Le gouvernement ne se rend-il pas compte qu’il contribue à renforcer l’impression croissante, au niveau international, que le gouvernement actuel est « islamophobe » et « antimusulman » ?
M K Bhadrakumar
C’est avec déception que la Cour suprême, présidée par le juge en chef D Y Chandrachud, a rejeté une requête conjointe déposée par un groupe d’intellectuels distingués, selon laquelle la fourniture d’armes par l’Inde à l’armée israélienne pendant la guerre de Gaza constituait une violation des obligations de l’Inde en vertu du droit international et des articles 14 et 21, ainsi que de l’article 51(c) de la Constitution.
Les pétitionnaires ont fait valoir que la Cour avait déjà jugé que l’Inde était tenue d’interpréter le droit national à la lumière des obligations découlant des conventions et des traités qu’elle a signés et ratifiés. Toutefois, la Cour suprême a noté qu’il s’agissait d’une question de politique étrangère. Le gouvernement n’est pas concerné.
Mais une question encore plus explosive se pose à propos des rapports selon lesquels des Indiens pucca ou des personnes d’origine indienne ont été recrutés par l’armée israélienne pour combattre dans la guerre. Au minimum, le gouvernement est tenu de s’assurer auprès du gouvernement israélien de la véracité de ces informations. Il s’agit d’une question essentielle puisque plus de 40 000 Palestiniens ont été tués et près de 100 000 blessés dans les opérations militaires d’Israël jusqu’à présent.
Le gouvernement ne se rend-il pas compte qu’il ne fait qu’ajouter à la perception croissante, au niveau international, que le gouvernement actuel est « islamophobe » et « anti-musulman » ? Les gouvernements vont et viennent, mais de tels stigmates finissent par devenir le fardeau de l’histoire une fois que les oligarchies de la région de l’Asie occidentale disparaissent et sont remplacées par des gouvernements représentatifs.
Quiconque croit aux forces de l’histoire comprendrait que, sans une refonte radicale de sa politique nationale, Israël est confronté à un avenir sombre de défaite stratégique. Certes, la région de l’Asie occidentale est à l’aube d’un changement. La semaine dernière, l’ambassade d’Arabie saoudite à Damas a officiellement repris sa mission après un hiatus de 12 ans de temps perdu en tant que financier et mentor des forces djihadistes qui ont été le fer de lance du projet occidental de changement de régime en Syrie. La réintégration de la Syrie dans le monde arabe, le rapprochement saoudo-iranien, l’adhésion de l’Iran, des pays du golfe Persique et de l’Égypte aux BRICS, la diminution de l’influence des États-Unis dans la région de l’Asie occidentale, l’isolement d’Israël sont autant d’éléments emblématiques du vent de changement qui balaie la région.
Dans une telle période de transformation, comment l’Inde pourrait-elle s’accrocher au monde d’hier avec une politique régionale ancrée sur sa relation spéciale avec Israël ? D’un côté, nous faisons la morale en disant que « ce n’est pas une ère de guerres », alors que de l’autre, le gouvernement soutient fermement Israël dans son horrible guerre contre le peuple palestinien.
Là encore, la dimension religieuse du conflit fratricide au Manipur attire déjà l’attention des pays chrétiens, bien que ce soit la première fois que les Meitei, qui sont majoritairement hindous et vivent principalement à Imphal, la capitale de l’État, et dans ses environs, et les Kuki, qui sont principalement chrétiens et habitent les collines environnantes, s’affrontent… Beaucoup ont souligné que le Premier ministre Narendra Modi n’a pas encore visité l’État ni fait de déclaration détaillée. Dans un article dévastateur qui coïncidait parfaitement avec la visite très médiatisée du ministre des affaires étrangères S. Jaishankar en Allemagne, la Deutsche Welle – une station de radiodiffusion nationale, soit dit en passant – a poursuivi en affirmant qu’en dehors de la militarisation de ce minuscule État, le gouvernement indien n’avait pas de politique.
Que faire d’une critique aussi brutale ? Soit nous la méprisons lorsqu’elle émane de pays occidentaux puissants comme l’Allemagne ou les États-Unis (ou les Nations unies), soit nous devenons hystériques lorsque l’Iran compare la situation du J&K à celle de Gaza. L’Inde est peut-être le seul pays du Sud à se comporter de manière aussi cynique. Lorsque les aristocrates de notre classe politique affirment avec éloquence que « l’Inde compte » en tant que puissance mondiale, ils oublient que nous vivons dans une véritable maison de verre à l’ère d’Internet, où les informations font le tour du monde en quelques secondes. On peut entendre les rires étouffés et dérisoires du monde occidental lorsque nous nous pavanons sur la scène mondiale en tant que « Vishwaguru ».
Il suffit de dire que la politique de l’Inde au cours des 11 derniers mois de la guerre de Gaza est devenue un mystère enveloppé dans une énigme. La seule explication plausible est que les Israéliens, adeptes de l’art du chantage politique, exploitent le talon d’Achille du gouvernement, à savoir le port de Haïfa, qui se trouve dans l’œil du cyclone dans la région, pour manipuler notre politique étrangère.
(M K Bhadrakumar est un ancien diplomate).