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par maxime tandonnet

La droite classique, dite aussi « républicaine » est heureuse comme elle ne l’a plus été depuis huit ans, la victoire de François Fillon aux primaires de 2016 qui semblait ouvrir la voie à l’Elysée. L’un des siens, Michel Barnier est de retour au plus haut sommet de l’Etat. Elle est quasi-unanime, toutes tendances confondues, à se réjouir, libérale, souverainiste, conservatrice, populaire. Mieux, elle est réconciliée: les indépendants et les ralliés à la macronie communient dans une même satisfaction.
[Et moi aussi, je suis content!]
La passation de pouvoir à Matignon a donné lieu à une scène étonnante de ringardisation du « nouveau monde » (macroniste) par l’ancien. Il a suffi de quelques mots bien choisis par le nouveau Premier ministre, « humilité, vérité, respect, action« , pour expédier, dans les limbes d’un cauchemar révolu, le discours interminable, poussiéreux, pompeux, arrogant, autosatisfait, déconnecté et narcissique – macronien – odieux pour tout dire, de Gabriel Attal. Entendre ce dernier traité (poliment) de donneur de leçons, (comme une baffe à un petit coq), avait quelque chose de jubilatoire…
Tout se passe comme si la droite classique venait de gagner les élections. Or, elle vit sur un mirage, une illusion: elle n’a pas gagné les élections. Elle sort même d’une longue série de défaites tonitruantes et ne dispose que d’une petite minorité de 50 députés sur 577… Alors que se passe-t-il? De quel genre de victoire s’agit-il?
Le retour au pouvoir de la droite classique est le fruit, non d’une victoire électorale, mais d’un accident démocratique, un violent soubresaut de l’histoire politique. Il résulte de l’explosion de la classe politique causée par la dissolution du président Macron. Celui-ci, après avoir déclenché l’apocalypse nucléaire de l’article 12, n’a pas trouvé d’autre solution que de faire appel à Michel Barnier dans la précipitation et l’improvisation, un ultime appel désespéré pour tenter de limiter les conséquences de son geste irresponsable.
Le scénario actuel ne correspond à rien de connu, rien de prévu. Il n’est pas une cohabitation par laquelle un Premier ministre, s’appuyant sur une majorité à l’Assemblée nationale, impose sa volonté à un chef de l’Etat devenu minoritaire… Il n’est pas un « accord de gouvernement« , négocié et contracté sereinement entre leaders de la macronie et de LR, un acte de compromission pour le partage des prébendes et la reconstitution artificielle d’un’ majorité absolue. Il n’est pas non plus un « pacte législatif« , fondé sur un programme commun de réformes.
Il n’est pas un acte de soumission à la présidence macron. Celle-ci a été foudroyée, le foudre de Jupiter se retournant contre lui-même, affaiblie, discréditée et au bord du gouffre – de la démission pour tout dire. C’est elle qui s’en remet à Michel Barnier, comme ultime sauveur, bien davantage que l’inverse, dans un réflexe de survie: sauver le quinquennat.
La seule chose qui importait, pour l’ex-Jupiter, était de sauver sa peau en évitant une motion de censure au moins dans l’année qui vient. Il n’a pas pu aller à gauche, en raison de l’intransigeance des mélenchonistes. Donc il a basculé à droite, par la seule force des circonstances, constituant au centre macroniste et à droite, une quasi entente, indicible car honteuse, un pacte de non agression avec le Rassemblement national.
Et Michel Barnier s’est trouvé être l’instrument de ce pacte de non agression. Ce dernier repose sur un immense paradoxe: la trêve silencieuse entre les ennemis jurés d’hier que sont la macronie et le lepénisme. La haine du « populisme » ou la peste nationaliste n’était-elle pas, à l’origine, la raison d’être du macronisme? Quel paradoxe! Position infiniment fragile et précaire: l’expérience Barnier repose entièrement sur ce paradoxe et le prolongement de la trêve… En vérité, la droite classique n’a aucune raison de jubiler ni de se laisser gagner par l’euphorie.
« L’étrange victoire », ou victoire factice, peut-elle se transformer en authentique victoire démocratique? Disons le tout net: la porte est étroite et les chances de réussites existent, mais elles sont assez minces. M. Barnier n’a pas été choisi par les Français et son profil est a priori peu conforme au vote antisystème de 56% des Français (RN et NFP) au législatives. Son gouvernement privé de toute majorité claire – c’est sans précédent – sera l’otage du bon vouloir du RN.
Mais parfois, des soubresauts de l’histoire, du chaos politique et de toutes les débâcles sont issus de belles surprises. Sans même parler des moments héroïques (Brumaire, 18 juin), « l’expérience Pinay » que nul n’attendait en 1952 en offre un bel exemple. M. Barnier a rompu avec les dogmes européistes lors des primaires de 2022 et il a pris des positions fermes sur l’immigration, au centre des préoccupations des Français. Aujourd’hui, il parle de « vérité, d’humilité, de respect du peuple, d’action plutôt que de blabla » – visant à travers chacun de ces mots le macronisme. Les mots qu’il fallait entendre. S’il parvient à nouer un lien de confiance avec le pays, il peut renverser la table, bousculer le système. Pourquoi ne pas lui donner sa chance? En revanche, s’il échoue, nous aurons sans doute l’extrême gauche mélenchoniste, en réaction, avec tous les pouvoirs en 2027. Et l’apocalypse.
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