
European Commission President Ursula von der Leyen (L), flanked by European Commission vice-president in charge Europe fit for the digital Margrethe Vestager (C), listens to EU commissioner for internal market and consumer protection, industry, research and energy Thierry Breton (R) during a College meeting at the EU headquarters in Brussels on May 18, 2022. (Photo by JOHN THYS / AFP)
La démission de Thierry Breton de son poste de commissaire fait l’effet d’une bombe. En réalité, comme le commissaire européen lui-même le révèle, elle était discutée depuis plusieurs jours. Cela veut dire qu’Emmanuel Macron n’a même pas essayé de le défendre. C’est une erreur stratégique vis-à-vis de l’Allemagne. Elle est d’autant plus regrettable que les arguments ne manquaient pas pour faire plier Ursula von der Leyen – et le gouvernement allemand.
I would like to express my deepest gratitude to my colleagues in the College, Commission services, MEPs, Member States, and my team.
Together, we have worked tirelessly to advance an ambitious EU agenda.
It has been an honour & privilege to serve the common European interest pic.twitter.com/wQ4eeHUnYu
— Thierry Breton (@ThierryBreton) September 16, 2024
La lettre rendue publique par Thierry Breton est instructive. Il en restera en particulier l’expression « gouvernance douteuse ». Pourtant, on peut dire sans aucun doute qu’elle résulte d’une grave erreur stratégique de la part du gouvernement français.
L’erreur stratégique des Français
Je ne m’étendrai pas sur le problème que pose la publication de cette lettre dans une unique version anglaise. Pourtant, elle est déjà révélatrice d’un pays qui est sur la défensive. Le français et l’anglais sont les deux langues officielles de l’Union Européenne. Monsieur Breton ne défend pas la présence de notre langue dans les documents européens. Il n’est pas le premier à qui on puisse faire ce reproche. Néanmoins, il a perdu l’occasion de rappeler que la France ne parle jamais à l’Allemagne, au sein des institutions, en position d’infériorité.
Le plus critiquable, cependant, est ailleurs. Comme l’indique la lettre, Madame von der Leyen a transmis voici plusieurs jours un message au gouvernement français. La réponse aurait dû être automatique de la part d’Emmanuel Macron; ce sont les Etats membres qui décident, non le président de la Commission.
Et j’ai suffisamment négocié, dans ma vie professionnelle, avec des Allemands, pour dire que le message devait être confidentiel mais direct et brutal: si Madame von der Leyen ramenait le sujet sur la table, elle devait s’attendre à une mise en cause de sa propre position.
Madame von der Leyen a gagné parce qu’Emmanuel Macron n’a pas livré le combat
L’arme la plus évidente était la vulnérabilité judiciaire de Madame von der Leyen. On sait, en particulier, qu’elle est mise en porte-à-faux à la fois pour des contrats de conseil signés lorsqu’elle était ministre de la Défense en Allemagne; et pour la gestion opaque des négociations sur les achats de vaccins contre le COVID-19 par la Commission Européenne.
J’ose espérer que les services français ont un dossier sur la présidente de la Commission. Et je regrette qu’à Paris on n’ait pas été résolu à l’épreuve de force. Ursula von der Leyen faisait-elle mine de résister? Etait-il si difficile, alors, de rappeler à l’opinion publique qu’elle pourrait avoir à clarifier des décisions antérieures devant la justice?
On m’objectera que (1) le gouvernement allemand aurait pu monter au créneau. Et (2) la France doit rendre des comptes à la Commission sur son budget.
En réalité, le gouvernement Scholz est en ce moment en situation de faiblesse, préoccupé par un budget à boucler avec beaucoup de divergences entre les partis de la coalition; et affaibli électoralement par des élections régionales. Un gouvernement français ferme comme il faut n’aurait aucun problème à imposer le nom de son commissaire. Ajoutons qu’Olaf Scholz n’est pas un inconditionnel d’Ursula von der Leyen.
Quant à la vulnérabilité française, du fait du mauvais état du budget, en réalité, la France est dans la position d’un gros débiteur que ses créanciers n’ont pas intérêt à laisser faire faillite. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas se préoccuper du budget français; en revanche, il est peu probable que l’argument soit utilisé comme une arme absolue pour faire plier la France.
Et puis, avec Michel Barnier comme Premier ministre, Emmanuel Macron aurait pu prendre quelques leçons de négociation européenne….