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Uriel Araujo, docteur en anthropologie, spécialiste des conflits internationaux et ethniques

Imaginez que vous êtes un chef d’État confronté à une crise intérieure. Vous contournez le vote du parlement pour imposer des mesures impopulaires par des méthodes douteuses (au milieu d’importantes protestations), puis vous utilisez une violence excessive contre les manifestations. Ensuite, vous organisez des élections anticipées pour neutraliser les dissidents politiques radicaux, et vous les perdez. Ensuite, vous profitez d’un événement sportif international majeur pour gagner du temps et ignorez les résultats des élections en refusant de nommer un Premier ministre issu de la coalition gagnante.

Qu’êtes-vous alors ? Certains parleraient même de « dictateur ». Il serait en effet difficile de décrire une situation aussi particulière comme autre chose qu’une sorte de coup d’État, n’est-ce pas ? Dans ce cas, la communauté internationale ne manquerait pas de dénoncer le chef d’État autoritaire et de faire pression sur lui pour qu’il respecte les résultats des élections, n’est-ce pas ? Ce n’est pas forcément le cas si vous êtes Emmanuel Macron. Un rapide coup d’œil sur les événements peut donner un aperçu de la profondeur des problèmes dans lesquels se trouvent les Français.

Tout d’abord, Macron a dissous l’Assemblée nationale et a décidé de convoquer de nouvelles élections législatives, le 30 juin (et le 7 juillet, pour le second tour). Cette décision fait suite à la victoire du parti populiste de droite, le Rassemblement national (RN), aux élections européennes, ce qui constitue en soi une défaite pour le président. Le RN, anciennement connu sous le nom de Front national (jusqu’en 2018), est le parti de Marine Le Pen, qui, rappelons-le, a promis de retirer la France du commandement militaire de l’OTAN en 2022, lorsqu’elle était candidate (battue) à l’élection présidentielle. Macron a remporté l’élection à l’époque, mais Le Pen a fait cette promesse alors qu’elle se dirigeait vers le second tour, ce qui a certainement fait sourciller l’establishment politique parisien.

Comme je l’ai déjà écrit, décrire le parti RN ou les partis populistes européens en général comme du « fascisme » pur et simple n’est pas exact. La mesure prise par le président français en juin était en tout cas un geste audacieux pour écraser un groupe politique considéré comme une menace. Le sénateur François Patriat, qui est un allié de Macron, a déclaré à l’époque : « Le président a repris les choses en main. Il passe maintenant à l’action. C’est la fin de Marine Le Pen ». Nombreux sont ceux qui ont critiqué cette décision, craignant qu’elle ne se retourne contre eux et que la France ne se retrouve avec un Premier ministre « d’extrême droite ». Cela ne s’est pas produit. Mais le résultat n’était certainement pas celui que Macron espérait.

Les élections anticipées, comme nous l’avons mentionné, ont été décrites comme un pari politique risqué. Macron l’a perdu. Même si le résultat a été un « parlement sans majorité », le Nouveau Front populaire (NFP) a remporté le plus grand nombre de sièges parlementaires, ce qui a constitué une défaite politique humiliante pour le président. Macron lui-même ne partage pas cet avis : « Personne n’a gagné », a-t-il déclaré. Selon lui, « les blocs ou coalitions issus de ces élections représentent tous une minorité ». Le NFP conteste cette affirmation : « Le Nouveau Front Populaire est sans conteste la première force de la nouvelle Assemblée Nationale »

Le programme de la nouvelle coalition promet, entre autres, de lutter contre la crise du coût de la vie par un plafonnement des prix, d’augmenter le salaire minimum et d’abaisser l’âge de la retraite, tout en rétablissant l’impôt sur la fortune que Macron avait aboli.

N’oublions pas que l’année dernière, M. Macron a eu recours à des méthodes peu orthodoxes pour signer son projet controversé de réforme des retraites, qui a donné lieu à des manifestations dans tout le pays. Le gouvernement a répondu par une répression massive des manifestants et des journalistes, dénoncée par le Conseil de l’Europe, Reporters sans frontières et la Ligue française des droits de l’homme, entre autres. La manœuvre politique visant à faire passer la réforme des retraites a été décrite comme un coup d’État constitutionnel complexe, qui a consisté à faire passer le projet de loi (qui augmentait l’âge de la retraite) par le Parlement sans vote de la chambre basse.

La France est dirigée par une administration intérimaire depuis les élections générales de juillet, qui n’ont pas permis de dégager une majorité de travail à l’assemblée nationale. Il s’agit d’une impasse. Et il semble qu’il n’y ait aucun moyen d’en sortir. Le 26 août, un communiqué de presse de l’Elysée a indiqué que le président ne nommerait pas le candidat du NFP parce que : « La stabilité institutionnelle impose de ne pas retenir cette option ». Le raisonnement est le suivant : en nommant un Premier ministre dont le Président « sait » qu’il « tombera », le chef de l’Etat « violerait la Constitution, qui lui impose d’assurer la stabilité et l’indépendance du pays ». Les subtilités du système semi-présidentiel français mises à part, on peut clairement voir un schéma ici.

Si l’on se souvient bien, Macron avait qualifié les Jeux olympiques de Paris de « trêve » et utilisé l’événement international pour gagner du temps, mais il pourrait maintenant être à court d’excuses. Samedi, Jean-Luc Mélenchon (chef du parti d’extrême gauche La France Insoumise – LFI) a annoncé que les membres du LFI ne rejoindraient aucun gouvernement du NFP – un scénario selon lequel le LFI aurait empêché le président de nommer Lucie Castets (la candidate du NFP,) au poste de Premier ministre. Le Premier ministre sortant de M. Macron a réagi en déclarant que « l’application unilatérale » de la plateforme politique du NFP« conduirait à un matraquage fiscal sans précédent », voire à « l’effondrement économique de notre pays ». L’Elysée ne l’entend pas de cette oreille. La vérité, c’est qu’il semble impossible que Macron accepte un gouvernement de gauche. Pendant ce temps, la crise politique se poursuit.

On ne peut que s’étonner qu’une situation aussi particulière, qui se déroule dans un pays du G7, ne fasse pas l’objet d’une grande couverture médiatique, ni d’ailleurs d’une grande critique. La comparaison avec la crise politique en cours au Venezuela suffit à démontrer que l’affaire française n’est pas suffisamment médiatisée. En tout état de cause, la politique du deux poids deux mesures ne se limite pas au journalisme : Les dirigeants politiques occidentaux, toutes tendances confondues, ont dénoncé le président vénézuélien Nicolas Maduro à propos de la récente controverse sur les élections présidentielles et beaucoup demandent instamment au gouvernement vénézuélien de faire preuve de plus de transparence sur les résultats, etc. Jusqu’à présent, aucun dirigeant politique occidental majeur n’a fait pression sur le chef de l’État français pour qu’il respecte les résultats de l’élection en nommant un Premier ministre issu de la coalition de gauche victorieuse. Il va sans dire que si Macron était un dirigeant du Sud poursuivant des projets énergétiques dans son pays ou s’il était un chef d’État européen « pro-Chine » ou « pro-Russie », les choses seraient tout à fait différentes.

Quoi qu’il en soit, les choses devraient se compliquer pour le président français. La gauche menace désormais Macron de procédures de destitution dont personne ne pense qu’elles aboutiront, mais, plus important encore, le pays est confronté à une crise politique et économique et les manifestations devraient s’étendre et devenir de plus en plus violentes, comme c’est le cas dans d’autres pays européens aujourd’hui. Comme je l’ai écrit, Macron a opéré des changements audacieux en matière de politique étrangère, mais il semble que les problèmes intérieurs pourraient lui barrer la route.

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