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Breton démissionne, divergences irréconciliables, Stéphane Séjourné, Thierry Breton, Ursula von der Leyen
Selon le Français, l’Allemande aurait demandé à Emmanuel Macron de lui proposer un autre candidat pour le prochain collège des commissaires. Thierry Breton quitte ses fonctions avec effet immédiat en dénonçant le « nouveau témoignage d’une gouvernance douteuse ». La France désigne le ministre démissionnaire des Affaires étrangères pour le remplacer.
Olivier le Bussy

La formation du collège de la Commission von der Leyen II n’est décidément pas une promenade de santé. Le processus a en effet été secoué par un petit séisme, ce lundi. Désigné, dès fin juin, par le président français Emmanuel Macron pour passer cinq années supplémentaires à Bruxelles, le commissaire sortant au Marché intérieur, Thierry Breton, a annoncé lundi matin qu’il démissionnait avec effet immédiat. En cause : des divergences irréconciliables avec la présidente Ursula von der Leyen, reconduite pour un second mandat.
Selon M. Breton, l’Allemande aurait demandé, il y a quelques jours à l’Elysée de lui proposer un autre candidat que lui. Le commissaire démissionnaire a posté sur le réseau X la lettre au picrate qu’il a adressée à la présidente qui, affirme-t-il, a pris cette décision « pour des raisons personnelles, sans même prendre la peine d’en discuter avec lui. »
I would like to express my deepest gratitude to my colleagues in the College, Commission services, MEPs, Member States, and my team.
Together, we have worked tirelessly to advance an ambitious EU agenda.
It has been an honour & privilege to serve the common European interest🇪🇺 pic.twitter.com/wQ4eeHUnYu— Thierry Breton (@ThierryBreton) September 16, 2024
Toujours selon le Français, Ursula von der Leyen aurait garanti à l’Elysée, en échange de son retrait, qu’un(e) autre candidat(e) se verrait attribuer un gros portefeuille au sein de la prochaine Commission. Dans son courrier, M. Breton écrit que cela a été pour lui « un honneur » de défendre pendant cinq ans l’intérêt commun, « au-delà des intérêts nationaux et partisans« . Avant d’ajouter : « Cependant, au regard des derniers événements, nouveau témoignage d’une gouvernance douteuse, je ne peux plus continuer à exercer mes fonctions plus longtemps ».
Merci et « no comment » de la part de la Commission
La porte-parole de la Commission Arianna Podesta a indiqué au point presse de l’institution que la présidente avait accepté la démission de Thierry Breton et qu’elle le remerciait pour le travail accompli, notamment dans l’élaboration et l’adoption des législations telles que les directives sur les services numériques (DSA) et sur les marchés numériques (DMA), ainsi que dans divers dossiers de politiques industrielles. Le Français fut notamment très actif pour assurer que la production dans l’UE de vaccins contre le Covid-19 réponde à la demande. Partisan, comme Emmanuel Macron, de la souveraineté européenne, il a aussi accordé beaucoup d’importance au renforcement de la capacité industrielle de la défense européenne.
La Commission se refuse, en revanche, à tout commentaire sur le contenu du courrier de M. Breton et sur les discussions entre Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron, se retranchant derrière la confidentialité du dialogue entre la présidente et les chefs d’État et de gouvernement.
L’Elysée a indiqué que le Président de la République, en accord avec le Premier ministre, a proposé à Mme von der Leyen le nom de Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (démissionnaire), comme commissaire européen pour la prochaine mandature. Fidèle parmi les fidèles au président Macron, Stéphane Séjourné est familier des affaires européennes : il fut le chef du groupe libéral-centriste Renew au Parlement européen de 2019 à janvier 2024.
Les États membres proposent, la présidente dispose
Chaque État membre présente (au moins) un candidat ou une candidate à la personne qui préside la Commission, qui attribue les portefeuilles de compétences. Mais le président ou, en l’occurrence, la présidente de l’exécutif européen peut refuser un candidat.
Comme elle l’avait fait il y a cinq ans, Ursula von der Leyen avait prié les capitales de lui proposer un choix entre un candidat et une candidate. Cette demande ayant été largement ignorée, l’Allemande a insisté pour avoir une femme auprès des pays qui n’avaient pas encore donné de nom, dont la Belgique, qui a désigné la ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR). « UvdL » a également fait pression sur plusieurs pays ayant déjà un désigné un candidat – Malte, la Roumanie et la Slovénie – afin qu’ils revoient leur choix. Non sans succès : Bucarest a retiré le nom de Victor Negrescu pour présenter celui de Roxana Minzatu Ljubljana a finalement privilégié la diplomate Marta Kos à l’ancien président de la Cour des comptes, Tomaz Vesel. Ce dernier changement a provoqué la contestation de l’opposition, dont les manœuvres repoussent la désignation officielle de Mme Kos. Le parti de l’ancien Premier ministre Janesz Jansa réclame des explications de Mme von der Leyen avant de convoquer la commission parlementaire qui doit rendre un avis, non contraignant, sur le choix du gouvernement.
Le cas de M. Breton est cependant différent. Les États membres qui souhaitaient la reconduction d’un commissaire déjà en place ne pouvaient proposer que ce seul nom – ce qu’a fait la France. Or les relations entre le commissaire français et la présidente étaient tendues depuis quelque temps.
Des relations de plus en plus délétères
En privé, les équipes de M. Breton se montraient souvent critiques de ce qu’il considérait comme étant de la lenteur à agir dans le chef de la présidence.
En mars dernier, le Français (membre de la famille libérale) avait décoché une flèche en direction de sa présidente en épinglant que c’était sans enthousiasme que les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) avaient désigné Mme von der Leyen comme leur Spitzenkandidatin pour la présidence de la Commission.
Un mois plus tard, Thierry Breton était de ceux qui avaient contesté la décision d’Ursula von der Leyen de nommer son compatriote, membre du même parti, Markus Pieper, comme envoyé spécial de l’Union pour les Petites et moyennes entreprises – poste auquel l’Allemand n’a finalement pas accédé.
De son côté, la présidente n’avait pas apprécié (du tout) la sortie en solo de Thierry Breton contre le propriétaire de la plateforme X, Elon Musk, en août dernier. Avant que ce dernier n’interviewe le candidat républicain à la présidentielle américaine, Donald Trump, le Français s’était senti tenu de lui rappeler l’obligation de son réseau social de se conformer aux règles de la directive sur les services numérique relatives à la lutte contre la désinformation.
With great audience comes greater responsibility #DSA
As there is a risk of amplification of potentially harmful content in 🇪🇺 in connection with events with major audience around the world, I sent this letter to @elonmusk
📧⤵️ pic.twitter.com/P1IgxdPLzn— Thierry Breton (@ThierryBreton) August 12, 2024
Nombreux étaient les observateurs européens qui se demandaient d’ailleurs comment Ursula von der Leyen et Thierry Breton pourraient cohabiter pendant cinq années supplémentaires. La question ne se pose plus.
Une autre, en revanche, se pose avec de plus en plus d’acuité : quand la Commission von der Leyen II pourra-t-elle entrer en fonction compte tenu des nombreuses étapes à franchir, dont les périlleuses auditions des 26 commissaires devant le Parlement européen, et du retard déjà pris ? L’ambition de la présidente reste de présenter son collège ce mardi matin, à Strasbourg, à la conférence des présidents de groupes politiques du Parlement européen.