniennes et Israël. En 2010, Doha a accueilli une conférence internationale réunissant les parties palestinienne, américaine et israélienne, qui a débouché sur un accord prévoyant la libération de 1 024 Palestiniens en échange du soldat israélien Gilad Shalit.

Capitalisant sur ce succès, le Qatar a proposé d’accueillir le bureau politique du Hamas, en maintenant des canaux de négociation et en tirant parti de ces relations pour entrer en contact avec des figures clés du mouvement de résistance.

Cette stratégie a permis au Qatar de renforcer ses liens avec Washington, ce que ses voisins du golfe Persique s’efforcent de faire.

Outre le blocus sévère imposé par l’Arabie saoudite en raison de sa politique régionale « indépendante », qui inclut des liens avec l’Iran, l’approche du Qatar s’est avérée payante pour l’essentiel. Elle en a fait un important fournisseur d’énergie, un grand acheteur d’armes américaines et l’hôte de la plus grande base aérienne américaine à l’étranger. En 2022, la Maison Blanche a déclaré que le Qatar était un allié clé non membre de l’OTAN.

Le choix du Qatar d’éviter les accords formels de normalisation lui a permis de se préparer à son rôle actuel de médiateur, en bénéficiant d’une diplomatie active et de liens financiers étroits avec les acteurs palestiniens et israéliens.

Les fuites et les analyses publiées jusqu’à présent révèlent la partie émergée de l’iceberg de l’influence de l’argent qatari sur la politique mondiale, une stratégie partagée par d’autres pays, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Ces révélations soulèvent des questions sur l’avenir des relations du Qatar avec les dirigeants israéliens, en particulier avec M. Netanyahu, qui semble prêt à détourner la responsabilité pour se protéger.

The Cradle