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Bloc central, le centre droit, Macron, Michel Barnier, recomposition, RN
Jean-Éric Schoettl
Avec la nomination de Michel Barnier Premier ministre, le RN noue avec le futur gouvernement, et donc avec le « bloc central » de l’Assemblée qui soutient le gouvernement, un pacte tacite, avec un dénominateur commun régalien. Cet engagement régalien commun permettrait au nouveau gouvernement de répondre à la demande d’ordre émanant de l’électorat RN en retour, tout en se préservant sur son flanc droit, remarque Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
Et si Emmanuel Macron avait trouvé le trou de souris permettant de tirer la France (et lui avec) de l’impasse à laquelle conduisait son étrange décision de dissoudre l’Assemblée nationale ? Cela n’aurait pas été sans mal, mais, face à une équation si pleine d’inconnues et de contraintes, on a le droit de triturer le Rubik’s cube.
En quoi le choix de Barnier comme Premier ministre pourrait être sinon la solution optimale et durable, au moins une réponse temporairement viable à la crise née de la tripartition de l’Assemblée nationale ?
Recomposition
En premier lieu, parce que, tout en présentant une forme d’alternance, nécessaire au vu des résultats électoraux médiocres du camp présidentiel, un Premier ministre issu de la Droite républicaine oblige le centre et la droite à gouverner ensemble et, ce faisant, permet l’émergence à l’Assemblée d’un bloc central fort de 220 députés. Ce n’est pas la majorité absolue (289), mais cela devient une majorité relative. Déjà, le 18 juillet, les députés du camp présidentiel et de la droite de gouvernement, en réunissant leurs voix, ont formé le bloc le plus important du Palais-Bourbon. Leur nombre total, que mesure le troisième tour de l’élection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée, démontre en effet que, si aucun camp n’a gagné les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, la droite et le camp présidentiel, comptés ensemble, ont « moins perdu » ces élections que les deux autres blocs.
En se rapprochant des LR (devenus la droite républicaine), le camp présidentiel, surmontant ses pudeurs anciennes, semble avoir pris aussi conscience de l’urgence des enjeux régaliens (insécurité, islamisme, perte de l’autorité de l’État à l’école et dans la rue, perte de contrôle des flux migratoires, retour des périls géopolitiques) et des lacunes du bilan présidentiel à cet égard.
Le recentrage du bloc central sur ces enjeux serait non seulement le prix à payer pour la formation d’une majorité relative, mais sa raison d’être. Le nom de Michel Barnier est un choix avisé pour une deuxième raison, arithmétique celle-là : il est un des rares qui ne provoque pas une motion de censure immanquablement victorieuse, car signée à la fois par les députés du NFP et ceux du RN. Celui-ci a en effet fait connaître, par la voix de sa présidente (répondant le 4 septembre aux questions du Parisien), qu’il ne censurerait pas un Premier ministre de droite remplissant certains prérequis.
On peut s’irriter de voir ainsi se réintroduire au centre du jeu – en usant d’un droit de veto de fait sur la désignation du Premier ministre – un parti banni par le front républicain et mis en quarantaine lors de l’élection des postes clés de l’Assemblée. Le RN n’en constitue pas moins le principal groupe de députés. Le bloc central, même avec l’appoint de la Droite républicaine, doit se le ménager.
Il ne peut en effet lutter contre deux ennemis à la fois. Or aucune compréhension ne peut être attendue sur son flanc gauche, compte tenu du caractère inexpiable de l’hostilité du NFP. Et au-delà, les quatre composantes du NFP (et donc pas seulement la France insoumise) n’ont-elles pas prévenu que toute solution qui ne consisterait pas à mettre en œuvre son programme serait un coup de force antidémocratique justifiant l’appel à la mobilisation dans la rue et par la grève ?
Coller à l’opinion
Les conditions posées par Marine Le Pen pour ne pas censurer un Premier ministre de droite sont les suivantes : « respecter les électeurs et les élus du RN », « ne pas aggraver le problème de l’immigration et de l’insécurité », « ne pas raser les classes populaires et moyennes dans son budget », « instaurer la proportionnelle ». Michel Barnier n’aura pas de mal à les remplir.
Contrairement à un autre des premiers ministrables de droite, Xavier Bertrand, il n’est pas au nombre des ennemis intimes et patentés du RN. Il est très allant sur le rétablissement de l’autorité de l’État, dans la rue comme à l’école. S’agissant de l’immigration, il avait présenté, lors des primaires des Républicains de 2022, un des programmes les plus audacieux, allant jusqu’à proposer (tout fervent serviteur de l’Union européenne qu’il ait été dans le passé) de soustraire la France, grâce à un « bouclier constitutionnel », aux contraintes du droit européen. Exiger qu’« il ne rase pas les classes populaires et moyennes dans son budget » n’est pas lui demander de liquider la réforme des retraites.
Quant à la proportionnelle, ni Michel Barnier, ni la Droite républicaine n’en sont probablement d’ardents partisans, mais force est de reconnaître, quoi qu’on en pense sur le fond, qu’elle suscite un large accord dans l’opinion comme dans la classe politique, de Marine Tondelier aux dirigeants socialistes, en passant par Yaël Braun-Pivet et François Bayrou. Elle serait d’autant plus aisément mise en œuvre (que ce soit sous la forme d’une « instillation » ou sous celle d’une proportionnelle intégrale au niveau départemental) qu’elle peut être instaurée par la loi ordinaire.
Dans l’immédiat, le RN ne devrait donc pas renverser un Michel Barnier dont la déclaration de politique générale annoncerait une politique ferme en matière régalienne, des mesures d’économie préservant les travailleurs modestes et, en temps utile, une révision du mode de scrutin législatif, tout en affirmant haut et clair que tous ceux qui respectent les institutions de la République et les usages républicains ont leur place dans la République.
Le RN trouverait d’autant plus intérêt à préserver Michel Barnier qu’il gagnerait ainsi un temps précieux pour se préparer aux futures échéances électorales, tout en poursuivant sa normalisation. Sans adouber le Premier ministre, le RN nouerait avec le futur gouvernement, et donc avec le « bloc central » de l’Assemblée qui soutient le gouvernement, un pacte tacite, avec un dénominateur commun régalien. Cet engagement régalien commun permettrait au nouveau gouvernement de répondre à la demande d’ordre émanant de l’électorat (qui est un des rares enseignements clairs de ces élections), tout en se préservant sur son flanc droit.
Michel Barnier répond sur nombre d’autres points à un cahier des charges que l’on avait pu croire insoluble : c’est une personnalité dévouée à la Nation et expérimentée, à la fois sur les plans national et européen, politique et administratif ; il a la rondeur nécessaire à la recherche de consensus et à la conclusion de compromis ; il est capable de mener une politique à la fois suffisamment acceptable pour ne pas se faire renverser et à la hauteur des enjeux économiques, financiers, sécuritaires et géopolitiques ; il permet à Emmanuel Macron de ne pas sacrifier, sur l’autel d’une convergence introuvable avec la gauche actuelle, l’acquis de sept années de mandat, particulièrement en matière de politique de l’offre, d’enseignement professionnel et de retraites.