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Gerhard Schröder était hier soir 18 septembre à Zurich. Il a expliqué sa position sur la guerre d’Ukraine et dit pourquoi la France et l’Allemagne ont encore, de son point de vue, la clé d’une négociation qui mette fin rapidement à la guerre. Interrogé sur les pressions qu’il a subies depuis mars 2022, l’ancien Chancelier allemand a répondu, sobrement, qu’il fallait toujours rester fidèle à ses convictions. Encore faut-il en avoir: est-ce que ce n’est pas ce qui le différencie de son successeur Olaf Scholz?

Gerhard Schröder se trouvait hier soir 18 septembre à Zurich, invité par la Weltwoche, pour présenter ses Mémoires, à paraître bientôt. .
L’ancien Chancelier a parlé durant deux heures de son enfance, de son ascension politique, des réformes économiques du début des années 2000. Et aussi, bien entendu, de la Guerre en Ukraine.
Le rôle de Schröder dans les négociations d’Istanbul
Hier, c’était Rofer Köppel, le rédacteur en ched de la Weltwoche, qui débattait avec l’ancien chancelier allemand. Mais visiblement les journalistes suisses aiment bien faire parler Gerhard Schröder sur le conflit ukrainien. A l’été 2022, l’ancien Chancelier s’était confié à Jacques Pilet qui lui avait demandé de raconter les discussions d’Istanbul:
Dans l’excitation belliqueuse entretenue aujourd’hui, songer à l’avenir est vu comme une dérobade. On est passé près pourtant du versant de l’espoir. Quelques jours seulement après le déclenchement de la guerre, il fut sérieusement envisagé, à Kiev comme à Moscou, de stopper la machine infernale. Avec les négociations d’Istanbul.
Pour préparer la rencontre, le chef de la délégation ukrainienne souhaita l’avis d’un connaisseur occidental de la Russie, l’ex-chancelier Gerhard Schroeder. Il l’approcha par l’intermédiaire du CEO de Ringier à Zurich, Marc Walder. Le contact a été établi en Turquie. Schroeder s’entretint aussi avec le négociateur russe. La négociation formelle était plus que difficile à mettre en route. Quelques palabres par vidéo, quelques échanges de notes… Les partenaires étaient loin d’une franche discussion autour de la table mais peu à peu s’esquissaient des solutions. Neutralité de l’Ukraine, garantie par les puissances européennes, départ des troupes russes, statut d’autonomie pour les provinces séparatistes. Quant à la Crimée, il était question d’un nouveau référendum… dans quinze ans. Le journal allemand Bild Zeitung, fréquemment utilisé par les communicants de Zelensky pour faire passer le point de vue de Kiev en Allemagne, alla jusqu’à titrer: «La paix? Peut-être dans quelques jours!»
L’ami allemand de Poutine lui rendit visite à Moscou. Celui-ci lui dit qu’il était favorable à un tel accord mais qu’il doutait, dans le jeu des rapports de force internationaux, qu’il puisse voir le jour.
Cela se confirma. Soudain, malgré les efforts du président Erdogan, tout fut gelé. Pas de déclaration de rupture, mais pas de nouvelles dates pour poursuivre les tentatives d’accord. Les négociations étaient soudain enterrées. Pourquoi?
Il y avait au Kremlin des durs qui les voyaient d’un mauvais œil mais Poutine avait les moyens de les contenir. A Kiev en revanche, tout un pan du pouvoir, l’aile nationaliste la plus déterminée, très présente au sein de l’armée, était hostile à tout accord. Mais en fait, ce sont les Américains qui sifflèrent la fin de la bien précaire récréation. Leur influence, pour ne pas dire leur autorité, sur le gouvernement ukrainien ne date pas d’hier mais elle se trouva plus déterminante que jamais avec le déclenchement du conflit. Il n’était dès lors plus question de trouver quelque «solution» mais d’affronter la Russie jusqu’à la mettre à genoux
Un peu plus de deux ans plus tard, Schröder persiste et signe
Ce 18 septembre 2024, à Zurich, l’ancien Chancelier allemand a expliqué qu’il n’avait pas changé d’avis:
Les « hostilités » qu’il traverse avec l’aide de son épouse ont pratiquement explosé depuis la guerre d’agression de la Russie. Le gouvernement lui a retiré son bureau au Bundestag, la Fédération allemande de football lui a retiré son statut de membre honoraire. Le SPD a même voulu l’expulser du parti. Cela a certes échoué, mais Schröder est tout de même isolé.
D’une part, parce qu’il ne veut absolument pas renoncer à son amitié avec Vladimir Poutine. D’autre part, parce qu’il continue de présider le conseil de surveillance de Nord Stream AG. L’entreprise est fermement détenue par le groupe Gazprom. Celui-ci est à son tour encore plus fermement dans les mains du Kremlin. Tout comme Schröder, disent ses détracteurs.
Lui-même voit les choses différemment. « On ne peut pas contester que l’invasion russe était une erreur », dit Schröder à Köppel. Celui-ci veut savoir si Poutine est d’accord avec lui, faisant allusion à la visite de Schröder au Kremlin. Ce à quoi Schröder répond : « Cela ne se passe pas comme si Poutine disait : <Gerd, je sais que j’ai fait des bêtises> – ce n’est pas comme ça que se déroule une conversation ». La réponse est donc manifestement non.Le fait que les discussions initiées par Schröder n’aient pas été poursuivies, il en attribue au moins une partie de la responsabilité aux Américains. « La partie russe était capable de prendre des décisions, la partie ukrainienne n’avait qu’une capacité limitée », dit-il. Ils auraient dû voir ce qui se passait en Amérique. Il y a eu des problèmes, estime Schröder. Et d’ajouter : « On aurait pu éviter beaucoup d’effusions de sang ». (…)
Auparavant, Schröder avait expliqué au public suisse qu’une solution négociée avec la Russie était possible. Pour cela, l’Allemagne et la France, en tant que leaders européens, doivent faire pression pour des discussions. Selon Schröder, il ne faut pas seulement faire pression sur le Kremlin. Mais aussi sur les Ukrainiens et les Américains.(…)L’Allemagne et la France devraient se mettre d’accord sur une ligne de conduite et ensuite faire participer les Américains. Voilà pour la théorie. Et puis le social-démocrate Schröder dit quelque chose de remarquable : « Pourquoi espère-t-on entre-temps un président Trump », demande-t-il. C’est intéressant. Celui-ci a déclaré que le dialogue entre l’Amérique et la Russie était le meilleur moyen de mettre fin au conflit. « Et c’est vrai », dit Schröder. Lorsque le nouveau président américain, Trump en l’occurrence, sera élu – « c’est drôle que l’on espère cela entre-temps », ajoute-t-il -, des mesures pourront être prises dans ce sens.
En attendant, Schröder n’a que peu ou pas d’estime pour les démocrates, du moins sur la question de l’Ukraine. « Qui est prêt à trouver une solution ? Actuellement, il n’y en a qu’un aux Etats-Unis », dit-il en faisant référence à Trump. Il faut laisser de côté les démocrates, qui sont guidés par leur idéologie. Historiquement, les négociations de paix avec les républicains ont de toute façon été plus fructueuses.La clé se trouve dans un premier temps dans le tandem France-Allemagne, comme Schröder ne cesse de le répéter. « Vous devez mettre fin à la guerre », déclare-t-il avec énergie. (…)
Il est donc d’autant plus tragique que l’ancien chancelier soit aujourd’hui pratiquement mis au ban de son parti comme de l’opinion publique. La raison est pourtant évidente.
Lui-même prend les choses avec légèreté, du moins en apparence. « Il faut rester soi-même », dit Schröder à Zurich. « Ce que l’on considère comme juste au fond, on doit le défendre ». Il est respecté pour cela, dit-il. Il n’a pas besoin d’être aimé du public. « Mes enfants m’aiment, et ma femme aussi », ajoute-t-il. « C’est suffisant pour moi en termes d’amour.
Là où Angela Merkel et François Hollande ont prétendu n’avoir jamais négocié de bonne fois avec Poutine, pour qu’on les laisse tranquilles, Gerhard Schröder persiste et signe.
Là où son successeur social-démocrate, le Chancelier Scholz, s’est couché devant les Américains, Gerhard Schröder continue à voir large, pour l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe.
A 80 ans, et presque vingt ans après avoir quitté le pouvoir, est-il le dernier homme d’Etat allemand?
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